Aucune industrie, aucune agriculture, aucune économie ne peut fonctionner sans la force ouvrière. Si la finance, la technologie et le management sont indispensables pour faire tourner la machine, ils ne sont cependant pas suffisants. Car, on aura toujours besoin des travailleurs. Même les usines robotisées nécessitent la présence humaine, pour la programmation, le contrôle et l’entretien des machines-robots.
Le patronat, qu’il soit public ou privé, ne peut exister sans les travailleurs et inversement. Toutefois, cette interdépendance n’implique pas toujours une cohabitation sereine. Elle est même, souvent, ombrageuse, avec des rapports plus d’opposition et de confrontation que de convergence et de collaboration, les intérêts des uns n’étant pas ceux des autres. C’est cette dichotomie au sein de l’entreprise qui a engendré le syndicalisme, porte-parole, porte-étendard et fer de lance de la lutte ouvrière contre l’appétence des patrons qui peut aller jusqu’à l’exploitation. Mais les évolutions et les mutations économiques ont induit des changements dans les approches et attitudes des patrons comme des syndicats.
La concurrence de plus en plus rude, d’autant plus avec la mondialisation, impose aux deux parties de revoir leurs positions respectives. Personne n’a intérêt à ce que l’entreprise s’arrête. Ça sera un manque à gagner pour tous, quand ce n’est pas le risque de disparition pure et simple de l’entreprise phagocytée par la concurrence, et des emplois par conséquent. L’Algérie s’oriente vers l’optimisation de ses entreprises pour les mettre à niveau, les rendre performantes et concurrentielles pour qu’elles puissent s’imposer sur le marché interne qui s’ouvre à l’international et, à terme, arracher des parts sur les marchés internationaux.
Pour atteindre ces objectifs, la direction et la gestion de toutes les entreprises doivent être confiées à de véritables managers. Or, un chef d’entreprise digne de ce nom ne peut accepter que le budget de l’entreprise enregistre des dépenses dues à des suremplois tolérés par l’Etat pour résorber le chômage et exigera donc un «dégraissage».
Le syndicat n’aura d’autres alternatives que d’accepter le départ des travailleurs «inutiles» pour permettre à l’entreprise de se redéployer ou s’y opposer, quitte à bloquer l’action du manager et maintenir l’entreprise, et tous les travailleurs, au creux de la vague. La réaction des syndicats aux compressions de personnels qui ont été décidées, est une réponse en soi. Et l’Etat, pour se garantir de toute explosion sociale et des taux de chômage élevés, a répondu favorablement aux syndicats en intégrant le maintien de tous les emplois dans les conditions de reprise ou d’entrée dans les capitaux des entreprises.
Pourtant, la logique économique voudrait que l’entreprise, dont la seule mission est de créer de la richesse, soit mise dans les conditions idoines pour le faire, et c’est donc à l’Etat d’assumer le redéploiement des travailleurs. Le syndicat devra à ce stade changer de position et de cible. Ainsi, le dialogue se portera sur un autre terrain.
Dès lors, un terrain d’entente, un consensus, même a minima, devait être trouvé autour d’une table de négociation où la confrontation sera remplacée par le dialogue. Et il l’a été. Qu’il s’appelle «pacte de responsabilité», «contrat social» ou «pacte économique et social», le consensus se base sur des concessions de part et d’autre, chaque partie revoyant à la baisse ses prétentions, car ayant compris que l’aisance et la richesse, pour le patron comme pour le travailleur, ne peuvent être assurées que par la croissance. C’est cette règle qui a sous-tendu toutes les rencontres tripartites tenues jusque-là.
Et elle est en passe de devenir «la règle d’or» dans les relations entre les syndicats affiliés à l’Union générale des travailleurs algériens, le patronat et le gouvernement. Le programme du Président le traduit clairement et l’inscrit dans le chapitre «Promotion de la démocratie participative et de la décentralisation». «Un autre instrument précieux de démocratie participative est le mécanisme de concertation tripartite qui sera renforcé dans le sens d’une participation plus inclusive et d’une régularité de ses sessions pour forger un solide consensus autour d’un Pacte Economique et Social de croissance et en assurer la mise en œuvre», lit-on.
Cette politique du dialogue est confirmée dans la partie dédiée à l’économie où il est dit que le souci constant de la stratégie de développement qui vise l’édification d’une économie émergente «sera d’inscrire le développement économique dans une perspective de protection des acquis sociaux du peuple et de renforcement de la solidarité nationale et de la cohésion sociale. Ainsi les synergies entre les secteurs, les opérateurs économiques et les partenaires sociaux seront encouragées et appuyées afin d’assurer une articulation optimale entre les impératifs d’efficacité économique et ceux de l’équité sociale».
Tel qu’énoncé, le dialogue et la concertation devant aboutir à un consensus autour d’un Pacte économique et social banniront l’exclusion les ayant caractérisés jusque-là, exclusion qui frappe principalement les syndicats autonomes, malgré leur représentativité et leurs capacités de mobilisation. Les grèves que ces syndicats ont déclenchées dans différents secteurs en sont la preuve.
Evidement, il appartient à ces organisations de revoir également leurs positions quant à l’opportunité des revendications, d’une grève, de sa durée, en ayant en vue l’intérêt commun et l’obligation du service public. Prendre en otage un secteur est souvent contre-productif. Mais, de leurs côtés, les pouvoirs publics ont aussi une responsabilité qui devrait leur interdire de brandir cette obligation de service public comme une arme pour éviter d’ouvrir des négociations autour de revendications plus que légitimes.
H. G.