Le Ramadhan frappe, déjà, à nos portes et tout le monde lui souhaite la bienvenue. Mais pendant que les gouvernants rassurent, la mercuriale s’enflamme, les spéculateurs se frottent les mains et les familles aux petites bourses ne savent plus où donner de la tête ! Est-ce une triste fatalité ?…
Comme l’année passée, l’insupportable est que le mois de Ramadhan coïncide avec la fête de l’Aïd et la rentrée scolaire. Des échéances angoissantes et difficiles sur le plan des dépenses.
«Du stress des dépenses de la rentrée de mes deux enfants, un garçon au collège et une fille à l’université, et celles du Ramadhan et de l’Aïd, la note va être très salée», confie Sid-Ali, 50 ans, avec le sourire de celui qui sait que ce n’est pas avec sa paie d’employé dans une mairie qu’il pourra assumer toutes ces charges.
«Heureusement que j’ai, avoue-t-il, mes petites affaires à gauche, à droite. Sans ça, ce serait la catastrophe…» Une catastrophe que beaucoup de chefs de famille aux maigres escarcelles appréhendent à mesure que le Ramadhan approche.
«Les gouvernants assurent que des mesures ont été prises pour que les produits alimentaires, notamment les viandes blanches et bovines, soient disponibles à des prix abordables, mais je ne peux m’empêcher de penser aux Ramadhans précédents, lorsque nous avons été réduits à bouffer des pâtes au f’tour», relate, avec amertume, Messaoud, serveur dans un restaurant d’un quartier huppé de la capitale et rencontré au marché de Chéraga où la mercuriale n’incline pas aux réjouissances.
Là, à voir les prix affichés à trois jours du Ramadhan, toutes les craintes de Messaoud et de nombreux chargés de famille paraissent justifiées.
«Les prix sont astronomiques ! Allah yestar !»
Des prix tout feu, tout flamme ! En dépit de la qualité et de la profusion des produits sur les étals, les ménagères, fréquentant ce marché de la région ouest d’Alger, sont sidérées par l’inexplicable mais subite augmentation des prix.
Ainsi, la salade est cédée à 50 DA le kg, l’oignon entre 35 et 50 DA, les poivrons de qualité moyenne à 65 DA le kg, la tomate à 50 DA le kg, les haricots à écosser entre 100 et 130 DA le kg… Inutile de gloser sur le poulet qui prend des ailes à 330 DA le kg et les viandes rouges entre 800 DA et 1 600 DA pour le filet de boeuf.
Par décence, nous tairons les prix du foie et de la crevette royale ! Inaccessible aux petites bourses. «Les prix sont astronomiques ! Allah yestar ! Je n’arrive même pas à remplir mon couffin.
C’est difficile, on ne peut pas laisser cette situation comme ça. Avec le Ramadhan qui approche à grandes enjambées, je ne m’en remets qu’à Dieu. Issalakha aâla khir !», dira, d’un ton fataliste, une mère de famille de quatre enfants et femme de ménage dans un hôpital de la banlieue d’Alger.
Au vrai, le Ramadhan, c’est la crainte de beaucoup de gens, aux «rentrées» modestes, d’être molestés par une autre flambée des prix et une spéculation conséquente et «impunie» sur d’autres produits de base, tels que l’ail et le citron qui ont décroché des records historiques, l’année passée, à 400 DA le kg !… Bien sûr, tous les Algériens ne sont pas logés à la même enseigne.
Face à l’extrême pauvreté des uns beaucoup plus nombreux, il y a la richesse ostentatoire des autres. «Les dépenses des citoyens sont variables », explique un vieux marchand de fruits et légumes, établi dans l’enceinte du marché depuis des lustres. «Fi Ramadhan, confie-t-il, il y a des personnes qui remplissent leurs couffins jusqu’à 3 000 DA par jour, d’autres, en revanche, ne dépassent guère les 300 DA pour leur pitance quotidienne. Koul wahed oussaâdou !»
Ce n’est pas le fait que le mois de Ramadhan intervient, cette année, en plein été, qui chagrine les Algériens mais bel et bien une mercuriale déjà inaccessible aux petites bourses. «Sidna Ramadhan peut intervenir à n’importe quel moment de l’année, cela ne pose aucun problème. En revanche, il est difficile de comprendre que les prix des produits alimentaires enregistrent des sauts vertigineux à chaque veille du mois sacré», remarque Mouloud, la trentaine, chauffeur dans une société privée.
D’ici là, il n’y a pas de quoi pavoiser ! «A mon avis, explique-t-il, seules les pratiques spéculatives, plus ou moins autorisées par l’Etat laxiste, passif, sont à l’origine de ce phénomène».
Il serait futile et inutile de prévoir, affirme-t-il, si le marché des produits alimentaire est aussi saignant et que le concept de solidarité nationale soit un vain mot. «J’ai dû bosser, à mi-temps, cet été, pour économiser de quoi assurer convenablement un bon Ramadhan. Mais au regard des prix déjà affichés, je sens que cela va être difficile».
Pourtant, fin juillet de l’année en cours, les gouvernants, ministères du Commerce et de l’Agriculture, se sont engagés «à renforcer les capacités de stockage et d’importation» dans le but de constituer un important stock de viandes. Au total, 4 000 tonnes de viande bovine congelée seront importées d’Inde et 4 200 tonnes de viande blanche (déjà stockée et congelée) récupérée localement auprès des producteurs.
La volaille sera commercialisée à 250 DA le kg, «voire moins», durant le Ramadhan, quant à la viande rouge elle sera cédée à partir de 500 DA le kg. Enfin, selon les voix rassurantes des organismes officiels, «la disponibilité des produits de large consommation» serait assurée et «les prix devraient connaître une baisse sensible» durant le mois de Sidna Ramadhan. Alors, attendons pour voir !
D’ici là, il n’y a pas de quoi pavoiser !
Certes, les produits sont disponibles, mais certains coûtent les yeux de la tête. De nombreux marchés de la capitale donnent un avant-goût sur ce qui attend les ménages durant le mois de la «Rahma». Des produits qui étaient disponibles et accessibles commencent à se raréfier et surtout à s’afficher à des prix déjà majorés.
«Ils ont commencé à mettre en place leur dispositif de renchérissement des prix. Ils organisent des pénuries, programmées pour inonder par la suite le marché à des prix qui défient toute logique.
Le poivron, à titre d’exemple, qui est actuellement produit sous serre, commence à disparaître des étals, alors que nous sommes en plein été, une saison où il donne toute sa quintessence», dira un père de famille se baladant au marché T’nach de Belouizdad (ex-Belcourt), «juste pour avoir une idée des prix. A vrai dire, ça flambe !»
Satisfaire les envies les plus folles
Au marché T’nach, nous découvrons un univers poursatisfaire les envies les plus folles. A l’intérieur, il y a, par ailleurs, toute l’opulence des produits agricoles importés, des fruits secs aux fruits exotiques, en conserve ou naturels, bien mis en évidence.
Comme pour allécher davantage les habitués des lieux, qui bien souvent s’attardent devant les bocaux de conserves d’oignon, de poivron, d’olivettes ou de cornichons qui ornent les travées de marchands de conserves.
Cet espace demeure l’un des marchés, peu nombreux, de la capitale qui offrent autant de plaisir des sens aux fins gourmets, aux amateurs de bonne cuisine comme aux passionnés de fruits de mer… Poissons, crustacés, viandes, fruits et légumes, fines herbes, «diouls» et «metloû»… Tous les produits de saison, locaux et d’importation, sont ainsi mis à l’honneur dans ce marché.
Mais, l’endroit est instamment déconseillé aux petites bourses, tant les prix qui y sont pratiqués sont parfois faramineux et risquent de faire très mal à ceux qui se laisseraient aller à la dépense en ces lieux de toutes les tentations. Mais ventre affamé n’a point d’oreilles ! Si Brahim, propriétaire d’une entreprise de matériaux de construction du côté de Bordj El-Kiffan, déclare dépenser plus de 6 millions de centimes, chaque Ramadhan.
«J’aime bien manger durant Sidna Ramadhan et, tous les jours, je reçois des invités car, sans eux, je n’ai guère d’appétit », précise-t-il. Dans l’allée des bouchers et volaillers, «les affaires marchent bien durant le Ramadhan», nous dit Omar, un jeune boucher qui ajoute que «les gens aisés achètent 1 à 2 kg de viande par jour, d’autres se contentent de 200 DA de viande hachée, congelée bien sûr, ou de deux à trois cotelettes».
«C’est une période où tout le monde se sucre»
Le Ramadhan, certes, tous les Algériens lui souhaitent la bienvenue, mais c’est un coup dur pour les ménages. «Je suis obligé de m’acquitter de ma tâche, en tant que chef de famille, même si je dois m’endetter», dira un père de cinq enfants, convaincu que les contrôleurs de la Direction de la concurrence et des prix (DCP) ne parviendront jamais à sonner le glas des spéculateurs car, explique-t-il, «c’est une période où tout le monde se sucre !»
Face à cette saignée pré-ramadhanesque, un rituel par lequel sa petite bourse doit impérativement passer, Fatiha, divorcée et mère de deux fillettes de 8 et 10 ans, estime que chaque Ramadhan c’est l’angoisse, le saut vers l’inconnu : «Ce n’est pas facile de s’en sortir. Tu te présentes, aujourd’hui, au marché, avec 1 000 DA, tu n’arrives même pas à faire des emplettes de deux jours. Comment joindre les deux bouts ? Avec le mois de Ramadhan, c’est pire.
Il te faut des sacs d’argent pour préparer le plat d’une seule journée. Si tu reçois des invités ou des parents, alors, il faut vraiment se plumer ou recourir à des crédits pour s’en sortir. Dieu nous en préserve ! Ce n’est pas possible. Un kilo de tomate à 50 DA et 3 piments à 30 DA ?»…, la flambée des prix est-elle une fatalité algérienne ?
T. A.