CHRONIQUE D’UNE ÉLECTION PAS COMME LES AUTRES
En imposant aux futurs candidats aux élections législatives du 10 mai prochain la production d’une preuve formelle légalisée de leur «inscription sur la liste électorale de la circonscription électorale concernée», l’article 5 du décret exécutif n°12-26 du 24 janvier relatif au dépôt des listes de candidatures à l’élection des membres de l’APN a réussi à mettre brutalement dans un hors-jeu électoral intégral nombre de grosses pointures électorales et de candidatures de dinosaures du régime.
La première de ces victimes expiatoires semble avoir été, une fois n’est pas coutume, l’indétrônable et inamovible ministre de l’Education nationale, qui a eu à constater à son honneur défendant, qu’il pouvait être le plus ancien des ministres de l’Education de la planète et s’avérer un piètre connaisseur des dispositions du décret exécutif rappelé plus haut, pourtant examiné en Conseil des ministres et signé par le secrétaire général de son propre parti dans l’exercice de ses fonctions de Premier ministre. Il a eu surtout à vérifier qu’il pouvait échouer «bêtement» et in extremis dans le ré-échafaudage des mécanismes pouvant assurer sa nième rééligibilité en qualité de député-ministre par les lointains cousins de son lieu d’origine, tout en réussissant à maintenir «intelligemment» un record mondial absolu dans l’occupation continue du même poste pendant plus de 15 ans et de celui de ministre depuis 20 ans ! Moralité : même nos ministres les plus chevronnés qui ont élu durablement domicile à Club-des-Pins dans la périphérie de la capitale depuis la fin du siècle dernier ne connaissent pas encore l’adresse de leur propre domicile électoral pour les prochaines élections ! Si comme on le susurre dans les couloirs du siège national du RND, le malheureux candidat Benbouzid a fini par faire contre mauvaise fortune bon cœur, en faisant le deuil sur les prochaines législatives, les questions de fond que soulève la stricte application de cette disposition de la loi ne sauraient être éludées d’un revers de main. Elles devraient préoccuper au plus haut point et interpeller l’ensemble du dispositif de contrôle des élections du 10 mai prochain. En effet, la définition du domicile occupe dans toutes les législations électorales du monde une place juridique centrale dans la détermination de la qualité d’électeur et consubstantiellement celles des conditions d’éligibilité des électeurs-candidats. Si pour le commun des électeurs et des mortels, cette question n’a qu’une importance secondaire et relative, en raison du fait que l’élection de domicile se confond presque la plupart du temps avec le domicile de l’élection, pour les candidats semi-nomades résidant à Club-des-Pins, c’est-à-dire quasiment tous les ministres, le statut électoral de cette résidence secondaire devenue permanente se pose. Elle se pose avec d’autant plus d’acuité et de complexité, que le tracé de la frontière juridique entre le domicile, la résidence et l’habitation a toujours constitué l’un des casse-têtes les plus riches en matière de production de jurisprudence dans le domaine du droit civil. En effet, le domicile est généralement défini comme l’endroit où l’on peut trouver la personne : il répond au premier chef à un impératif de police civile. Au-delà de la présence effective et permanente de la personne, le domicile est ressenti comme le lien qui unit une personne à un lieu. Partant de là, il est aisé de conclure que cette définition succincte du domicile implique une présomption de présence permanente de la personne en ce lieu. Par ailleurs, l’étude de la notion de domicile est toujours dominée par certains caractères qui lui sont propres : toute personne n’a et ne doit avoir qu’un seul domicile, même s’il est admis par ailleurs qu’elle peut avoir une ou plusieurs résidences. Tout comme le patrimoine, le domicile est donc un élément indissociable de la personnalité. La loi algérienne définit d’ailleurs le domicile comme étant «l’habitation principale» (article 36 du code civil). S’il n’y a qu’un seul domicile, il faut donc opérer une hiérarchie entre les différents établissements et habitations secondaires de la personne considérée. Or, la loi organique du 12 janvier 2012 relative au régime électoral reprenant à son compte cette pertinente définition du domicile établie par le code civil, dispose : «Nul ne peut voter s’il n’est inscrit sur la liste électorale de la commune où se trouve son domicile au sens de l’article 36 du code civil.» Quand on sait que l’habitation principale, conjugale, légale pour tous les ministres est selon toute évidence Alger, et celle politique et sécuritaire Club-des-Pins (une exception bien algérienne), comment les Amar Tou, Tayeb Louh, Harraoubia pour ne citer que les plus en vue d’entre les ministres concernés par notre propos, peuvent-ils justifier la légalité de leur candidature dans le douar qui les a vus naître, quand la loi remet en cause de manière formelle y compris leur droit de vote dans leur wilaya d’origine, s’ils n’y résident pas de manière permanente. Quand on se rappelle, par ailleurs, que ces ministres n’ont jusque-là raté au cours de ces dernières années particulièrement prolifiques en matière d’organisation de scrutins électoraux en tous genres aucune occasion d’exhiber devant les caméras de l’Unique leur empressement à s’acquitter de leur devoir électoral à Alger, on ne peut que se poser des questions sur la légalité et la sincérité de la procédure qui leur a permis d’être électeurs et éligibles hors de la wilaya où ils ont leur «habitation principale». Une seule réponse : une double inscription sur les listes électorales d’Alger et de leur wilaya d’origine. Si tel devrait être le cas, il s’agirait d’une pratique de fraude qui tombe sous le coup des dispositions d’un autre article de la nouvelle loi organique relative au régime électoral qui dispose en son article 8 : «Nul ne peut être inscrit sur plusieurs listes électorales» et puni «d’un emprisonnement de trois mois à trois ans» par l’article 210 de la même loi. «Entre élection de domicile et domicile de l’élection des ministres candidats», voilà un beau sujet susceptible de permettre aux magistrats membres de la toute nouvelle Commission de supervision des élections de s’acquitter de l’une de leurs trois principales missions, à savoir «apprécier toute violation des dispositions de la présente loi organique » (article 170). Question subsidiaire : un magistrat membre de cette commission peut-il invalider la candidature de son ancien-futur ministre de la Justice, de surcroît originaire du même «douar» que celui du premier magistrat du pays ? Mais là est déjà une toute autre histoire !…
M. K.