Par
En guerre de leadership avec l’Arabie saoudite, Erdogan caresse l’espoir de voir l’expérience de l’AKP reproduite en Algérie, à travers le MSP.
L’actualité politique nationale s’est quelque peu emballée, lorsque le parti TAJ de Amar Ghoul a jeté un pavé dans la mare en proposant une conférence nationale regroupant toutes les forces vives du pays et dont la mission serait «de parvenir à un consensus national sur les questions et défis nationaux et internationaux qui intéressent l’Algérie». Une sorte d’ovni politique, dont la traduction sur le terrain pourrait signifier n’importe quoi. La proposition de TAJ qui a, faut-il le relever, «mobilisé» certains médias, trouve son sens quelques jours plus tard, à travers une autre proposition, émanant du MSP, celle-là, où l’option du report de l’élection présidentielle est franchement posée, comme une probable issue à la situation que le patron du parti islamiste, Adeberazzak Makri, qualifie de crise politique. Les deux initiatives convergent sur la nécessité de convoquer la fameuse conférence où l’on peut deviner la stratégie si chère aux islamistes. Il faut dire que les deux hommes ont le même ADN idéologique. Ils sont tous deux d’obédience islamiste et ont des affinités assumées avec l’internationale des Frères musulmans. Cela devrait-il suffire pour expliquer la concomitance de cette double offre politique qui semble transcender le clivage pouvoir-opposition pour s’exprimer sur un autre plan? s’interrogent les observateurs, assurant que la réponse est assurément «oui», sachant les amitiés qu’entretiennent les islamistes, du MSP, notamment avec la tête de pont des Frères musulmans dans le monde qui n’est autre que Recep Tayyip Erdogan, président de la Turquie.
Très attaché à densifier les relations avec l’Algérie, Erdogan n’est pas moins mu par un désir hégémonique au plan idéologique. L’homme, qui cherche à réhabiliter l’Empire ottoman, s’appuie sur la confrérie des Frères musulmans et joue sur la rivalité confessionnelle pour prendre la tête de l’Islam sunnite. En guerre de leadership avec l’Arabie saoudite, Erdogan caresse l’espoir de voir l’expérience de l’AKP reproduite en Algérie, à travers le MSP. Cette perspective était d’ailleurs sur la table en 2012, en plein printemps arabe, lorsque le parti de Makri a annoncé son divorce d’avec le pouvoir.
A l’époque, le leader islamiste ne s’en cachait pas et s’affichait outrageusement aux côtés d’Erdogan. Il a même construit toute la campagne électorale pour les législatives, sur le modèle de l’AKP turc. La manoeuvre n’a pas abouti, mais ce ne devait être que partie remise, puisque le même Erdogan a multiplié les visites en Algérie et encouragé les entreprises de son pays à y investir massivement, jusqu’en devenir les premiers investisseurs étrangers. En plus du volet économique, Ankara a fait «subtilement» son choix en renforçant ses relations avec les deux partis islamistes, constatent les mêmes observateurs. Si Amar Ghoul se fait discret, Abderezzak Makri s’est illustré par des post sur Facebook où il clamait ouvertement son allégeance à l’AKP et son président Erdogan, lui donnant l’opportunité de réaliser un vieux rêve, celui de reconnecter la «Porte sublime» avec sa Régence en Afrique du Nord, perdue au profit des Français.
La force de trois siècles d’histoire commune entre les deux pays apporte l’argument qui peut manquer dans la stratégie d’Ankara qui semble vouloir enjamber la Syrie et l’Irak pour construire une «sainte alliance» avec un pouvoir islamiste algérien, notent les observateurs. Avec pareil allié en Afrique du nord, l’aura d’Ankara s’en trouvera décuplée. D’où l’importance stratégique d’une politique d’entrisme, susceptible de lui «rouvrir» les portes de l’Algérie. Cela pour dire que l’initiative islamiste n’est pas sortie des laboratoires de spins doctors du MSP. Ankara est visiblement aux commandes et souhaite voir son plan mis en pratique, de sorte à provoquer une brèche au sein du système pour y introduire son «poulain». Il faut savoir, en effet, que la convocation d’une conférence nationale suppose une «migration» de la décision des institutions constitutionnelles vers cette conférence. En la préconisant, le MSP et TAJ ne cherchent rien d’autre que de prendre part à la désignation du «candidat du consensus». Ils ne seraient plus dans l’acte de gouvernance, mais carrément dans la fabrication de la décision, donc au coeur du pouvoir. La proposition du MSP est a-constitutionnelle, au sens où elle n’est fondée sur aucune base légale.
Le parti islamiste propose ni plus ni moins de délégitimer le président de la République en lui proposant une «petite rallonge» tout simplement parce qu’il ne pourra jamais se mesurer à lui électoralement. Plus que le crédit politique incontestable et son bilan qui plaide en sa faveur, le chef de l’Etat jouit d’une grande affection au sein de la société. Les Algériens sont effectivement prêts à lui renouveler leur confiance quelles qu’en soient les circonstances. Et c’est ce qui déplaît à Makri, qui veut, à travers sa manoeuvre, déposséder le président de la République d’une popularité incontestable. Une sorte de coup d’Etat qui ne dit pas son nom, puisqu’il y a dans cette offre une volonté de substitution au suffrage universel. En un mot comme en mille, la proposition de Makri a le goût du «Rahat Loukoum» turc. Face à cette manoeuvre, les observateurs de la scène nationale notent la nécessité d’une solution algérienne qui réside dans l’application stricte de la Constitution.