Les portes de l’Europe se sont fermées anéantissant l’espoir de milliers de migrants en quête de terres clémentes où ils espéraient pouvoir un jour peut-être redémarrer une vie meilleure. Cet espoir qui a mené un grand nombre d’entre eux à Alger s’est très vite transformé en un cercle vicieux d’où il est désormais presque impossible de sortir.
Abla Chérif – Alger (Le Soir) – Sur la route de Bordj-el-Kiffan, à l’est d’Alger, une mama africaine discute dans une langue incompréhensible avec une petite fille allongée sur ses genoux. Son visage ébène est marqué par de profondes rides qui s’accentuent lorsqu’elle sourit. Elle semble ne pas avoir encore acquis les mots qu’ont appris les plus jeunes pour communiquer avec les Algériens. Elle reste en retrait tandis que les plus jeunes se dressent en milieu de route, tendant la main aux automobilistes. Des familles syriennes leur font concurrence. Des jeunes filles portant un hidjab très strict (gants et chaussettes y compris) tiennent, chacune de leur côté, de petites pancartes comportant un message qui ne peut laisser indifférent : «Famille syrienne sans patrie et sans moyens demande l’aide de ses frères algériens.»
Le spectacle n’est pas nouveau, les Algériens y ont droit depuis de longues années déjà. Le pays s’est lentement transformé en territoire vers lequel de nombreuses nationalités, subsahariennes notamment, se dirigent pour fuir les guerres et la misère qui secouent le continent. L’attraction pour l’Algérie, longtemps présentée comme étant le fruit de la stabilité qui y règne, est aussi due à la fermeture des points d’accès vers l’Europe par les gouvernants des pays en proie à une immigration massive.
Au Niger, Fort-Madame se trouverait depuis un moment sous contrôle de soldats italiens déployés pour empêcher les mouvements migratoires. Situé dans la région d’Agadez, non loin des frontières libyennes, le lieu est considéré comme étant l’un des principaux points de passage des migrants vers l’Italie. Engagée dans un combat inédit pour la protection de ses frontières, Rome promet depuis un moment d’élever la présence militaire à 470 soldats.
Forcées de rebrousser chemin, les populations en déplacement n’ont d’autre choix que de se diriger vers les frontières algériennes. Le passage malien n’est guère plus attrayant. La présence des soldats français engagés dans l’opération Barkhane mais aussi celle des groupes terroristes activant dans la région réduisent fortement les déplacements de masse. Des passeurs professionnels se chargent de les orienter vers les frontières algéro-nigériennes, loin des points de passage vers les rives européennes hautement surveillées. Peu à peu, le territoire algérien s’est vu accueillir environ 500 000 migrants subsahariens, à en croire les chiffres détenus par l’ambassadeur d’Italie en Algérie. Arrivés sur place, ils se rendent à l’évidence : les portes de l’Europe sont fermées, les conditions d’accès dans le cadre de l’immigration quasiment nulles.
«Je préfère mourir que de retourner au pays»
«Mieux vaut mourir ou se faire emprisonner que de retourner au pays», s’écrie un jeune Nigérien accroupi à l’entrée des Bananiers. «Là-bas, il n’y a rien, nous sommes jeunes, nous avons besoin de vivre, de travailler, d’avoir une maison, d’être traités comme des êtres humains.» D’un signe de la main, il montre un groupe de jeunes hommes et jeunes filles allongés sous un arbre. «Le seul lien qui nous lie à la vrai vie, c’est ça, dit-il en brandissant un portable, chaque soir, on discute avec nos amis qui ont pu s’établir il y a longtemps en Europe.» Tenter l’aventure est trop risqué, voire impossible «quand des barques de harragas partent, on privilégie les Algériens, ils demandent beaucoup d’argent pour ne pas nous emmener avec eux, pourtant moi je m’en fous même si j’aboutis dans une prison italienne ou espagnole ce sera pour un temps. Ici, en Algérie, ce n’est pas possible de travailler, on passe notre temps à se cacher pour éviter d’être expulsés.» Les plus chanceux ont été recrutés dans des chantiers. «Certains payent, d’autres se contentent de nous donner à manger et nous renvoient après que nous avons accompli le travail.»
Quoi que l’on puisse en penser, les réfugiés subsahariens paraissent suivre de très près les nouvelles les concernant. A la recherche permanente d’informations les concernant, ils sont continuellement en contact avec un «grand frère» qui les informe des dernières nouvelles. Le débat autour de la volonté européenne de créer des camps de réfugiés durant une période officiellement destinée à étudier les cas a produit un grand effet. Le refus de la Libye, la Tunisie et l’Algérie aussi. L’espoir suscité par cette annonce a été bien court.
L’Italie, principale initiatrice du projet d’ouverture de ces camps, ne semble cependant pas avoir lâché prise. Il y a quelques jours encore, le ministre italien de l’Intérieur annonçait son intention d’entreprendre une tournée qui le mènerait successivement à Alger, Tunis et Rabat. Il propose d’allouer à ces pays 1 milliard d’euros pour lutter contre l’immigration clandestine. Aucune réaction ne s’est fait entendre chez les concernés. Des spécialistes parlent d’ambiguïté, d’une certaine volonté de forcer la main au Maghreb. Depuis, aucune nouvelle de la visite de Matteo Salvani (qui devait intervenir durant ces jours).
«À Alger, on tourne en rond»
Tout aussi renseignés que les Subsahariens, des réfugiés syriens avouent eux aussi s’être rendus à Alger dans l’objectif de préparer «un plus grand voyage vers l’Europe». Ceux-là ne font pas partie du réseau syrien qui a su s’implanter sans difficultés dans le pays. Ils font partie des castes aisées forcées de quitter à la hâte une Syrie déchirée, devenue invivable.
En arrivant à Alger, ces derniers ont su très rapidement rebondir, investir dans le commerce, la restauration en particulier, organisant en parallèle des réseaux de soutien à leurs compatriotes moins chanceux. Mais il en reste toujours une partie «à la rue», incapable de redémarrer une vie décente. On les voit à Bouzaréah, à El-Biar, assis en famille dans l’attente d’une aide, dans la banlieue-est d’Alger suppliant les passants et les automobilistes. Beaucoup d’entre eux auraient bien aimé se rendre à l’étranger.
«J’ai de la famille en Allemagne, raconte Souha d’une voix douce. Depuis plusieurs mois, j’essaye de ramasser de l’argent pour m’y rendre. C’est très cher, les démarches sont également très difficiles, ma sœur qui est arrivée là-bas la semaine dernière a été refoulée, elle mendie en Egypte. Moi aussi je mendie ici. Les autorités algériennes aident financièrement ceux qui désirent retourner au pays (en Syrie) mais là-bas, c’est pire.»
A. C.