Les produits du terroir en mal de valorisation,Lorsque Israël «pirate» Deglet Nour

Les produits du terroir en mal de valorisation,Lorsque Israël «pirate» Deglet Nour

Le débat s’anime autour des voies et moyens de redynamiser l’économie nationale. L’agriculture et l’industrie et, entre les deux, la filière agroalimentaire sont systématiquement mises en avant par les intervenants de la scène économique nationale.

Récemment, le directeur de la veille stratégique, des études économiques et des statistiques au ministère de l’Industrie, de la PME et de la Promotion des investissements a annoncé la mise en place de trois consortiums pour l’exportation de produits agroalimentaires. Pourtant, le plan élaboré dans ce sens ne semble pas accorder une importance particulière aux produits du terroir algérien, seuls susceptibles de donner un véritable cachet au «made in Algeria» à l’export. Pour l’heure, ces mêmes produits agricoles et agroalimentaires restent prisonniers d’un schéma de production archaïque et familiale. Les opérateurs du segment font face à de nombreuses difficultés d’ordre logistique et appellent à l’homologation de leurs produits et à la création de labels spécifiques. La question des labels a été mise en avant pour la première fois avec l’apparition sur les marchés européens de la datte algérienne Deglet Nour sous emballage tunisien. Certains avaient, alors, prétendu que les opérateurs algériens ne disposaient pas des capacités nécessaires pour assurer un packaging de qualité aux normes européennes pour pouvoir commercialiser le produit de l’autre côté de la Méditerranée.

Or, cette idée a omis plusieurs réalités. Le fait est que Deglet Nour, commercialisée sous emballage tunisien, est issue des réseaux de contrebande, d’autant que la datte algérienne ne bénéficie ni de label ni d’une marque déposée pour la protéger. Des spécialistes du marché agroalimentaire plaident pour la mise en place d’un label Deglet Nour spécifique au plus vite, car le marché, notamment européen, commence à tomber sous un monopole, celui de la datte israélienne. Selon un consultant spécialisé dans la prospection des marchés agroalimentaires européens, ayant participé au Djazaïr Export, les Israéliens, qui ont placé leur produit sur le marché européen, ont réussi à faire main basse sur la datte tunisienne et marocaine. Il a aussi précisé que les Israéliens ont investi dans la production de la datte en Californie et de là ils ont créé à partir de Deglet Nour, utilisée en Tunisie, un nouveau type de dattes de gros calibre qu’ils ont dénommé Madjool, Medjoul ou Mejhoul.

Cette nouvelle variété, dont les caractéristiques gustatives se rapprochent de Deglet Nour, présente néanmoins un inconvénient : elle s’oxyde très vite. Cependant, sa large commercialisation présente un important manque à gagner pour Deglet Nour originelle et pourrait porter un coup à son image de marque d’autant que le consommateur européen reste profane dans ce domaine. Pour preuve, les dattes israéliennes Mejhoul sont au premier rang des exportations, au détriment des dattes du type Deglet Nour. Ces fruits sont pour la majorité des produits de la société israélienne Hadiklaim qui exporte sa production vers 30 pays. La société exporte ses dattes sous les marques King Solomon et Jordan River à travers Almog Tradex Ltd qui exporte 10 000 tonnes de fruits annuellement. L’Algérie en a les capacités, et elle dispose de pas moins de 28 variétés de dattes dont Deglet Nour, qui ne peut se rattacher qu’à la région de Biskra. Les dattes Deglet Nour se présentent sous deux formes : celles produites par des palmeraies irriguées, et qui s’oxydent au bout de quelques jours, et celles produites par des palmeraies non irriguées, et qui peuvent conserver leur qualité une année durant.

Néanmoins, la commercialisation de la datte à l’export présente de nombreuses difficultés, à l’image de la mise à niveau du conditionnement et surtout de la logistique à l’export. Selon notre interlocuteur, les procédures et la logistique pour l’exportation de la datte ne devraient en aucun cas dépasser les 24 heures, afin de mettre sur le marché un produit de primeur et donc très concurrentiel, à des périodes bien précises (la période des fêtes particulièrement). En plus des procédures, le même spécialiste pointera du doigt la faiblesse des moyens d’affrètement par cargo aérien et leur coût excessif.

Oléiculture : être compétitif ou disparaître

Il faut dire que l’archaïsme des moyens logistiques mis en place est mis en avant par l’ensemble des exportateurs et plus encore les producteurs de biens agroalimentaires vu la spécificité de leur segment d’activité, qui requiert des délais de livraison record. Malheureusement, l’Algérie est encore loin du compte. Ainsi, le représentant d’Ifri Olive a estimé que même si les producteurs algériens d’huile d’olive ont les capacités de tenir tête à la concurrence sur le marché européen, ils se font souvent déclasser par leur incapacité de respecter les délais de livraison. Le même responsable a également indiqué que certains producteurs algériens présentent un très bon rapport qualité-prix, d’autant que la production algérienne peut se présenter sous la norme bio.

Or, la lourdeur des procédures à l’export, la faiblesse des moyens logistiques au niveau des ports algériens, ainsi que l’absence d’un couloir vert pour les exportateurs handicapent les producteurs algériens. Ainsi, son entreprise ne peut pas livrer sa marchandise avant une bonne quinzaine de jours, alors que l’exportateur européen peut le faire en 4 jours. Il mettra également les problèmes liés à l’absence de la certification et l’homologation bio et au label lequel doit impérativement être pris en considération selon la région de production, le climat et les caractéristiques pédologiques. Notre interlocuteur mettra aussi le doigt sur l’archaïsme de nombreuses exploitations oléicoles que ce soit pour le traitement des vergers, la collecte, le stockage et l’oléifaction qui devront impérativement être améliorés afin de pouvoir commercialiser une huile de haute qualité. Il précisera dans ce sens que le marché européen est très demandeur en matière d’huile extra vierge dont le taux d’acidité ne dépasse guère les 0,8%. Le représentant d’Ifri Olive a également évoqué la concurrence de certains producteurs qui n’hésitent pas à faire des mélanges avec de l’huile de tournesol et qui pourrait porter un sérieux coup à l’image de marque de l’huile d’olive algérienne.

Le miel algérien face à la concurrence des importateurs

De toute évidence, la concurrence déloyale mine le marché local, et cela ne concerne pas seulement l’huile d’olive. La commercialisation du miel est, depuis quelques années, au centre de la polémique, d’autant que les apiculteurs locaux dénoncent régulièrement la concurrence des importateurs. Ces derniers s’indignent surtout de l’absence de laboratoires de contrôle spécifique au niveau national.

Ainsi, un apiculteur transhumantier, membre de l’Association des apiculteurs algériens et de l’Union des apiculteurs arabes, a estimé que les autorités en charge du contrôle de la qualité sont dans l’incapacité de vérifier l’origine et les caractéristiques du miel importé. L’indignation des apiculteurs est allée crescendo lors du fameux épisode durant lequel l’Arabie saoudite a exporté du miel d’origine chinoise vers l’Algérie. Notre interlocuteur a précisé que ce genre d’incident peut présenter un réel danger pour la santé publique vu que le miel chinois peut contenir des résidus de chronoficole, produit utilisé dans le traitement des ruches, mais qui peut être toxique pour les êtres humains !C’est ainsi que les apiculteurs algériens ont pris pour habitude de faire contrôler, de manière individuelle auprès de laboratoires français, le miel introduit en Algérie. Quant aux possibilités d’exportation, elles sont pour l’heure éloignées. Car, même si le miel produit localement présente de nombreuses qualités à un prix concurrentiel, deux obstacles majeurs demeurent : ils s’agit de la mise à niveau des exploitations que ce soit en termes de production, de packaging ou de marketing et de l’absence d’homologation susceptible de permettre l’exportation du produit dans les normes. Notre interlocuteur regrettera aussi l’anarchie qui règne dans la filière apicole qui a ouvert la porte aux non-professionnels et le manque de pâturages nécessaires à la plantation de plantes mellifères à l’image du jujubier.

Escargots : passer de la simple collecte à l’élevage

Les produits du terroir algérien sont nombreux, à l’image des pâtes alimentaires traditionnelles (dont le couscous), les produits laitiers ou encore la figue, dont la production et la commercialisation souffrent des mêmes difficultés. D’autres créneaux semblent, toutefois, s’ouvrir comme l’exportation des escargots algériens qui comptent quatre variétés, à savoir le gros gris, le petit gris, la mourguette et l’aperta. L’entreprise Souyadi Export a investi, depuis 2004, dans ce créneau à Mila et réussit à exporter annuellement vers le marché européen entre 200 et 250 tonnes d’escargots à l’état brut. L’entreprise réussit également à écouler de l’escargot conditionné en tomate ou en court bouillon au Maroc. L’opérateur affiche certaines ambitions, vu qu’il vient de passer de la simple collecte à l’élevage de deux variétés d’escargots (le gros gris et le petit gris) à l’est du pays. L’escargot d’élevage représente d’ailleurs 20% de ses exportations et a entamé un programme de formation au profit d’une dizaine d’éleveurs. Cependant, même si le marché européen est très demandeur, les réseaux de distribution restent à l’état embryonnaire, étant essentiellement constitués de restaurateurs.

A la lumière de ces différentes expériences, il devient clair que la valorisation des produits du terroir à l’export passe impérativement par l’homologation, la certification, la labellisation ainsi que la levée des obstacles logistiques et la création d’un couloir vert. Or, tous s’accordent à insister sur le fait que le problème qu’il faut poser en premier reste celui de la production, réorganiser les filières, élargir les surfaces d’exploitation et mettre fin à leur archaïsme pour les rentabiliser. Cela permettra, à coup sûr, de reconquérir le marché local d’abord et s’orienter à l’export, ensuite.

M. R.