Ce qui devait être un sit-in pacifique à l’intérieur du centre hospitalo-universitaire Mustapha Bacha, à Alger, s’est transformé en un défilé réprimé par les services de sécurité. Il est 11H ce mercredi 1 juin.
Plus de mille médecins résidents, en grève depuis trois mois, affluent vers le CHU de Mustapha Bacha. Reçu par le président de l’APN, les protestataires exigent des excuses officielles de la part du Premier ministre pour ses propos outrageants envers la corporation.
L’occasion de dénoncer la récente sortie du Premier ministre Ahmed Ouyahia et réclamer, plus que jamais, le principe de l’abrogation du service civil auquel ils sont assujettis pendant une période d’une année à quatre ans.
« Nous avons été blessés dans notre dignité. On a remis au cause notre patriotisme», s’attriste Mohamed Sahnoun, membre du Collectif autonome des médecins résidents algériens.
12 H. Les médecins résidents tentent de forcer le dispositif policier, mis en place aux alentours de la bâtisse hospitalière. Les éléments de CRS n’hésitent pas à recourir à la trique. Des coups de matraques pleuvent sur les grévistes. Plusieurs blessés sont enregistrés. Dans la soirée, on apprendra que 15 médecins ont été blessés dont 5 dans un état jugé grave.
L’assaut des CRS provoquée aussi un mouvement de foule, des médecins sont piétinés.« Ils nous ont violemment chargés. Pourtant, on voulait juste marcher pacifiquement », raconte une résidente, essoufflé, en montrant sa main sous un bandage de fortune.
Dans ce face à face, une centaine de manifestants réussissent aux environs de 12H3O à franchir le cordon policier et marcher de la place du 1er mai, vers le siège de l’APN. Bloquées par les policiers, le gros des troupes s’est cantonné à l’intérieur du CHU.
Le groupe de téméraires peut arpenter la rue Hassiba Ben Bouali, en passant par le Commissariat central, pour déboucher sur le boulevard Zighout Yousef, siège de l’APN. On accélère le pas, de peur d’être stoppé net par un dispositif policier.
Une fois n’est pas coutume, les marcheurs ne trouvent pas de difficultés à faire avancer procession. « Où est le dispositif ? Vite, il faut les arrêter », ordonne, d’une voix rocailleuse, un officier dans son talkie-walkie.
Arrivés au siège de l’assemblée, sans trop de peine, les manifestants improvisent un rassemblement et bloquent la circulation automobile. A peine si un petit couloir est concédé aux passants.
La liberté de mouvement des marcheurs sera de courte durée. Il a suffit d’une poignée de minutes pour voir des renforts de CRS, armés de gourdins, débouler sur les lieux.
En contrebas de l’hémicycle, des camions et des fourgons cellulaires de police viennent de stationner devant l’entrée du port d’Alger.
Encerclés, les protestataires en blouses blanches brandissent des cartons rouges, en signe de colère contre « les provocations » de Ahmed Ouyahia et la non satisfaction de leur revendications.
Un porte-parole du CAMRA est menacé directement par un officier de police: « Il m’a menacé personnellement et m’a dit que je ne passerai pas la nuit chez moi », témoigne-t-il.
« Nous nous excusons auprès du malade, Ouyahia en décidé ainsi !», « Quelle honte! Un parlement sans prérogatives! », « On n’est pas des hors-la-loi, nous voulons nos droits ! », « Barakat El Hogra barakat ! (finie l’injustice)»…Les slogans scandés à gorges déployés par les marcheurs illustrent autant leur désarroi face à une situation qui s’enlise depuis presque 3 mois que leur détermination à poursuivre le mouvement.
Plus nombreux que les manifestants, policiers en uniforme et en civil, veillent au grain. On chasse les badauds. «Circulez, y a rien à voir !», lancent, dans un langage parfois peu sympathique, des officiers à l’endroit de citoyens curieux.
Solidaire avec les grévistes, un vieux qui ne refuse obtempérer aux injonctions, crache sa colère : « Ouyahia ? Mais c’est lui qui a ruiné l’espoir en l’Algérie. Il doit rendre des comptes pour tout ce qu’il a fait. »
Perché sur une fenêtre du siège de l’APN, un homme costumé, prend des photos des manifestants. Ces derniers sifflent en signe de désapprobation.
Plusieurs protestataires, rencontré sur les lieux, dénoncent le fait que des policiers se soient introduits à l’intérieur de l’hôpital où leurs collègues étaient bloqués. « Les forces de l’ordre ne doivent rentrer à l’hôpital qu’en temps de guerre. Ce qui n’est pas le cas. Un CRS n’a rien à faire dans un hôpital, si ce n’est réprimer des médecins. Ils l’ont déjà fait avec les étudiants en pharmacie, les chirurgiens dentaires. On est dans la loi de la jungle », s’indigne Mourad, un délégué des médecins résidents. « Les médecins ont le sens du civisme, et c’est inacceptable que les CRS recourent à la matraque », enchaine un autre.
Outre le retrait de la commission du service civil, les médecins résidents maintiennent toujours de la grève illimitée après l’échec des négociations avec le ministère de la Santé. « Nous avons constaté une très mauvaise volonté de la part de la tutelle pour régler ce problème », affirme un délégué.
« On a politisé une demande qui avait trait à une politique sanitaire pour lui donner un caché politicien. On nous a parlé de souveraineté nationale et de risque de déstabilisation du pays si le service civil était abrogé », ajoute-t-il.
Selon lui, le service civil, l’unique politique destinée à assurer une couverture sanitaire des zones reculées, a montré ses limites après onze ans d’application.
« Le malade souffre du manque de couverture sanitaire même si on leur a offert des médecins sans moyens. Nous travaillons $dans des conditions précaires. On se retrouve à effectuer une peine de prison. On purge notre peine, sans pour autant soigner les citoyens », estime-t-il, affirmant que l’Algérie doit changer sa politique de santé en allant de l’obligation vers l’incitation.
14H30. Les protestataires occupent toujours la rue. Si une délégation des médecins résidents est reçue par Abdelaziz Ziari, président de l’APN, les grévistes ne fondent aucun espoir.
Selon un des participants à cette audience, les résidents exigent des excuses officielles du Premier ministre, Ahmed Ouyahia, pour ses propos outrageants envers la corporation. Le président de l’APN leur a dit que lui-même était choqué par de tels propos et s’est engagé à transmettre leurs doléances et aussi prendre en charge leur revendication d’abrogation du service civil.
Ils attendent de voir.