Les «kherrada» de Fouka à l’agonie

Les «kherrada» de Fouka à l’agonie

L’ambiance est morose chez les «kherrada» de Fouka qui assistent, impuissants, au déclin de leur activité. Depuis six mois, leur chiffre d’affaires a baissé de façon drastique, obligeant la plupart d’entre eux à se séparer de leurs employés. Certains ont carrément fermé boutique.

Sur la route supérieure du Sahel, entre Fouka et Bou Ismaïl, la noria de camionnettes transportant la ferraille n’est plus qu’un ancien souvenir.

Avec l’interdiction de l’exportation des métaux non ferreux et le gel provisoire de l’activité depuis la promulgation de la loi de finances complémentaire, les affaires tournent au ralenti. Pire, beaucoup pensent à se recycler dans d’autres affaires.

C’est le cas de Mahfoud et ses quatre frères, qui exploitent un imposant parc de ferraille. Spécialisés dans la récupération et l’export des métaux ferreux et non ferreux, les quatre frères se sont forgé une réputation qui a dépassé les frontières de la wilaya de Tipaza.

On venait de partout leur livrer du cuivre, du plomb, du zinc et toutes sortes de métaux. Hakim, le frère cadet, avoue qu’entre 2005 et 2008, il leur arrivait d’employer jusqu’à 40 ouvriers, vu le volume des affaires. Plus aujourd’hui où l’activité s’est réduite à sa plus simple expression : réceptionner quelques chargements, trier les métaux et les livrer à des transformateurs nationaux.

L’engin de levage de location a été restitué à son propriétaire, plusieurs employés ont été remerciés. De temps en temps, le parc revend en l’état quelques produits, entre autres des portes métalliques, de la tôle ondulée, des pièces automobiles ou des produits électroménagers hors d’usage. Même la forte demande observée sur l’aluminium et le plomb,

deux métaux dont la rareté a fait exploser les prix, n’a pas permis de booster à nouveau le métier; les quantités récupérées sont ridicules, suffisant à peine à payer les salaires des 4 frères. En comparaison, la montagne constituée d’objets métalliques au rebut, de machines industrielles hors d’usage, de rond à béton, de grilles métalliques ne fait que s’élever.

Où mettre tous ces déchets si l’Etat venait à interdire leur exportation ? Pour Hakim et ses employés, la réponse est évidente : les rejeter dans la nature parce qu’il n’y a pas d’autre endroit où les stocker.

En fin de compte, le chômage

Chez ammi Ali, l’un des plus anciens récupérateurs de Fouka, les mines sont défaites. Les jeunes employés savent que leur destin est scellé : dans quelques jours, ils recevront leur solde de tout compte.

Stoïque, Ahmed, qui traîne derrière lui une vingtaine d’années dans ce métier, considère la décision d’interdire d’exporter les métaux de récupération comme un coup de poignard dans le dos. Il explique de depuis l’explosion de cette activité, plus aucun problème social sérieux ne s’est posé à Fouka.

D’après lui, les jeunes récupérateurs gagnent plus de 1400 DA par jour. Idem pour les transporteurs de camionnettes qui s’en sortent avec une recette de 3000 à 4000 DA/jour. Tout le monde est gagnant, y compris la direction de l’environnement qui perçoit une taxe de 9000 DA chaque trimestre. Même le puits d’eau creusé par Ammi Ali est soumis à l’impôt : 9000 DA par trimestre !

Les arguments sont nombreux pour maintenir cette activité : si l’Etat ne veut plus qu’on exporte, alors il n’a qu’à multiplier les fonderies. Pour l’heure, les quelques fondeurs sont dépassés, leurs capacités ne leur permettant de traiter qu’une infime partie des énormes quantités de métaux récupérées.

Sur un autre registre, les employés se disent non concernés par les pratiques mafieuses de quelques exportateurs, et ne sentent pas, non plus, responsables des vols de métaux. Hakim estime que L’Etat dispose de ses instruments pour contrôler l’activité, punir les contrevenants et mettre en prison les voleurs. Pour lui, il est hors de question de payer pour les brebis galeuses.

D’ailleurs, dit-il, aucune profession n’en est épargnée. A la question de savoir d’où provient la «marchandise», nos interlocuteurs sont formels : de la nature, des décharges sauvages, des chantiers abandonnés, d’achats auprès d’entreprises contentes de se débarrasser de leurs encombrants rebuts. Ils reconnaissent qu’il y a des vols mais cette question ne relève pas de leur ressort.

Le plus important, fait remarquer Azzedine, le gérant du parc de Ammi Ali, l’interdiction de l’activité signifie la mise au chômage de milliers de personnes. Pour la seule région de Fouka-Bou Ismaïl, où se concentre une vingtaine de «kherrada», on dénombre au moins 10 000 personnes qui vivent directement ou indirectement de la récupération des métaux.

A. Laïb