L’abattage de quelque 250 000 porcs, décidé par les autorités égyptiennes en réaction à l’épidémie de grippe mexicaine, est une mesure bien plus politique qu’utile: elle reflète les tensions communautaires qui montent en Egypte. Décryptage de notre correspondant.
La décision prise mercredi 29 avril par le président Hosni Moubarak de faire abattre tous les porcs en Egypte n’a pas grand chose à voir avec la lutte contre la grippe porcine (depuis rebaptisée « grippe mexicaine »), même si elle en est une conséquence directe.
Les autorités égyptiennes ne s’en cachent d’ailleurs pas: « Nous profitons de cette occasion pour régler la question de l’élevage sauvage », a déclaré un porte-parole du ministère de la Santé. Les porcs sont pour la plupart élevés dans des conditions d’insalubrité extrême par la minorité chrétienne (environ 8% de la population) et notamment par les éboueurs du Caire, les fameux zabbalines dont Soeur Emmanuelle avait partagé la vie.
Leur abattage est « une mesure d’hygiène générale, pour transférer ce genre d’élevage dans de vraies fermes, pas dans des décharges », a précisé Saber Abdelaziz Galal, directeur du département des maladies infectieuses au ministère de l’Agriculture.
Ce que les autorités ne disent pas, c’est que cette mesure extrême et totalement inutile pour endiguer l’épidémie (elle est d’ailleurs critiquée par l’OMS et la FAO) est aussi -et sans doute surtout- politique. Depuis le début de la semaine, la pression n’avait cessé de monter en Egypte, où la majorité musulmane est très hostile à l’élevage des porcs, un animal considéré comme « impur » par l’Islam.
La décision du président Moubarak a donc permis de désamorcer les critiques qui se multipliaient dans la presse, sur les plateaux télévisés et jusque dans les travées du Parlement contre « l’inaction » du gouvernement, plus prompt, selon ses détracteurs, à faire abattre les poulets pour lutter contre la grippe aviaire.
Mais les attaques visaient aussi les zabbalines chrétiens, stigmatisés par certains commentateurs comme des « porteurs potentiels » de la maladie. Des accusations potentiellement explosives en cas d’irruption de l’épidémie, alors que l’Egypte a enregistré l’an dernier une « forte augmentation des violences interreligieuses, aussi bien en fréquence qu’en répartition géographique », rappelle le défenseur des droits de l’homme Hossam Bahgat.
Ces tensions intercommunautaires et le risque de nouveaux « pogroms » ne sont sûrement pas étrangers à la décision des autorités de renoncer -temporairement?- à leur projet de déplacer les élevages dans une région au sud du Caire, où le mouvement islamiste des Frères musulmans est très influent…
L’Egypte n’est pas pour autant tirée d’affaire: non seulement le risque d’épidémie n’est pas écarté, mais des heurts violents ont déjà éclaté entre éleveurs et agents des services vétérinaires venant tuer leurs bêtes.