De Constantine à Boumerdès, en passant par Béjaïa, Alger, Sidi Aïch ou Bouira, les mouvements de lycéens se multiplient, moins d’un mois après la rentrée. Avec souvent pour seule réponse la répression policière. Ils ont entre seize et dix-huit ans, de l’énergie à revendre et des tonnes de revendications. El Watan Week-end a rencontré ces jeunes qui veulent faire entendre leur voix. « On nous prend pour des gamins.
On oblige un jeune homme qui a de la barbe à porter la blouse bleue des petits », s’insurge Asma, 17 ans. « Par contre, ce matin, quand on a manifesté, les policiers ne se sont pas souciés de savoir qu’on était mineurs, ils nous ont molestés alors qu’on ne causait aucun trouble ni dégât », poursuit la jeune fille rencontrée non loin de son lycée à Kouba.
Mardi matin, Myriam et Asma sont descendues dans la rue, comme bon nombre d’élèves des quatre lycées de Kouba, pour tenter de rejoindre le ministère de l’Education nationale. Elles n’ont rien raté des affrontements de la matinée et reviennent longuement sur les coups de matraque et les interpellations. En fin de matinée, les lycéens n’ont pu que se disperser pour leur seul après-midi libre de la semaine. Vers 13h, il ne reste plus qu’une petite poignée de jeunes, alors que des fourgons de police font encore le tour du quartier.
Comme leurs camarades, les deux jeunes filles s’inquiètent de sortir désormais à 17h30, moins d’une heure avant la tombée de la nuit. « En hiver, avec la nuit qui tombe de plus en plus tôt, les filles craignent pour leur sécurité sur le chemin de retour chez elles », assure Myriam. Ce volume horaire inquiète aussi Walid, 18 ans, rencontré aux abords du lycée des Frères Hamia (Kouba). « C’est beaucoup trop ! Le programme, déjà conséquent, a encore été alourdi et avec tout ça, nous finissons l’année scolaire de plus en plus tard, on nous parle de la fin des cours en juillet. Comment va-t-on trouver le temps de travailler chez nous ? », fait mine de s’interroge le jeune homme, au milieu d’un groupe d’amis qui semblent tous partager son point de vue.
Le Conseil des lycées d’Algérie (CLA) appelle pour sa part au débrayage afin de protester contre la surcharge des classes et des programmes. Sur Internet et les réseaux sociaux, comme Facebook, des initiatives sont lancées. Appel à la grève, convocation de réunions ou débats en ligne, les lycéens commencent à se rassembler pour réfléchir ensemble et définir leurs revendications. Car de Constantine – où les manifestations ont été violemment réprimées par la police – à Alger, les calculs sont les mêmes : 36 heures de cours pour pallier au nouveau week-end, c’est trop. Le tout, sans pause l’après-midi, alors que c’est durant cette partie de la journée que sont dispensés des cours à fort coefficient. « Impossible de se concentrer dans ces conditions. Des cours de 50 minutes seraient plus appropriés et nous permettraient de mieux suivre ces matières lourdes », assure cette lycéenne de Kouba. Elle sort, avec ses amis, d’une sandwicherie. Aux abords de l’établissement, on compte quelques snacks, de quoi permettre aux lycéens qui ont les moyens de manger pendant la courte pause-déjeuner, entre 12 et 13h. Les plus chanceux, qui habitent à deux pas, peuvent rentrer chez eux. Quant aux autres, ceux dont le lycée ne dispose pas de restauration collective, pour l’instant rien ne leur est proposé. En Kabylie, les lycéens se sont mis en grève pour ces raisons depuis le début de la semaine.
A Béjaïa et dans de nombreuses autres villes, où certains établissements n’ont ni cantine ni internat, la situation est devenue intenable. Et les professeurs ne sont pas en reste. Le Syndicat national autonome de l’enseignement secondaire et technique (Snapest), de son côté, brandit toujours la menace d’une grève des enseignants. Même son de cloche du côté du Conseil national des professeurs de l’enseignement secondaire et technique (Cnapest), qui a déjà prévu une semaine de grève renouvelable à compter du 8 novembre. Pourtant jusqu’ici, mouvements enseignant et lycéen ne se sont pas rejoints. Parmi les jeunes que nous avons rencontrés, nombreux sont ceux qui partagent les inquiétudes de leurs professeurs : surcharge des classes, horaires trop lourds, manque d’encadrement… Mais personne ne semble étonné de voir les actions menées séparément.
Aucun syndicat lycéen ou représentant ne s’est pour l’instant manifesté et la coordination de ces mouvements, spontanés et organisés sur le tas, n’est pas encore assurée, ni au sein des établissements ni au niveau régional ou même national. Si le constat est le même pour tous, certains lycéens ne sont pas convaincus par les actions qui pourtant se multiplient de Constantine à Boumerdès, en passant par Béjaïa, Alger, Sidi Aïch et Bouira. Yasmine, elle, est déjà résignée. A 16 ans, « dont plus de dix années à jouer les cobayes, avec à chaque rentrée un nouveau programme concocté à la va-vite par le ministère pendant l’été », elle ne croit plus aux manifestations et autres défilés. « Benbouzid, les jeunes le détestent. Lui et les autres se moquent du fond, des conditions d’apprentissage, de ce qu’on nous enseigne.
Leurs enfants font Oxford ou la Sorbonne et nous, la seule chose qu’on récolte, ce sont des conseils de discipline pour avoir osé protester », explique la jeune fille. Les manifestations de l’année dernière l’ont visiblement refroidie. Pour cette nouvelle rentrée, elle n’est pas descendue dans la rue. « On se focalise sur le superflu, comme ces tabliers roses et on oublie l’essentiel, malheureusement », soupire-t-elle avant de repartir, ses écouteurs aux oreilles.
Omar, qui sort du lycée technique, n’a pas non plus participé aux défilés. Pourtant, lui aussi trouve que « 17h30, c’est beaucoup trop, surtout pour ceux qui, comme moi, font près d’une heure de route pour venir étudier ». Le jeune homme, comme nombre de ses camarades, a aussi quelques récriminations d’ordre plus… esthétique. « Avec ces tabliers bleus, on dirait qu’on va à l’usine. On est quoi ? Des menuisiers ? », ironise-t-il, avant de reprendre un bus, tôt, en ce mardi après-midi.