Le prix de l’or ouvragé et poinçonné par les services de la garantie peut aller jusqu’à 10.000 DA le gramme
Le marché de l’or à Alger a explosé depuis le début de la décennie 2000 avec le retour de la paix.
Valeur refuge, l’or fait tourner en Algérie un vaste marché plus ou moins légal où les transactions atteignent des centaines de millions de dinars, notamment au marché aux puces de Oued Kniss, à Alger, fief d’un genre particulier de rabatteurs.
En descendant du bus à l’arrêt de Oued Kniss, on est vite assailli par des voix insistantes: «Frère, quelque chose à vendre, à acheter?» lancées par des individus à l’allure incertaine, tout près de l’ancien Mont de Piété des Annassers, devenu après l’indépendance une agence de la Banque de développement local (BDL). «Ici, tout se vend et s’achète. De la simple et vulgaire chaise en bois blanc à l’or, les TV, vrais faux tableaux de maîtres», lance Ali, un natif du quartier. En fait, le gros des transactions qui se fait dans un minuscule jardin public en face
de l’agence de prêt sur gage de la BDL, porte sur l’or. Les rabatteurs-revendeurs et leur pendant féminin, les «delalate», ont leur quartier général dans ce jardin public, près de la bouche de métro Les Fusillés. Tout se négocie ici, le prix de cession, d’achat aux clients potentiels», assurent quelques «initiés». Leur emplacement est stratégique, puisqu’ils font fructifier leur petit commerce au noir près de l’agence de la Banque de développement local, l’ex-Crédit municipal du Ruisseau. Les clients potentiels de la BDL, souvent des pères de famille dans le besoin, sont harponnés par les rabatteurs qui leur rachètent leur or moyennant un prix plus intéressant que celui de la BDL.
Le marché de l’or à Alger a explosé depuis le début de la décennie 2000 avec le retour de la paix civile. De 800 DA/g, il est passé actuellement à plus de 3200 DA/g au noir pour le cassé de 18 carats à Oued Kniss ou à la rue Debbih -Chérif, près de la rue Ben-M’hidi, deux places fortes du marché parallèle du métal jaune à Alger. Le marché est mis sous pression par une forte demande des artisans-bijoutiers qui se rabattent sur le cassé à 18 g, plutôt que le lingot d’or fin de 24 carats que l’Agence nationale de l’or (Agenor) cède au tarif de presque cinq millions de dinars.
D’Amessmessa à Oued Kniss
Le prix de l’or ouvragé et poinçonné par les services de la garantie peut aller jusqu’à 10.000 dinars le gramme. Suffisant pour alimenter un vaste marché parallèle dont les ramifications vont d’est en ouest du pays. «La demande des artisans en or cassé pour l’utiliser comme matière première dope ce marché qui fonctionne en fait selon le système de collecte de tout l’or mis sur le marché par les petits revendeurs, ces pères ou ces mères de famille dans le besoin, qui vendent leurs bijoux pour traverser des périodes difficiles», indique Kamel, artisan-bijoutier. Et, comme la Banque de développement local, avec ses deux agences à Oued Kniss et Larbi-Ben M’hidi, ne propose qu’un prix plafond de 2 000 DA/g et un taux de 8% pour les remboursements, le choix est vite fait au profit des rabatteurs dont les tarifs sont plus attractifs, allant jusqu’à 4300 DA/g pour l’or 18 carats importé d’Italie. «Ici à Oued Kniss, il y a l’or d’Italie, du Maroc, des Emirats, de Syrie ou d’Arabie Saoudite» qui peut être négocié, affirme à l’APS un rabatteur. L’once d’or (31,33 grammes) sur les marchés mondiaux a explosé depuis quelques années, atteignant vendredi dernier en clôture 1231,35 dollars.
La décrue de la production nationale d’or entre 2012 (264 kg) et 2013 (120 kg), qui a coïncidé avec le litige entre l’Entreprise nationale de l’or (Enor) et l’australienne GMA dans la mine de Tirek-Amessmessa (Tamanrasset), et les faibles quantités importées, ont fait exploser les prix dans la filière de la bijouterie. La production aurifère de l’Algérie a atteint plus d’une tonne en 2009, dont 20% ont été destinés au marché local à travers Agenor, le reste exporté par l’Enor, qui a réalisé des recettes de 36 millions de dollars, selon un bilan de cette entreprise. Fatalement, peu d’or produit en Algérie a été mis sur le marché entre 2012 et 2013, année durant laquelle «pas un seul gramme d’or n’a été acheté par Agenor» auprès de l’Enor, selon un agent commercial de cette agence. «La matière première manque, c’est pour cette raison que les artisans bijoutiers se rabattent sur l’or cassé pour faire tourner leurs ateliers, d’autant que l’or fin 24 carats est hors de prix», souligne, de son côté, un artisan-bijoutier à Bouzaréah.
Des milliards brassés sur le trottoir
L’agence Agenor de la rue Ben M’hidi, à quelques encablures de l’ex-Crédit municipal, vend désormais des ouvrages en or et en argent. Mais, surtout, elle représente le seul organisme public officiel où peuvent s’approvisionner les artisans bijoutiers en or fin de 24 carats qui, ajouté au cuivre (selon un dosage par poids) donne les 18 carats réglementaires exigés par les services de la garantie. «Nous vendons le lingot d’or fin à quelque 4,9 millions de dinars, c’est-à-dire 4900 DA/gramme», indique un agent d’Agenor sous couvert de l’anonymat. Mais, l’Agence algérienne de l’or, pour réguler le marché local, vend également des bijoux en or et en argent. Les prix de l’agence pour les bijoux sont concurrentiels autant des bijoutiers que des grandes tendances du marché parallèle: 5900 DA/g. En fait, de tels prix «discount» sont le fruit d’un partenariat «entre Agenor et des artisans-bijoutiers à qui nous fournissons la matière première», ajoute cet agent commercial.
Le marché de l’or à Alger, tout comme dans les grandes villes du pays brasse des dizaines de millions de dinars par jour. «La demande est importante, particulièrement ceux des gens de l’intérieur du pays où l’or est toujours une valeur refuge, outre les achats pour des mariages et autres fêtes familiales», explique Hadj Brahim, un vieux routier du métier installé près de Plaçat Lihoud, à la Casbah. Et puis, très souvent, «ceux qui achètent au noir l’or cassé près du Crédit municipal, à travers les rabatteurs, le revendent ensuite aux artisans bijoutiers, qui, à leur tour le recyclent et l’utilisent comme matière première brute», ajoute Hadj Brahim. A la rue Ben’Mhidi, tout comme à la rue Debih Chérif, l’ex-rue Rovigo, c’est en fait un vrai marché clandestin de l’or qui vit de milliers de transactions brassant des centaines de millions de dinars par an.
«Le marché de l’or brasse beaucoup d’argent, mais ceux qui le travaillent ne gagnent pas beaucoup», affirme Abdelkrim selon lequel «les artisans bijoutiers paient beaucoup de taxes, notamment les droits de garantie, la taxe sur le bénéfice, sur le chiffre d’affaires etc…» Pour autant, les millions de transactions commerciales quotidiennes plus ou moins légales, font travailler plus de 10.000 artisans à travers le territoire national, selon les services de la direction générale des impôts (DGI) et l’association des bijoutiers. Aujourd’hui, la plus grande concentration d’artisans-bijoutiers n’est plus à Alger, mais à Tlemcen, Constantine, Annaba, Oran où la demande est en hausse avec des prix qui peuvent aller à plus de 10.000 DA le gramme pour certains bijoux. Mais, un «grand danger pour la corporation pointe à l’horizon: l’importation légalisée d’ouvrages en or fabriqués dans les pays arabes et en Italie, et revendus aux bijoutiers au prix local», peste Abdelkrim, qui entrevoit déjà «la fin d’un métier noble».