Les jeunes et la contrebande dans les zones frontalières,«Le trafic nous fait bien vivre»

Les jeunes et la contrebande dans les zones frontalières,«Le trafic nous fait bien vivre»

«Pourquoi travailler dur pour un salaire misérable de 20.000 DA, alors qu’en une nuit on peut se faire le double.»

La contrebande est un désastre pour l’économie nationale, mais qu’on le veuille ou non, elle fait vivre les milliers de familles des villes frontalières. «On est isolé du reste du pays, le chômage a longtemps fait rage. On a dû trouver une solution pour survivre», confie Hamda, un jeune de Souk Ahras. La solution dont il parle, n’est autre que la contrebande.

«Au début, c’était une nécessité, maintenant c’est devenu un luxe. puisque c’est grâce à la contrebande qu’on est à l’abri du besoin», ajoute-t-il. «Cela fait presque 10 ans que je m’adonne à ce trafic. J’ai commencé alors que je n’avais pas encore 22 ans, je vivais dans une misère indescriptible. Voilà que 10 ans après, je baigne dans ce que je pourrais appeler le luxe», explique-t-il fièrement. Il avoue que c’est grâce à cela qu’il a fait vivre et éduquer ses cinq petits frères et soeurs, «Sans ça, ils n’auraient jamais réussi à faire des études supérieures». Sa «carrière», Hamda dit l’avoir commencée en tant que transporteur de corail. «Je déplaçais le corail volé, des plages d’El Kala, vers les autres wilayas du pays. C’est là que je me suis fait des contacts qui m’ont encouragé à me tourner vers la contrebande frontalière. Ça rapporte plus», raconte-t-il.

«Regardez, je ne porte que des vêtements de marque, ma veste est une Zara, ma chemise c’est du H&M et mon pantalon est un Celio. Des marques que je n’aurais jamais connues et encore moins portées sans mon métier de contrebandier», relate, pour sa part, Mohsen qui agit également au niveau de la frontière algéro-tunisienne. «Un métier!» C’est comme cela qu’il le qualifie, car à part cela, il ne peut et ne pourra rien faire d’autre. «C’est ancré au plus profond de moi, c’est ma profession. Je me suis habitué à la contrebande et à la belle vie que je mène grâce à elle. Je sais que sans elle je ne pourrais pas vivre aussi bien», avoue-t-il. «Pourquoi travailler dur pour un salaire misérable de 20.000 DA, alors qu’en une nuit on peut se faire le double», fait-il remarquer. Ce constat amer mais réel, nous l’avons fait nous-mêmes lors d’une visite du ministre de la Jeunesse et des Sports, Hachemi Djiar à Souk Ahras.

Allah Ghaleb!

Lors de cette sortie ministérielle, M.Djiar s’était étonné de voir qu’il y avait insuffisance de personnel sur le chantier de la construction d’une maison de jeunes, dans un village à la limite du territoire frontalier avec la Tunisie. Le chef de chantier a expliqué que le recrutement d’ouvriers était très difficile. «Les jeunes ne veulent pas travailler pour 700 DA par jour. Ils préfèrent la contrebande qui est moins dure et qui leur rapporte 100 fois plus», avait-il exposé au ministre. Le même constat est fait dans une autre ville frontalière avec la Tunisie, à savoir El Oued.

«Les jeunes Soufis qui n’ont pas de terre ou autre héritage de leurs parents se rabattent pour la plupart sur la contrebande. C’est notre activité n°1», ironise Mohamed. «La vie est dure au Sud, il n’y a pas de travail et sûrement pas de loisirs. On est jeunes et on veut profiter de la vie, bien s’habiller, s’amuser… C’est le trafic des frontières qui nous apporte tout cela. On se fait de l’argent et on vit des aventures…», assure-t-il. «J’aurais, bien sûr, souhaité faire des études, ne pas voir ma mère angoissée dès que je mets les pieds dehors.

Mais Allah Ghaleb! c’est tout ce que je sais faire, je n’ai aucune formation!», s’indigne-t-il. «On est les oubliés du pays, la contrebande est aussi une manière pour nous de nous venger de ceux qui ne se rappellent de nous qu’au moment des élections. On sabote leurs plans économiques», plaisante t-il. Pour ce qui est du genre des produits introduits illégalement, Mohamed répond: «Tout ce qui se vend est ramené ou importé. Il y a une dizaine d’années, les produits qui transitaient de l’Algérie vers la Tunisie et la Libye, étaient plus nombreux. Mais depuis quelque temps c’est le contraire».

Toutefois, depuis la Révolution du Jasmin, les choses sont revenues à leur ordre initial. «Maintenant on fait passer vers la Tunisie tout ce qui est produit alimentaire, semoule, farine…et d’autres produits vitaux.

Sans oublier les stars indétrônables que sont le fioul et le bétail». En effet, à l’est du pays, les signaux sont au rouge. Des pénuries de produits de première nécessité commencent à apparaître et à devenir des plus inquiétantes pour les autorités locales dans ce contexte social fragile. Tebéssa, Souk Ahras et El Oued sont les plus touchées, mais cette pénurie a déjà atteint les grandes agglomérations telles que Constantine, Batna et Biskra.

Des produits alimentaires de première nécessité comme la semoule, l’huile et le lait, subventionnés par l’Etat, sont acheminés frauduleusement vers la Tunisie et la Libye, deux pays en proie à des crises sociales graves. Des millions de personnes se trouvent ainsi otages des contrebandiers sans foi ni loi. Les affaires sont donc en plein essor depuis les révolutions qui secouent le Monde arabe, cependant, les risques sont plus grands. «Plus les bénéfices augmentent, plus les risques sont grands», rappelle-t-il. Frontières Est ou Ouest, la contrebande est présente en force. Même si à l’Ouest les frontières sont supposées être fermées. «Ah bon! les frontières algéro-marocaines sont fermées depuis 1994?», lance espiègle Kada, passeur à Maghnia.

«Pourtant moi je les emprunte tous les jours sans être inquiété!», ajoute-t-il. «Oui, je suis un contrebandier, je fais avec mes deux mules un à deux voyages par nuit. Et ma spécialité c’est le carburant», avoue-t-il. À la question de savoir s’il est inquiété par les gardes-frontières, il sourit: «Non, jamais! Ce sont mes amis, que ce soit les Algériens ou les Marocains. Moi je sais être généreux avec mes amis….». Combien lui rapporte son trafic? Kada répond qu’il n’aime pas trop parler argent. «Mais je gagne autant qu’un P-DG, si ce n’est plus.» Pour ce qui est des relations avec les Marocains, il est catégorique: «Tout se passe bien; avec nos amis marocains on s’entend très bien. Ils aiment l’Algérie. Pour eux, la politique c’est la politique. Mais ça ne doit pas influer sur notre fraternité. En tout cas, notre entente est très cordiale.»

La contrebande est une arme à double tranchant

Les produits qui transitent par la frontière Ouest, sont pratiquement les mêmes que ceux de la frontière Est; le carburant est aussi en tête de liste. Cependant, Kada admet nostalgiquement qu’à une époque, il faisait même office de passeur pour les harraga qui voulaient rejoindre l’Espagne à partir de Melilla. «Mais les temps sont durs, les contrôles sont plus stricts. On a donc abandonné cette activité», regrette-t-il. Pour finir, Kada nous donne rendez-vous pour le match Maroc-Algérie. «Les passeurs de Maghnia seront présents en force pour soutenir l’Algérie. Nos amis marocains nous ont déjà acheté les billets», conclut-il. Néanmoins, la contrebande ne suit pas que «le tracé de l’autoroute Est-Ouest», elle s’étend également le long de la Transsaharienne, puisque même les frontières Sud sont touchées par ce fléau. Peut-être même plus que l’Est et l’Ouest.

À l’extrême-sud, les véhicules de type 4×4 station de Toyota, sont utilisés pour acheminer du carburant vers les pays du Sahel. En sens inverse, les téléphones portables et les cigarettes contrefaites prennent la direction de l’Algérie. C’est donc une véritable calamité pour l’économie nationale. À combien se chiffrerait ce manque à gagner? Les chiffres exacts ne peuvent être donnés. Mais une chose est sûre, ce sont des millions de dollars qui s’évaporent tous les jours à travers nos frontières. Les répercussions sont d’abord sécuritaires, militaires et ensuite alimentaires.

Des millions de dollars, des milliers d’hommes ont été mobilisés pour assurer la sécurité aux frontières. Il n’est donc pas aisé de chiffrer l’impact économique et financier d’une activité commerciale qui relève de la contrebande. Les statistiques officielles ne font aucune allusion à ce phénomène et il n’existe pas d’études ou enquêtes à l’échelle régionale ou nationale pour évaluer l’ampleur des dégâts de la contrebande. Cette dernière engendre des pertes sèches pour les entreprises et les pouvoirs publics. En plus de cet impact économique et sécuritaire, ce phénomène a également des incidences sociales considérables sur les citoyens, sans toujours être évidentes.

La perte des recettes (taxes) publiques nuit à tous les programmes sociaux destinés aux régions frontalières. En outre, les marchandises et les objets de contrebande les plus communs peuvent contribuer à accentuer d’autres problèmes sociaux résultant de l’abus de substances nocives comme l’alcool, les drogues et le tabac. Par ailleurs, le crime organisé s’intéresse de plus en plus aux activités de contrebande La contrebande est donc une arme à double tranchant, elle fait vivre des milliers de familles, alors que parallèlement, elle tue à petit feu l’économie nationale.

Walid AÏT SAÏD