« L’ouverture des négociations avec les porte-parole autorisés du peuple algérien », extrait de l’appel de la déclaration du 1er novembre 1954.
La délégation du GPRA à Evian
La volonté des dirigeants du FLN, les initiateurs de l’action armée, d’aller vers une solution négociée est affirmée dès le premier jour du déclenchement de la guerre. D’ailleurs, et à moins qu’on soit subjectif, le recours à la lutte armée a été, depuis les années quarante, un moyen de poser politiquement le problème algérien. Bien que, de nos jours, l’histoire officielle veuille nous présenter cette guerre dans sa seule dimension armée, il n’en reste pas moins que les allumeurs de la mèche furent, dès le départ, conscients qu’une victoire purement militaire était irréalisable sur le terrain. En effet, la disparité des moyens entre les deux camps ne permet pas de tabler sur un tel exploit. En effet, à un auteur d’un texte expliquant que les conditions d’un Diên Biên Phu sont réunies en 1957, Abane Ramdane l’aurait, selon Rédha Malek, corrigé en affirmant que « ce genre d’exagération, lui dit-il, est superflu et ne sert pas la cause de la révolution. »
Quoi qu’il en soit, du côté français, la réponse aux questions politiques des « indigènes » a toujours été répressive. Dans cet esprit, toute négociation est systématiquement renvoyée aux calendes grecques. En 1956, avec l’arrivée des socialistes au pouvoir, le Front populaire va susciter un espoir de paix. En effet, pendant la campagne électorale de décembre 1955, Guy Mollet a axé ses discours sur sa détermination à mettre fin à « une guerre imbécile ». Mais la victoire électorale en métropole signifie-t-elle pour autant que le dirigeant est en mesure de mettre en œuvre son projet ? Malheureusement, sous la IV République, le pouvoir est fragile à tel point que le lobby colonial peut précipiter la chute de n’importe quel président du conseil.
La journée du 6 février 1956, correspondant à le venue de Guy Mollet à Alger en vue de nommer le général Catroux, offre la preuve, si besoin est, de la puissance de ces seigneurs de la colonisation. Cela dit, bien que les ultras de la colonisation aient montré de quoi ils étaient capables, le président du conseil, malgré sa reculade face aux ultras, tente d’afficher des velléités de dialogue avec les Algériens. Mais la formule avancée par Guy Mollet est à mille lieues des aspirations algériennes. En tout cas, il avance une solution médiane résumée par le triptyque : cessez-le-feu, élections, négociation. Pour rassurer les ultras, Guy Mollet leur donne les gages en nommant Robert Lacoste à la tête du gouvernement général à la place du général Catroux. Celui-là est connu pour sa propension à la lutte sans pitié contre la « rébellion ».
Toutefois, vers le début mars 1956, Guy Mollet désigne un émissaire en vue d’ouvrir un dialogue avec les représentants algériens. « À son retour d’un voyage à New Delhi et à Karachi, M. Christian Pineau, ministre des Affaires étrangères, s’arrête au Caire où il a, le 5 mars 1956, des conversations avec le président Nasser. Tenant – à tort !– celui-ci pour l’homme clé de l’affaire algérienne, « il lui propose l’ouverture de pourparlers secrets avec le FLN », écrit Rédha Malek, dans son livre L’Algérie à Evian : histoire des négociations secrètes 1956-1962. Malgré l’hésitation des membres de la délégation extérieure, ces représentants décident d’aller à la rencontre afin de connaitre les intentions françaises. C’est à Mohamed Khider, ancien député du MTLD, qu’échoit la mission de représenter le FLN à cette rencontre. En face de lui, il y a Joseph Begarra. Ce membre du comité directeur de la SFIO, ancêtre du PS, et bien qu’il soit connu pour ses idées libérales, n’est là que pour justifier le triptyque énoncé par Guy Mollet quelques jours plus tôt. Pour lui, « il s’agirait d’élire au collège unique une assemblée législative qui aurait compétence sur toutes les affaires algériennes sauf celles relatives au statut personnel des Français, lequel resterait du ressort du parlement métropolitain. » En outre, cette disposition doit être précédée d’un arrêt total des combats. Ces deux conditions étant réunies, la négociation pourra commencer.
D’une façon générale, comme le constate d’emblée Mohamed Khider, les positions algériennes et celle défendue par l’envoyé non officiel de Guy Mollet se situent aux antipodes. Quoi qu’il en soit, l’ancien député d’Alger accepte le principe de dialogue. Au cours de la discussion, il souligne avec fermeté les principes du FLN. « Khider rappelle que les interlocuteurs algériens ne doivent être autres que ceux désignés par le FLN, lequel n’acceptera de négocier avec la France que si elle admet le principe d’un État algérien jouissant de tous les attributs de la souveraineté », écrit Rédha Malek à propos des échanges entre les deux hommes. Cependant, à l’examen de ces positions, il apparaît de toute évidence que l’écart des positions est insurmontable. Cela dit, pour tester la bonne foi du délégué français, Khider lui demande si le gouvernement français pourrait permettre à la délégation extérieure du FLN de se rendre dans les maquis afin de recueillir l’avis des combattants. Ce à quoi le délégué français, après une concertation avec son collègue Georges Gorse, répond par la négative.
De toute évidence, on ne peut retenir, de cette rencontre du Caire, qu’une seule chose : le dialogue, après 18 mois de guerre, est enfin amorcé. Car bien qu’il y ait eu des contacts au cours de l’année 1955, ceux-ci ne visaient qu’à utiliser des Algériens en vue de couper l’herbe sous les pieds du FLN. Cela dit, après la rencontre du Caire, le contact est rompu. Mais cette rupture ne va pas durer longtemps. En effet, quelques mois plus tard, l’initiative vient à nouveau du gouvernement français. En rencontrant l’ambassadeur de Yougoslavie, le représentant de Tito à Paris, Guy Mollet souhaite qu’il y ait l’ouverture des pourparlers avec les Algériens. Ainsi, le 26 juillet 1956, les deux délégations, algérienne et française, se rencontrent dans la capitale fédérale yougoslave, l’île de Brioni. Au cours de cette rencontre, la délégation algérienne est représentée par M’hamed Yazid et Ahmed Francis. Du côté français, c’est Pierre Commin qui représente Guy Mollet. De ce contact, ayant duré 48 heures, aucune décision n’est prise. Il est juste convenu de se revoir entre le 15 et le 20 août 1956. En tout cas, bien que les délégués du FLN soient déçus par l’attitude des délégués français refusant le principe d’une rencontre « sans ordre du jour préalable », les délégués algériens prennent part à la rencontre de Rome du 17 août 1956. Après une heure de discussion, les plénipotentiaires se donnent rendez-vous pour le lendemain. Aux inquiétudes algériennes soulignant que les délégués français n’engagent pas le président du Conseil, Pierre Commin rassure : « Discussions préliminaires secrètes entre représentants officiels du président du Conseil et les représentants du FLN ».
Cependant, cet engagement inattendu est perçu par les délégués du FLN comme une avancée réelle, vue la rigidité initiale de la position française. Les représentants du FLN demandent, du coup, à ce qu’une nouvelle rencontre soit organisée. Entre temps, ils informent leurs collègues de la délégation extérieure. « Du 2 au 5 septembre se tiennent de nouveaux pourparlers destinés à entamer les questions de fond. Du côté algérien, Mohamed Khider, M’hamed Yazid et Abderrahmane Kiouane. Du côté français, Pierre Commin, accompagnés de Cazelles et Pierre Herbault », écrit Rédha Malek. Au cours de ces entretiens, les délégués français proposent une large autonomie pour l’Algérie. Les Affaires communes, selon eux, sont les suivantes : Les libertés publiques et les droits individuels, les questions militaires, les Affaires extérieures et enfin la planification économique et les problèmes financiers. Tout compte fait, en constatant que des avancées sont tout de même faites, les deux délégations décident de se rencontrer derechef à Belgrade vers le 15 septembre. Dans cet intervalle de temps, les délégués du FLN engagent une concertation. Avec une semaine de retard, le 22 septembre se tient enfin la réunion. Face à Pierre Herbault, Mohammed Khider et Mohamed-Lamine Debaghine représentent le FLN. Ce dernier exprime sans ambages le refus des Algériens de négocier sur la base du schéma proposé lors de la rencontre de Rome.
A la volonté d’Herbault de convaincre les délégués du FLN, Debaghine répond sur un ton péremptoire : « Avant toute discussion sur le fond, la condition sine qua non exigée par le peuple algérien en guerre pour la libération est la proclamation de l’indépendance ». Cela dit, quoi qu’on puisse épiloguer sur la pusillanimité des dirigeants français à amorcer le processus de décolonisation, et ce de peur d’être renversés, la réponse d’Herbault résume les limites des institutions de la IV République à aller vers une véritable négociation. « Aucun gouvernement français ne peut prononcer le mot indépendance concernant l’Algérie, sans être immédiatement renversé », rétorque-t-il à Lamine Debaghine. D’ailleurs, cette rencontre est la dernière d’une série de contacts entamés au Caire six mois plus tôt. Néanmoins, bien que Guy Mollet ait, à un moment, encouragé ces rencontres, il ne pouvait pas – et c’est le moins que l’on puisse dire – faire davantage de crainte de voir son pouvoir remis en cause par le lobby colonial. D’ailleurs, faisait-il le poids face à son armée engagée dans une politique de sauvegarde des colonies ? En tout cas, au moment décisif, son armée va agir sans se référer au pouvoir politique. En effet, sans qu’il soit consulté, les militaires français détournent l’avion des dirigeants de la délégation extérieure se rendant à Tunis pour assister à la conférence intermaghrébine. Le but de la rencontre est indubitablement de rechercher une solution à la guerre. Mais ce coup de force renvoie la négociation sine die. Finalement, les contradictions et la faiblesse de la IV République vont contribuer incontestablement à sa chute. Sans cela, l’indépendance de l’Algérie serait une chimère.
Boubekeur Aït Benali