Les Mozabites, la mort d’un rêve berbère ?

Les Mozabites, la mort d’un rêve berbère ?

« Mozabite civilisation unique depuis des millénaires nous ne dirons jamais assez combien des hommes ont pu lutter à contre-courant pour préserver dans un climat délétère généralisé, des vertus et des valeurs ancestrales. C’est le cas de l’admirable communauté mozabite…Merci à eux d’exister. » (1)

Le marché historique de Ghardaïa

Admirables au point de faire partie du patrimoine universel de l’Unesco sans avoir exercé aucun pouvoir sans avoir payé des pots-de-vin encore moins posséder un seul puits de pétrole. Ces « extraterrestres » made in bled sont-ils en train de disparaitre comme les abeilles qui laissent leur place aux cafards et aux rats ? Visiter le Mzab et ne pas succomber à son charme relève de la pathologie. Au commencement, affirment les historiens, il y avait des Berbères qui ne voulaient pas s’unir, voulaient être libres et conserver leur vaste et verte terre. Trois folies qui prises séparément ne sont pas une mince affaire, les assembler c‘est illico mortel.

À la veille de l’invasion arabe, le Maghreb était « un pays sans cohésion, en train de s’écarter d’une civilisation mourante, abandonnant peu à peu les institutions romaines pour revenir aux traditions ancestrales, mal soumis à des chefs byzantins qui, eux-mêmes, se détachaient de leur métropole. » (2) Et pourtant, le « perfide » Maghreb résista aux Arabes durant plus de 5 siècles alors qu’il a suffi d’une seule bataille et moins de 4000 hommes pour s’emparer du pays des pharaons : l’Egypte. On imagine la résistance des Amazighs s’ils avaient eu plus de cohésion et un appui civilisateur plus fiable. Mais ces têtes de mule s’ils ont fini par accepter l’Islam n’ont jamais cédé au calife que l’épée enfoncée dans la gorge. Ils le haïssaient. « … ce régime, qui reposait sur le bon plaisir du Calife et l’exploitation systématique des vaincus, ne pouvait fonctionner sans jalousies et sans révoltes. » Les descendants de Qoraîch exigeaient d’être les maîtres partout et le Coran qu’ils propageaient disait : « “O, Les gens, Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle et vous avons désignés en nations et tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. Oui, le plus noble des vôtres, auprès de Dieu, c’est le plus pieux…” (Sourate 49- verset 13) C’est les convertis qui se révélèrent hélas les plus pieux et sommés d’avoir autant de noblesse que les esclaves. Le Calife, Khalife, le « remplaçant » du Prophète, le Commandant des croyants, une idée de génie pour leurrer son monde : toute religiosité est soumise à ses caprices. Les choses n’ont pas vraiment changé, nos Raïs veillent toujours au Message et ce dernier n’est là que pour veiller sur eux. Résultat, on se retrouve avec des pays les plus corrompus les plus arriérés les plus instables et surtout les seuls pourvoyeurs de terroristes malgré l’unicité du verbe de la foi et la baraka du pétrole. Or les Berbères avaient l’habitude de choisir leur propre chef et le destituer quand il décevait. Une hérésie pour le califat. À des siècles d’écart, la démocratie revendiquée par les jeunes de la Kabylie, de la place Tahrir, de l’avenue Bourguiba, de la place Taksim… se résume au fond à la même chose. Les Beni Hilal ont eu raison des Amazighs comme les baltaguiyas des jeunes de Facebook.

Aujourd’hui, rares sont les Algériens qui se revendiquent descendants de ces rebelles. Pourtant, d’après les scientifiques nous partageons notre ADN avec ces oubliés de l’histoire officielle. On a le même chromosome Y (paternel) à 85% – 95% quant aux chromosomes X (maternel), ils frisent les 100% suivant la loi exponentielle inversée. Les premiers enfants des conquérants (venus sans leurs femmes arabes) et des autochtones naissaient à 50 % berbères d’après les lois de la biologie. Les études aussi ont démontré que l’ADN des Palestiniens est plus juive qu’arabe. Ben Bella, premier président autoproclamé de l’Algérie indépendante mort en Sage de l’Afrique, a lancé son tamtam de sorcier au premier discours : Arabe ! Arabe ! Arabe ! Comme la répudiation par trois… Les malchanceux Mozabites sont les seuls survivants de ceux qui ont cédé à l’Islam, mais pas aux Arabes. C’est grâce à leur courant kharidjite (les sortants) qu’on doit l’islamisation du Maghreb sous l’influence des prédicateurs ibadites d’Irak portant les noms de « propagateurs de la science». Sur la vie de leur imam, le persan Ibn Rostem, les historiens arabes pourtant habitués à encenser son ennemi, le Calife, n’ont pas hésité à écrire (3) : « … Il n’était pas un étranger s’arrêtant dans la ville qui ne se fixât chez eux et ne construisit au milieu d’eux, séduit par l’abondance qui y régnait, la belle conduite de l’Imam, sa justice envers ses administrés et la sécurité dont tous jouissaient pour leurs personnes et leurs biens… » Quel exploit quand on sait que pour sauver leur peau, ces damnés avaient choisi le lieu le plus inhospitalier le plus isolé : la vallée du Mzab surnommée Chibka, le filet. Comme les Japonais au lendemain d’Hiroshima, ils ont réussi le miracle malgré l’hostilité des hommes et de la nature : »ils ont inventé un système hydraulique unique au monde, un réseau de tunnels souterrains utilisé pour capturer les eaux de pluie et les amener au oasis. Ce système de distribution permet à tous les jardins de recevoir la même quantité d’eau.

En outre, ce système permet à la ville d’éviter les crues de l’oued. Un système millénaire perpétué de génération en génération et fièrement gardé par les ouamanas, ces gens de confiance que la communauté désigne pour gérer les affaires de la cité. » N’est-ce pas la définition de notre utopie à tous aujourd’hui : élire des hommes de confiance… ? Le paradoxe de l’Algérie du 21eme : d’un coté elle semble chercher un Ibn Rostem et d’un autre, elle élimine ses derniers Rostémides. Les medias racontent que tout a commencé par un groupe de jeunes, sans surprise, la décennie noire a commencé aussi par quelques Hilaliens dont les ancêtres ont obéi au Calife d’Egypte pour éradiquer tous les gènes résistants. Sur ce bulldozer, Ibn Khaldoun écrit : «Dès ce moment, l’esprit d’hérésie et de révolte qui avait si longtemps agité les Berbères de l’Ifriqiya se calma tout à fait. » Pas tout à fait. Les mêmes causes donnent les mêmes effets. Les Egyptiens, ces anciens coptes qui ont accueilli les Arabes à bras ouverts ont fini par avoir eux aussi leurs « Berbères » place Tahrir (libération) pour finir en « Mozabites » malgré l’expulsion d’un Karadoui. Ce « mufti de l’obscurité et du dollar » (3), du haut de son minbar de Doha qui a déclaré que la nouvelle constitution égyptienne est « l’œuvre des partis laïques et des chrétiens qui appellent au meurtres des musulmans. » Une constitution clonée à la précédente : l’Islam religion d’Etat et la charia source principale de la législation. Le général Sissi, candidat à la présidentielle, lui a répliqué : « Le nom de celui qui occupera le fauteuil du pouvoir y est déjà inscrit par la volonté de Dieu.» Tous les prédicateurs de l’Islam s’accordent sur un seul point : l’obéissance à leur Commandant des croyants. Et pour faire diversion, il faut se débarrasser des minorités quitte à les inventer. En Algérie, on ne fait pas dans l’exception à y voir de plus prés, si nos ancêtres ont anticipé, l’inné ne vaut rien sans l’acquis. Et on a acquis la plus grande armée , le plus puissant réseau d’espionnage, une société quadrillée par des associations courtisanes, des pétrodollars à flot, une population malléable, une école qui veille à fournir de l’excellente matière pour la mosquée de l’imam, ce précieux fonctionnaire, ce petit commandant des croyants téléguidé pour voir le danger dans la bûche de Noël pas chez un Aqmi, dans la vertu des femmes de ménage de Hassi-Messaoud pas du coté où se déversent ses pipelines … Quand la guerre de 1914 éclata, l’Empire ottoman, vainqueur de tous les djihads jusqu’au cœur de l’Europe, se trouva curieusement bien démunie. Marcel Proust a donné une explication en citant un article datant de 1892 signé par le comte Cholet dans Voyage en Turquie d’Asie : « Entre le développement des idées nouvelles et le progrès de la science, il faut une harmonie dans un Etat équilibré. En Turquie, elle n’existe pas…Le paysan qui n’a personne au-dessous de lui, victime des exactions qui se poursuivent avec méthode, du Wali (gouverneur) au simple Zaptieh (policier) travaille avec une ardeur admirable, et jamais n’arrive à acquitter l’impôt qu’on lui réclame. Une armée d’administrateurs mangeant (c’est le terme consacré) leurs administrés, tel est le spectacle que présente l’empire ottoman. »

Que dire de l’équilibre du Maghreb quand ses habitants de souche pourtant convertis devaient s’acquitter du double impôt. « Outre l’instabilité, l’Afrique subissait sans défense, les exigences fiscales des Califes. Pour éviter l’épuisement du trésor par l’extension de l’Islam, les Omeyyades avaient eu l’idée ingénieuse de contraindre les nouveaux convertis au payement de l’impôt foncier (kharâj) et de la capitulation (jiziya), dus régulièrement par les seuls infidèles.» L’injustice combinée à l’idiotie : manger le fruit et arracher les racines. Qui a fait l’Age d’or de l’Islam, la civilisation arabo-musulmane sinon ces minorités persécutées : Ibn Sina, Al Khawarizmi, Abou Bakr al Râzi, Omar Khayyâm…tous des chiites persécutés bannis par l’histoire officielle arabe comme les Berbères et qui ne doivent leur postérité qu’à l’Occident à l’exemple de ces cerveaux qui fuient dans l’indifférence et le soulagement des dictateurs. Le seul facteur humain qui a fonctionné en Algérie c’est bien celui de la vallée du Mzab et il est en train de disparaitre comme les Bouddhas d’Afghanistan les mausolées de Tombouctou nos mausolées et ruines antiques. Or le pouvoir islamique de la Turquie qui fait l’admiration de nos Hilaliens couronnés n’a réussi qu’en s’alliant aux Gûlenistes, une confrérie animée par l’imam kurde Gûlen, qui comme Ibn Rostom flirte avec le soufisme et concilie science et religion au lieu de les affronter. Sa devise : plus d’écoles que de mosquées en un mot pas de religion sans science. Il puise dans l’esprit des jésuites qui ont fait sortir l’Europe de son obscurantisme religieux vers les Lumières. Imaginons Boumediene au lieu de jalouser les Mozabites les avait invités à mettre leur savoir-faire au service du pays… Des historiens occidentaux (4) affirment que Charles Martel n’a pas vaincu les Arabes à Poitiers. Ces derniers étaient obligés de s’enfuir pour mater une énième révolte berbère. L’Occident a donc échappé à l’Invasion grâce à la «perfide» Ifriquiya. Mais comment le monde arabe d’aujourd’hui va échapper au monde arabe d’hier ? Le mot hogra (injustice) est sur toutes les lèvres pas seulement au Maghreb. Le 15 aout 1945, le message radiodiffusé d’Hirohito le 124e empereur du Japon disait : « …supporter ce qui parait insupportable, tolérer ce qui paraît intolérable…unissez toutes vos forces en vue de la construction de l’avenir…en vous mettant au rythme du progrès universel. » Un mot du Tennô (l’empereur) et tous ses sujets se seraient « kamikazés » or l’éducation nipponne est basée sur le sacrifice d’un, quel que soit son statut, pour sauver la communauté. Quant aux Arabes, c’est l’inverse, le khalife, le représentant du Prophète sur terre, doit être obéi même au sacrifice de toute la communauté surtout quand la rente pétrolière rend l’impôt superflu. Obéir en cessant de réfléchir ou réfléchir en cessant de vivre ? Tous les sultans l’ont bien compris, ils abrutissent leurs sujets par une arabité qui assure leur lignée et un Islam asservi à leurs besoins.

Dans le passé, on disait des Berbères insoumis trop romanisés, aujourd’hui c’est la jeunesse démocrate qui est jugée trop occidentalisée. L’Algérie arabe et islamisée depuis plus de 10 siècles, indépendante depuis plus d’un demi-siècle est totalement paralysée par la santé d’un Raïs. 40 millions d’âmes liées de force à une seule âme. Se révolter ? Contre qui ? Contre quoi ? Comment ? Comme en octobre 88 pour sombrer dans le terrorisme avec la question «qui tue qui ?» alors qu’il fallait se demander « à qui profite le crime ? ». Puisque pendant que le sang de la populace apolitique coulait à flots, des taupes bien politisées démantelaient ce qui restait de l’Algérie en toute quiétude. Toute notre histoire repose sur l’anomalie de cette masse traumatisée et du mauvais bouc émissaire à sacrifier. Dès lors, on se dit bêtement que demain les survivants de ce gâchis ne pourraient pas s’en sortir sans l’aide des Mozabites au moins pour répondre à cette question : comment vaincre un désert « chibka » après la dernière razzia des derniers Beni Hilal ?

Mimi Massiva