Des forces antiémeute brutalisent les manifestants au Caire
Jamais il n’a été donné de voir un Egyptien humilié de la sorte, en pleine rue, à plus forte raison devant le palais de la présidence de la République, ce palais si symbolique.
Hamada, c’est un nom commun en Egypte. Celui d’un citoyen ordinaire. Anonyme dans la foule qui, assise à même le sol poussiéreux quelque part près d’une pyramide, regarde passer le temps. Et la vie avec. Hamada, c’est un nom idéal pour un personnage de Naguib Mahfoud. Il présente la consonance parfaite pour une rime de Fouad Nagm et peut même être le «voleur d’autobus» de Ihsen Abdelqouddous que nous interprétait si magistralement notre cher Azeddine Medjoubi.Hamada c’est aussi l’espoir tant porté par Taha Hussein ou l’amour au quotidien de ces chanteuses bédouines du bord du Nil. Même la célèbre Chadia avait fredonné, de son temps, sa fameuse «la, y a Hamada».
Hamada c’est une histoire. Celle de toute une population. Comme la misère qui enveloppe tout un pan de l’Egypte et qui resserre les liens entre ses individus. C’est aussi le quotidien de la majorité des Egyptiens en ce qu’il a de simple et d’honnête, c’est-à-dire de beau, malgré le pain qui manque et l’indifférence qui tue. Hamada c’est le pourquoi de la révolution qui a évincé Moubarak.
C’est l’argument de ceux qui avaient investi la place Tahrir. C’est la misère dont les Egyptiens souhaitent sortir mais aussi dans l’espoir qu’ils portent chacun de leurs regards, de leurs gestes, de leurs mots. Hamada c’est l’hymne de la révolution en Egypte.
Mais, durant le règne de Morsi, la réalité est dure. Très dure même. Hamada est devenu le symbole du rêve brisé, comme on brise les os d’un manifestant à coups de matraque.
Une scène digne d’un film de terreur
Il est retombé sur terre et a découvert qu’il représente l’espoir déchiré, exactement comme on déchire un pantalon. C’est l’expression d’une haine indicible de tous ceux qui ont la possibilité à l’égard de ceux qui ne l’ont pas.
Hamada c’est cette fois, un homme dépassant la cinquantaine que les policiers s’étaient mis à sept, à huit et parfois même à dix, pour le tabasser. Il était roué de coups.
Dévêtu complètement, ils le traînaient sur le sol pour l’emmener jusqu’au camion antiémeute avant de le jeter carrément, avec violence et dédain pour revenir le chercher, le traîner jusqu’au camion et le rouer de coups avant de le hisser à plusieurs et le jeter par terre.
Le pantalon enroulé autour de la cheville droite, le corps complètement nu, l’homme essayait de s’enfuir lorsqu’ils l’avaient laissé partir enfin. Cette scène, digne d’un film «d’horreur, de terreur et violence» est pourtant bien réelle. Elle se passe en Egypte.
L’Egypte post révolution qui espérait enfin retrouver la liberté, les droits et surtout… la dignité. Jamais il n’a été donné de voir un Egyptien humilié de la sorte, en pleine rue. Jamais, à plus forte raison devant le palais de la présidence de la République, ce palais si symbolique pour les simples citoyens qui croyaient pouvoir y trouver depuis la chute de Moubarak compréhension, générosité et surtout respect.
Les citoyens, comme celui qui fut tabassé ce jour, un certain Hamada Saber, ouvrier de profession et dont l’âge dépasse les cinquante ans, sont donc «molestables» à volonté.
Selon le bon vouloir des policiers ou selon les ordres du régime de Morsi. Ils auraient, avec leur vote en faveur de Morsi, opté pour ceux qui leur déchirent les vêtements et les traînent nus à même le sol. Bavure? Non! Certainement pas, car il s’agit, pour ainsi dire, d’une culture.
La nouvelle culture qui dirigera l’Egypte ou, si l’on veut, la culture des nouveaux patrons du pays des Pharaons. Choquée à la découverte de la vidéo qui se répandit en un clin d’oeil sur la Toile, la population n’a pas fini de se demander ce qui lui arrive. Est-ce possible? Même les policiers de Moubarak n’avaient pas fait cela. Bien sûr, l’administration de Morsi se dépêcha de… faire porter le chapeau au pauvre malheureux Hamada.
On ne contredit pas les policiers
On l’accusa d’abord d’avoir été «en possession de 18 cocktails Mololov et de deux bidons d’essence», ce qui – dans la logique du communiqué – justifiait le comportement lâche et honteux des policiers. Puis, s’étant rendu compte que l’excuse ne pouvait être avalée du moment que Hamada n’avait que deux bras et ne pouvait donc porter 18 cocktails Molotov deux bidons d’essence, l’administration de Morsi tenta, par le biais du ministre de l’Intérieur lui-même, une autre justification. L’homme était, affirme-t-il, «déshabillé par des agitateurs» et, blessé au «pied à la chevrotine». C’est parfait Monsieur le ministre. Et que faisaient tous ces policiers avec lui alors?
Le ministre affirme que les policiers «ont tenté de le porter jusqu’au fourgon blindé même si la manière de l’avoir traîné a été entachée d’abus». Oui! Mais est-ce ainsi qu’on transporte le blessé? En fonçant dessus avec des matraques, en le traînant et en le jetant à plusieurs reprises.
La bonne action du scout,
quoi! Même le pauvre Hamada ne savait pas exactement ce qu’il devait dire aux télévisions qui l’avaient retrouvé après la diffusion de la vidéo sur la Toile. Il semble qu’il devait confirmer les dires du ministre et du ministère de l’Intérieur. Ses parents ont affirmé, pour leur part, qu’il subissait une pression énorme. On ne contredit pas les policiers du nouveau régime.
En Egypte, on a l’impression que c’est… reparti pour une autre éternité. Il paraît que, en dernière minute, Hamada aurait pris son courage à deux mains et accusé les policiers. En attendant, l’opposition saute sur l’occasion pour demander la démission du ministre de l’Intérieur. Morsi se mure dans son silence et la population regarde foncer sur elle l’inconnu que craint toute révolution. Révolution pour rien? Cela y ressemble.
En attendant de voir les nouveaux rebondissements de l’affaire, Hamada serait une autre affaire sur les épaules déjà pas très puissantes d’une présidence entachée. En attendant, Hamada rentre dans sa coquille et oublie qu’il avait cru faire une révolution pour améliorer sa condition de vie. Il redevient l’Egyptien moyen que racontent les Naguib Mahfoud.
La rime que nous récitera Fouad Nagm. Celui qui fait le quotidien d’une Egypte profonde, assise à même le sol boueux du soi-disant printemps arabe et qui regarde passer le temps des Arabes et leur vie avec.
Le vent des changements n’aurait apporté que des coups de matraque à ceux qui y croyaient? La, ya Hamada!