L’économie algérienne sera mise à rude épreuve, d’après Smail Lalmas qui estime que la LF 2016 aura un impact négatif sur l’évolution du pouvoir d’achat des citoyens et creusera davantage le déficit budgétaire de l’Etat qui pourrait atteindre 40 millions de dollars fin 2016.
L’Econews : Quelle est la conséquence de l’article 66 de la loi de finance relatif à l’ouverture du capital des entreprises publiques économiques aux privés sur l’avenir de la souveraineté de l’économie nationale et de l’entreprise publique ?
Smail Lalmas : Il faut avouer une chose importante. La mission de l’entreprise publique a été déviée de sa vocation principale qui est la création de richesse. Cela, à cause de sa de gestion centralisée, l’absence de stratégie, et le mode de désignation des managers basé sur des critères de copinage et autres. Ce qui a fait d’elles des entités sans vie, déficitaires, et où très souvent, tous types de trafics s’exercent. L’Etat a mis, à plusieurs reprises, beaucoup d’argent dans des entreprises sans résultats probants. Maintenant que l’Algérie est en plein crise, il est inconcevable de continuer à injecter de l’argent sans retour sur investissement. Dans le cadre de l’application de l’article 66 de la loi de Finances 2016, les entreprises publiques déficitaires sont éligibles à la privatisation, cela dit, en 1988 ou 89, je crois, des entreprises publiques ont fait l’objet de privatisation, donc finalement ce n’est pas une nouveauté, mais qui avait fait l’objet de beaucoup de critiques à l’époque, sachant que le flou absolu a entouré cette opération de privatisation. L’inquiétude vient surtout de cette non transparence qui caractérise souvent ce genre d’opération, et aussi de l’absence de communication claire, autour de cet article qui a fait l’objet de très nombreuses lectures et interprétations surtout sur le sort des entreprises dites stratégiques comme Sonatrach et Sonelgaz pour ne citer que ces deux là, pour savoir si elles sont concernées par cette ouverture de capital. Si c’est non, pourquoi ne pas lister les entreprises qui ne sont pas éligibles à une éventuelle privatisation, pour rassurer l’opinion publique.
Le budget et les prévisions de la loi de Finance 2016 ont été calculés sur un prix référentiel de 37 dollars, alors que le prix du pétrole actuel sur le marché est au dessous de 30 dollars. A combien peut-on évaluer le déficit budgétaire pour cette années?
La vérité est que le budget 2016 n’est pas un budget d’austérité. Le prix du baril de pétrole qui a servi comme base de rédaction de cette LF est de 45 USD, dans une logique de croissance, c’est pour cela que le gouvernement qualifie sa démarche de prudente, adaptée à la nouvelle conjoncture pétrolière. En même temps, le prix de référence» du baril reste fixé à 37 dollars. Sur la base d’un prix de référence budgétaire fixé à 37 dollars la loi de finances 2016 prévoit ainsi des recettes budgétaires d’environ 40 à 45 milliards de dollars entre recettes et fiscalité. La nouveauté, que peu de gens ont relevé, c’est que nous avons une loi de Finances qui prévoit un déficit budgétaire important estimé à 30 milliards USD, qui à mon sens sera plus important et avoisinera les 40 milliards USD, surtout avec un baril actuel qui est sous la barre des 30 dollars, et qui risque de descendre jusqu’à 22 dollars dans peu de temps.
La LF 2016 a révisé la TVA sur les produits de Sonelgaz pour, dit-on, alléger sa trésorerie et l’aider à sortir de sa crise financière. Que pensez-vous de ces mesures et leur impact sur l’entreprise nationale et les ménages ?
D’importantes augmentations de prix, notamment pour les carburants et l’électricité, sont annoncées pour 2016. Une taxation davantage élevée qui, couplée à l’inflation galopante, réduira le pouvoir d’achat des Algériens de façon sensible. Toutefois, l’augmentation prévue de la TVA à 17% pour toute consommation d’électricité dépassant le seuil des 125 kilowattheure (kWh), le taux réduit de 7% sera toujours maintenu pour la consommation ne dépassant pas le seuil cité, traduit de manière implicite le réajustement des tarifs gelés durant de nombreuses années et une volonté de sortir progressivement de la politique de subventions. Cette augmentation sera bien perceptible, il faut le signaler dans la facture trimestrielle, surtout qu’elle sera aggravée par la forte consommation d’énergie due à l’utilisation des climatiseurs en période de grandes chaleurs, de chauffages et chaudières électriques. Or, en taxant davantage un niveau de consommation énergétique, les promoteurs de la LF 2016 omettent néanmoins l’impact qui en résultera sur les coûts de production et de revient. Pour résumer, le pouvoir d’achat du citoyen sera bien touché.
L’instauration de la licence des importations servirait-elle réellement l’économie nationale ? Comment ?
Les Etats interviennent, très souvent dans le commerce extérieur au moyen d’instruments de protection « directs » ou « indirects », et ce, avec des objectifs variés. Les plus courants visent à réguler et à contrôler la facture des importations, à « protéger » la production locale et à la diminution du déficit commercial. Des pays dit libéraux, même leaders de cette doctrine libérale, ont recours à certaines formes de protectionnisme, invoquant une concurrence déloyale ou des pratiques de “dumping”. Cela dit, je pense, honnêtement, que cette mesure va créer un désordre important dans un marché qui sort totalement du contrôle de l’Etat, provoquant une situation de pénurie qui conduira, de fait, à une flambée des prix qui touchera automatiquement le pouvoir d’achat des citoyens. Aujourd’hui, c’est la logique du marché qui prévaut avec l’un de ses principes, la liberté des prix, soumis à la règle de l’offre et de la demande, un marché sous le diktat des grands commerçants, importateurs, spéculateurs et autres acteurs, en l’absence du rôle régulateur de l’Etat. Aussi, est-il temps d’organiser le secteur du commerce extérieur, l’inscrire dans une autre démarche, parce que les mesures restrictives comme les licences d’importation ont montré leurs limites par le passé et souffrent d’un discrédit certain auprès des différents acteurs et opérateurs économiques nationaux. Le succès de cette nouvelle démarche souhaitée par le gouvernement algérien repose sur des paramètres de neutralité et d’une administration juste et équitable, avec l’adhésion de tous les secteurs. Or, au jour d’aujourd’hui, le gouvernement est incapable de dresser une liste conséquente de produits soumis aux licences, faute d’adhésion gouvernementale, et on se retrouve avec une liste de 3 produits, avec à la clé une économie de 5 à 6 milliards USD. Pour cela, nous souhaitons que d’autres formes de protectionnisme puissent être actionnées de façon « intelligente » et « ciblées » par famille de produits ou par secteurs d’activités sur la base d’une large concertation.