Les notes confidentielles de l’ex-ambassadeur français à Alger

Les notes confidentielles de l’ex-ambassadeur français à Alger

L’’ex-ambassadeur de France en Algérie, Bernard Bajolet, dresse un tableau noir sur l’état de l’Algérie au début de l’année 2008, dans un câble diplomatique américain classé confidentiel obtenu par Wikileaks et publié par le quotidien espagnol El Pais.

Le diplomate français, nommé cette semaine à la tête de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), le plus important service de renseignement français, s’exprimait au cours d’une d’une rencontre avec l’ambassadeur US à Alger. L’ambassadeur français Bajolet a déclaré à l’ambassadeur américain le 23 janvier 2008 que lui et le gouvernement français redoutent que l’Algérie se dirige progressivement vers plus d’instabilité, mais ils ne voient pas d’autre alternative qu’un troisième mandat pour Bouteflika en 2009.

Bajolet, qui a été diplomate à Alger dans les années 1980, a déclaré que l’intérêt stratégique de la France en Algérie est avant tout sa stabilité et son développement économique. Le flux migratoire des algériens qui fuient leur pays vers la France pèse lourdement sur les sensibilités politiques françaises et, ultimement, sur les liens sociaux entre les deux pays. Le gouvernement français, dit-il, constate qu’aujourd’hui il y a peu de progrès positifs en Algérie :

– Les municipalités, qui sont plus proches de la population, n’ont ni le pouvoir ni les ressources pour répondre aux besoins locaux;

– Le gouvernement est incapable de prendre et d’assumer les décisions difficiles ; Bajolet a qualifié cela de sorte d’immobilisme;

– Les partis politiques bénéficient de peu d’espace et semblent plutôt disposés à faire des coups à court terme et manquent d’une vision politique à long terme;

– L’intérêt que porte le public au système politique a fortement décliné, comme on le voit dans les deux élections de 2007;

– Le climat des affaires est difficile et ne s’améliore pas; l’investissement et la création d’emplois font défaut (Bajolet a noté qu’une association d’affaires française avait préparé un livre blanc qui détaille les problèmes auxquels se heurtent les entreprises françaises en Algérie et la manière avec laquelle on peut y apporter des solutions. Bajolet a fait observer que le ministre de l’Intérieur Yazid Zerhouni et le gouvernement algérien étaient inquiets à l’idée qu’il soit rendu public.) ;

– La corruption a atteint un nouveau sommet et interfère dans le développement économique.

– Bouteflika et ses ambitions pour un troisième mandat

Bajolet a dit qu’il a compris que l’armée a donné son accord à la révision de la constitution pour permettre à Bouteflika de se présenter à nouveau aux élections de 2009.

Bajolet a déclaré que Bouteflika jouit d’une bonne santé et qu’il pourrait vivre encore plusieurs années. Il a supposé que l’amélioration de l’état de sa santé et son activisme lui ont conféré davantage d’influence sur l’armée.

Cela dit, Bajolet était aussi d’avis que le consensus au sein de l’armée pour soutenir un troisième mandat pour Bouteflika découle en partie d’une opinion largement répandue que Bouteflika ne terminera pas son troisième mandat en raison de ses problèmes de santé.

La relation entre l’armée et Bouteflika reste encore difficile. Par exemple, les Français ont conclu que les services de renseignement ont encouragé le ministre des Moudjahidines, Cherif Abbas, à critiquer Sarkozy à la veille de sa visite en Algérie pour provoquer l’annulation du voyage et mettre ainsi Bouteflika dans l’embarras.

Bajolet dit que les Français sont extrêmement prudents sur ce qu’ils disent aux Algériens à propos de la révision de la constitution qui permettrait à Bouteflika de se présenter à un troisième mandat, élection dont tout le monde comprend qu’il sortira gagnant. Bajolet a senti que les Algériens ont clairement lancé l’idée publiquement à nouveau juste avant la visite de Sarkozy en décembre pour vérifier si le président français allait déconseiller Bouteflika de modifier la constitution. Sarkozy s’est intentionnellement abstenu de le faire.

Bajolet a fait observer que les Français n’ont pas une idée sur le successeur éventuel de Bouteflika. Il a noté que l’ancien Premier ministre, Hamrouche, parle de réformes, mais les Français ne savent pas s’il est effectivement en mesure d’aller vers un programme de réformes.

Les Français croient que l’ancien Premier ministre, Ouyahia, est encore un autre apparatchik et jouit de peu de popularité dans le pays. Bajolet a conclu que l’absence d’un successeur évident, qui pourrait contrecarrer Bouteflika, est source d’instabilité.

Par contre, les Français ont décidé que pour eux le meilleur message à livrer est d’être neutres sur la question du troisième mandat de Bouteflika, mais que le gouvernement doit commencer à s’occuper des graves problèmes économiques et politiques de l’Algérie. (Bajolet est particulièrement intéressé par la question de la décentralisation, par exemple.)

Bajolet a exprimé sa vive préoccupation sur la situation sécuritaire et posé de nombreuses questions à propos de notre dernier message d’alerte. Nos recommandations pour les Américains d’éviter les écoles étrangères l’avaient mis dans une situation difficile, a-t-il noté, car il y a deux écoles de langue française officielle à Alger.

Bajolet a affirmé qu’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) semble cibler principalement le gouvernement algérien ainsi que les objectifs étrangers pour mettre les autorités algériennes dans l’embarras. L’ambassadeur a exprimé son désaccord, faisant valoir que de son point de vue AQMI cible les deux à la fois, mais avec des objectifs différents.

Il cible le gouvernement algérien pour le placer dans une situation difficile mais aussi pour se venger des pertes subies par AQMI. Il s’attaque aux étrangers pour les chasser d’Algérie (et, finalement, déstabiliser le gouvernement algérien).

Bajolet a noté que les cibles françaises sont nombreuses, y compris les centres culturels français et les résidences diplomatiques en Algérie. Toutefois, jusqu’à présent, les services de sécurité ont géré efficacement les menaces qui pèsent sur les Français et ont, selon lui, tenu les autorités françaises au courant de ces menaces.