En matière de santé en Algérie, il n’y a de compassion pour le patient ni dans le service public, ni dans le privé. Le citoyen en arrive à prier pour une mort subite, plutôt que de subir les affres d’un traitement indigne ou ruineux, dans les structures de santé.
Secteur stratégique par excellence, garant de la cohésion sociale, la santé en Algérie reste un chantier nébuleux, sans bases solides, ni plans cohérents. Juste des semblants de solutions conjoncturelles et des effets d’annonces. Et dire que le président des Etats-Unis, Baraak Obama, risque gros, ces jours-ci, en tentant de réformer le système de santé de son pays !
En Algérie, il y a presque autant de réformes que de ministres en charge du secteur. Pour quels résultats ! Devant l’anarchie chronique des structures de santé publique, incapables d’assurer accueil et service «dignes» aux malades, l’ouverture à l’entrepreunariat privé dans le domaine s’est faite dès 1988 (cf décret 88-204 du 18 octobre 1988 fixant les conditions de réalisation, d’ouverture et de fonctionnement des cliniques privées), dans l’optique de résorber, un tant soit peu, cette défaillance. Très rapidement, ces structures privées envahissent le «marché».
Sur le site de l’Agence nationale de développement (AND), il est noté : «Dans les secteur privé, 221 cliniques sont opérationnelles et emploient près d e 100% de spécialistes , 200 médecins généralistes et 1 200 agents paramédicaux, pour une capacité d’accueil de 3 400 lits». Ces statistiques datent d’avant 2006, puisqu’elles sont reprises par le rapport de l’OMS sur le développement humain de la même année.
Depuis, la part du privé dans le secteur de la santé, sensée être complémentaire, s’est accrue de manière presque exponentielle. Ce qui, en soi, n’est pas une mauvaise chose. Seulement, l’absence d’un contrôle rigoureux, d’un encadrement efficient de ses activités et pratiques et l’incapacité, voire la mauvaise volonté, des pouvoirs publics d’intégrer ce secteur dans leur «politique» de santé et leurs mécanismes de Sécurité sociale ont créé une hydre sans scrupules, qui profite des malheurs des familles.
Devant les défaillances d’un secteur public rongé par la surpopulation, les pénuries, les rendez-vous qui trainent en longueur, le népotisme, le comportement agressif d’employés toujours en ébullition, par rapport à leurs indemnités et conditions de travail, le patient en détresse est quasiment poussé dans les bras grands ouverts des structures privées.
Poussé, car les sirènes aux chants envoûtants des cliniques, laboratoires, et autres prestataires de services médicaux privés sont implantés partout. Il n’est pas rare que des salariés des établissements publics, des radiologues, des médecins, des agents de laboratoires d’analyses, ou des professeurs orientent les patients vers des structures privées, avec lesquelles ils sont conventionnés, de manière officielle ou pas. Alors, le privé s’emporte.
Cliniques spécialisées, mini-hôpitaux, laboratoires d’analyses, prestataires de services de santé, ambulances, paramédicaux à la carte… les créneaux s’emballent et les prix aussi. «Pour transporter mon père malade sur une distance de cinq kilomètres vers l’hôpital de Ben Aknoun, j’ai dû appeler une ambulance privée. On m’a facturé le trajet à 8 000 DA. C’est affolant», témoigne ahurie, Rachida. Elle poursuit : «Comme on devait ramener mon père à la maison après un pose de prothèse de hanches, il fallait avoir recours à un infirmier à domicile.
Des cartes de visite de ces paramédicaux sont disponibles au niveau des pharmacies. Une fois contactés, ces infirmiers avancent des tarifs affolants». Suivant les soins à dispenser, les prix se situent à plus de 6 000 DA par jour. C’est insupportable. D’autant qu’on ne peut pas déplacer le malade vers les structures de soins publiques tous les jours». Des patients se sont vu proposer des prothèses de hanches à plus de 1 500 000 DA. D’autres ont payé la naissance de leurs enfants à plus de 700 000 DA.
Des opérations sont effectuées à des prix exorbitants par les patients sans pouvoir bénéficier du remboursement de leurs soins, eux qui cotisent à longueurs d’années de travail à la Sécurité sociale. Il ne s’agit pas ici de diaboliser le secteur publique, mais seulement de dénoncer la perversité de la situation que vie le citoyens dans un système de santé à deux vitesses.
L’Algérie qui se targue d’avoir une politique basée sur la gratuité des soins -une affirmation controversée puisque la Sécurité sociale, donc le contribuable, est le principal financeur du système de santé-, invite ses citoyens à mettre la main à la poche pour se soigner. Avec 300 dollars par an et par habitant dépensés par l’Etat en matière de soins, «le reste à soigner» sort des escarcelles du malade et de sa famille. Il est temps que l’Etat donne toute son importance au secteur de la santé.
Pas seulement en annonçant le nombre de structures mises en place ou en cours de réalisation ou d’équipement acquis et à acquérir.
Une véritable politique de santé fixant les priorités, le rôle du secteur public et celui du privé, la hiérarchisation des soins, la valorisation de la ressource humaine… Et «mettre le patient au coeur du système de santé national» comme le revendique toujours, le Pr Farid Chaoui, gastro-antérologue et analyste de la situation sanitaire. En attendant, le Far-West de la santé en Algérie achève nos malades. Tous les coups sont permis.
S. A.