«Celui qui consomme de la cocaïne ouvre sa tombe, et celui qui décide de l’arrêter ferme sa tombe.»
Ce témoignage poignant des dealers eux-mêmes résume l’ampleur des dégâts causés chez nous par les drogues, dont certaines sont désignées dans leurs milieux par des noms répugnants comme «khamdja» (pourrie), et intrigants comme sehara (sorcière), khit (fil) ou zerga (la bleue).
Des appellations qui font référence aux transformations apportées aux drogues pures avec des mélanges bizarres par des «vendeurs» qui n’hésitent pas, en plus du danger qu’elles représentent, à leur ajouter étrangement du cerveau de souris, du paracétamol, de la poudre de néon et de verre.
Un mélange pareil ne peut être que mortel mais cependant pratiqué par des inconscients et criminels dont le seul souci est le gain facile et l’attirance dans leurs sourcilières de nouvelles victimes.
Seule préoccupation, car la majorité d’entre eux, pour ne pas dire tous, sont des consommateurs de stupéfiants de toutes sortes. Habitué il y a quelques années aux drogues douces, «le marché national» des stupéfiants est actuellement inondé par une multitude de drogues dont la fameuse cocaïne. Cette dernière est en vente en Algérie depuis une année, selon des dealers.
Ils précisent que les autres (la zetla, Roche, zerga) n’ont plus de valeur, même si les plus «pauvres» des consommateurs en demandent encore.
Les prix sont effarants et inaccessibles, mais quand on est dépendant ont n’y peut rien, avoue un nouveau venu dans le marché de la consommation qui dit acheter l’héroïne à 1000 DA le gramme, ajoutant que «généralement la première tentative est toujours offerte gratuitement par ceux qui veulent faire de toi un accro».
Ali, 22 ans, un dépendant de drogues toutes catégories, n’arrive pas à expliquer comment il est arrivé à ce stade, lui qui auparavant conseillait à ses amis et proches d’éviter de toucher aux stupéfiants. «Aujourd’hui je suis dans la tourmente et dans le pétrin duquel il est difficile de me sortir», raconte-t-il.
Il a peur même d’aller se soigner dans un hôpital. «Je veux me faire soigner, mais les hôpitaux sont infestés par ce fléau tels que l’hôpital de Blida», avait-il dit à un médecin qui tentait de le raisonner pour suivre une cure.
«Il y a toutes sortes de drogues dans les hôpitaux», accuse-t-il. «C’est d’ailleurs pour cette raison que beaucoup d’accros ont abandonné leurs soins», a-t-il affirmé. Dans l’impasse, ces derniers se retrouvent revendeurs de ce poison duquel ils ne peuvent décrocher.
Karim, un vendeur de drogue, nous confirme la règle. «Avant je consommais la khamdja, aujourd’hui je la vends», a-t-il dit, d’un air connaisseur, avant d’ajouter : «Pour le crack, (un autre genre de drogue), il faut le sniffer, avant de se piquer.»
Avouant qu’«à force de piqûres, la veine meurt, et il faut changer d’endroit pour une autre piqûre». En effet et selon des médecins, les consommateurs d’héroïne en intraveineuse sont sujets à des pathologies atteignant les veines : thromboses, rupture de veine, hématomes et autres infections.
L’injection intraveineuse avec du matériel partagé expose au risque de transmission du virus du sida, de l’hépatite C ou encore de l’hépatite B. Les sniffeurs réguliers ont systématiquement des problèmes au niveau de la cloison nasale : perforation, saignement, infection, irritation, nécrose…
Mais la gorge subit également l’action de la drogue, expliquent des spécialistes. Face à tous ces dangers, l’accoutumance ne lâche pas les accros qui en demandent toujours plus et sont prêts à tout pour une dose. Le prix ne veut rien dire pour eux, pourvu qu’ils aient de l’argent sur eux.
Pour certains, si elle est chère, c’est que l’on peut décrocher facilement
La cocaïne est la plus chère. Elle est cédée à partir de 10 000 DA le gramme. Elle est consommée par des personnes aisées surtout.
Les gens au parfum de la «chose» expliquent sa cherté par le fait de pouvoir arrêter à tout moment, pas comme pour les autres produits. «J’ai arrêté la cocaïne après un an et demi de consommation», a dit Karim qui n’a pas hésité à nous indiquer les lieux de la vente des stupéfiants.
«Auparavant, la vente se faisait à la forêt du Bois des Cars à Dély Ibrahim, mais maintenant elle est partout, à Bab Ezzouar, Djamaâ Lihoud, El Harrach, Hydra… et ailleurs.»
Les dealers écoulent entre dix grammes et un kilogramme de cocaïne par jour dans différents lieux d’Alger, selon des «revendeurs» qui ont également parlé de comprimés et surtout du danger qu’ils présentent pour la santé.
Subutex, un nouveau produit venu d’Europe
Réda, qui fréquente les milieux de la drogue, évoque le crack cédé à 4000 DA, ainsi que le B2, B3, B8 et du Subutex. Cette dernière, l’une des drogues dures les plus consommées en Europe depuis quelques années, a fait son apparition chez nous il y a deux années.
A la direction de la police judiciaire, c’est la traque des dealers au quotidien, nous ont expliqué Faouzi Moualek, commissaire principal et chef du service central de la lutte contre les stupéfiants, et Rachid Zerrouki, officier de police.
Ils ont tenu à nous confirmer que la majorité des drogues écoulées chez nous provient du Maroc. «La drogue entre par les frontières algéro-marocaines», nous a indiqué
M. Zerrouki en soulignant que «l’ouest du pays est infesté par des tonnes de drogues». Cela ne veut pas dire que les autres régions sont «propres», car les dealers sont organisés de manière à éviter les barrages des contrôles de la police et de la gendarmerie.
Un réseau de distributeurs, téléphones portables et GPS pour écouler la «marchandise»
«Dans chaque wilaya il y a un grand distributeur de stupéfiants chargé des livraisons pour les petits vendeurs», nous a-t-on expliqué en précisant qu’«il existe des réseaux de distribution de la drogue dont les acteurs utilisent le téléphone portable et le GPS pour passer entre les mailles du filet du contrôle».
Le plus important pour ces deux responsables, ce ne sont pas tellement les quantités saisies, mais beaucoup plus la destruction des réseaux.
«Il y a de cela trois semaines, nous avons mis la main sur deux hommes en possession de 7,4 kg de drogues dans la forêt de Zimek à Beau Fraisier Alger», nous a fait savoir le commissaire Moualek, précisant que «le cannabis est le plus consommé en Algérie, alors que la cocaïne et l’héroïne sont consommées souvent par les gens riches et le déchet est destiné aux pauvres jeunes notamment».
Rose, bleue ou blanche, l’ecstasy… un voyage vers l’extase à près de 3000 DA le comprimé
Ces deux spécialistes de la traque des revendeurs de drogue ont fait aussi état de la vente de l’ecstasy (XTC), dite aussi «pilule du bonheur». Les réseaux de trafic de cette drogue jugée très dangereuse ne cessent de s’étendre. Le produit est fabriqué dans des laboratoires secrets.
Rose, bleue, blanche, de différentes formes et différents noms, ces pilules agissent instantanément sur la partie du cerveau qui contrôle les émotions. Mais des études indiquent qu’elle provoque plusieurs maladies psychomotrices.
«Quatre jeunes hommes âgés entre 21 et 25 ans ont été arrêtés le 17 janvier dernier à Moretti à Alger en train de vendre de l’ecstasy dans différents lieux», ont indiqué les deux commissaires en relevant «le danger» que cela représente sur les jeunes qui «sont plus menacés que jamais».
L’ecstasy donne de l’énergie et elle est vendue entre 2500 et 3000 DA le comprimé, un prix que ne peuvent se permettre que les gens aisés. «Ce sont notamment ceux qui fréquentent les boîtes de nuit et les discothèques.
Ces cachets leur procurent de l’énergie», nous dit M. Zerrouki expliquant qu’«en prenant un comprimé d’ecstasy ils peuvent danser jusqu’à 24 heures sans arrêt».
La plupart des jeunes prennent ces comprimés en ignorant les dangers sur leur santé. Cette drogue influe négativement sur le rythme cardiaque, tout en augmentant certaines émotions. Malheureusement, cette drogue a franchi les portails de nos lycées, universités et autres lieux publics comme les restaurants et les cafés et autres salons de thé.
C’est pour cette raison que les deux commissaires lancent un appel pressant en direction des parents surtout pour être vigilants sur leurs enfants face à ces comprimés «faciles à dissimuler et à avaler».
S. O.