Les enquêtes menées par le tribunal de Milan ont mis à nu tout un système opaque de passation de marchés érigé en règle du temps de Chakib Khelil.
La liste comportant les noms des intermédiaires devrait aller au-delà de Farid Noureddine Bedjaoui et Samyr Ouraied. De même, des sources italiennes affirment que Chakib Khelil ne peut pas être le seul responsable des marchés attribués à Saipem par la Sonatrach en Algérie. Car, disent-ils, le départ de l’ancien ministre de l’Energie n’était pas à même de mettre fin aux privilèges accordés à Saipem.
Le trou noir de GK3
Jusqu’au vendredi, les enquêteurs du tribunal de Milan avaient relevé des mouvements de fonds à sept reprises vers des comptes en Europe et en Asie gérés par les deux intermédiaires. Ces virements correspondaient en fait à des attributions de projets en Algérie au profit de Saipem. Il a été relevé que les plus importants virements étaient liés à trois projets importants réalisés par la société d’engineering italienne. Le plus spectaculaire étant le train GNL (GL3Z) d’Arzew. En date du 12 juillet 2008, la Sonatrach a procédé, en présence de Chakib Khelil, à l’ouverture publique des offres commerciales relatives à la réalisation de ce projet et constaté que Petrofac avait fait la meilleure offre avec 55 mille dinars le coût EPC de GNL à la tonne. Le consortium Snamprojetti (qui a fusionné avec Saipem) et Chyoda (Japan) avait proposé le même service pour 61 mille dinars. Mais, quelques jours plus tard, un revirement de la situation permet à Saipem de décrocher ce marché pour 2,8 milliards d’euros. L’autre projet qui a attiré l’attention des enquêteurs italiens est celui de Medgaz, décroché également par Saipem. Lors de la consultation lancée auprès de plusieurs constructeurs, Saipem avait réussi à décrocher le contrat alors que son offre financière était supérieure de 60 millions de dollars par rapport au principal concurrent. Le dossier le plus compliqué pour les enquêteurs est sans doute celui de Menzel Ledjmet Est (bloc 403b) qui implique à la fois Saipem et ENI. Ce gisement a été racheté par ENI auprès de la petite société canadienne (FCP), dont les fondateurs sont les actuels employeurs de Chakib Khelil, pour la somme de 607 millions de dollars (Cf. notre édition du 11 décembre 2012). Chakib Khelil accorde un bonus aux Italiens de l’ENI à travers l’exploitation commune, sur ce même gisement, du CAFC (zone centrale complexe) dont le permis a été signé en mars 2009. Saipem se greffe à cette association et obtient le contrat pour la construction de l’usine de traitement des hydrocarbures pour le montant de 1,1 milliard de dollars et 30,45 milliards de dinars, soit l’équivalent d’un milliard et demi de dollars. Mais, les enquêteurs semblent se perdre sur le dossier du gazoduc GK3, qui a éclaboussé l’ancien P-dg de la Sonatrach, Mohamed Meziane. Les versements vers les comptes des intermédiaires ont cessé bien avant l’attribution de ce projet. D’où la possibilité d’avoir versé la commission liée à ce marché vers les comptes d’autres intermédiaires. Les commissions rogatoires lancées en direction des autorités judiciaires françaises, suisses et portugaises devraient apporter plus d’éclaircissement sur ces questions.

Chakib n’était pas seul
De nombreux experts algériens du secteur l’énergie affirment que Chakib Khelil ne peut pas être l’unique responsable des faveurs accordées à Saipem en Algérie. Pour preuve, se basent sur l’analyse du plan de charge de cette entreprise, après le départ de l’ancien ministre de l’Energie. Tout d’abord, il faut retenir le fait que Saipem toujours pré-qualifiée pour la réalisation de plusieurs projets d’engineering pour le compte de la Sonatrach et aucun responsable du département Amont n’a osé prendre la décision d’éliminer l’entreprise italienne en raison de ses antécédents. Par ailleurs, rien qu’à recenser les appareils de forage en activité dans le bassin de Berkine (Menzel Ledjmet, Zemoul El Kbar et Bir Rebaa), on constate que Saipem est en situation de monopole. Les appareils Saipem 5859, 5893, 5894, 5898 sont pratiquement les seuls à traiter les puits de développement sur ces champs gérés par la Sonatrach avec ENI et BHP Billiton. Pire encore, il y a quelques mois, un rapport interne de la Sonatrach présentait Saipem à la tête des huit compagnies de forage dans le cadre du développement des différents gisements de la Direction centrale des a s s o – ciations. Ce rapport fait état de 29% de parts de marché pour Saipem, très loin devant l’entreprise publique Enafor qui ne bénéficiait que de 15% de parts de marché. Du coup, on s’aperçoit que même après le départ de Chakib Khelil, la société italienne a poursuivi sa mainmise sur certaines activités pétrolière en Algérie.
Mokhtar Benzaki