Les heures tendues de la violence et de la délinquance, Sérieuses menaces sur la cohésion sociale

Les heures tendues de la violence et de la délinquance, Sérieuses menaces sur la cohésion sociale

La presse écrite se fait chaque jour l’écho des actes de banditisme et des différentes formes de violence sociale qui ont lieu dans les quartiers urbains des grandes villes, dans certains bidonvilles et même dans quelques bourgades rurales naguère épargnées par ce «mal des villes», nourri par la promiscuité, le déracinement, le chômage et le déficit en infrastructures de loisirs et de détente.

Dans certains quotidiens, principalement arabophones, la page 24 est réservée quasi intégralement à ces «faits divers» qui, pourtant, sont loin de la légèreté que pourrait sous-entendre un tel intitulé, tant, aussi bien dans l’espace que dans le temps, ils se produisent avec un rythme et une amplitude qui ne peuvent guère accepter d’éventuelles négligences ou un esprit d’indifférence des instances chargées de la sécurité et de l’ordre public.



Ce dernier sentiment – le relâchement des services de sécurité – revient malheureusement dans la bouche des habitants des quartiers populaires dits sensibles, et est aussi perceptible dans l’esprit et la conduite des passants et visiteurs qui empruntent les rues de nos villes et certains marchés ou foires. Au cours de ces dernières années, les populations ont également pu ressentir un redoublement de peur, voire même une certaine hantise, face aux mesures de grâce dont bénéficient régulièrement des prisonniers de droit commun.

Ce sentiment n’est pas alimenté par un simple préjugé que l’on développe habituellement à l’égard de personnes sorties de prison, mais se trouve justifié et conforté par les pratiques de récidive auxquelles se livrent quelques graciés.

LG Algérie

On a eu affaire, lors de la libération de prisonniers qui n’ont pas encore purgé leurs peines – à l’occasion du 5-Juillet ou des fêtes de l’Aïd – à des récidivistes qui regagnent la prison le jour même de leur libération, suite à un acte d’agression ou de banditisme qu’ils ont pu commettre l’après-midi du jour de leur libération anticipée.

Cela pose indéniablement, et en termes on ne peut plus crûs, la problématique de l’insertion des jeunes incarcérés dans la société et dans le milieu professionnel. C’est là un volet qui fait florès dans la «littérature» administrative de notre pays, aussi bien au sein du département de la justice que dans les organisations des droits de l’homme.

La procédure de reconversion, à partir de 2010 – en application de l’amendement du Code pénal de janvier 2009 – de peines d’emprisonnement en travaux d’utilité publique pour quelques catégories de prisonniers est à appréhender dans le sens de permettre une meilleure réinsertion du délinquant sans le passage par le milieu carcéral. Le bilan d’une telle mesure – sur le plan de l’efficience et de la réponse aux objectifs qui lui sont fixés – n’est pas encore établi.

Par ailleurs, les dispositifs réglementaires faisant valoir les procédures de conciliation, d’arbitrage et de médiation sont destinés aussi, au même titre que la reconversion des peines, à réduire la pression sur les maisons d’arrêt et, surtout, à éviter au condamné le contact avec le milieu carcéral. Ce sont là de nouveaux moyens mis en place par le législateur et tendus vers la réduction du phénomène de récidive et vers le maintien du condamné dans son milieu familial.

Il y a lieu de signaler que les peines condamnant aux travaux d’utilité publique sont prononcées en remplacement d’une peine initiale de moins de trois ans d’emprisonnement. Cette procédure de reconversion de peine prévoit des tâches qui ne dépassent pas 600 heures réparties sur 18 mois.

Il s’agit, note-on, pour le bénéficiaire de telles mesures de s’adonner à des travaux de reboisement et d’artisanat principalement. Des conventions dans ce sens ont été signées entre le ministère de la Justice et  les administrations concernées par ces activités.

Lorsque les mis en cause sont des femmes, d’autres solutions ont été imaginées pour compléter le dispositif, à l’exemple du concours sollicité du ministère de la Solidarité nationale pour les placer dans Diar Errahma.

NOUVELLES CIBLES, NOUVELLES ARMES

On sait également que, lorsque le système carcéral respecte les règles primaires de la dignité humaine, particulièrement à l’endroit de jeunes que de simples peccadilles ou erreurs de parcours ont conduit en taule, certains pensionnaires de maisons d’arrêt parviennent à décrocher l’examen de baccalauréat. Dans ce sens, des exemples éloquents ont été enregistrés dans notre pays au cours de ces dernières années.

Malgré toutes les mesures tendant à éviter aux jeunes délinquants la prison ou les en déloger le plus rapidement possible par des mesures de grâce, le phénomène de la délinquance juvénile continue à sévir dans la société. Pis encore, les objectifs visés, les méthodes adoptées et les moyens utilisés tendent à se diversifier et se sophistiquer.

Au cours de ces deux derniers mois, les populations algériennes ont été choquées, traumatisées et hébétées par la multiplication des actes d’enlèvement d’enfants et de jeunes filles. Une véritable sinistrose s’est abattue sur la société. Journaux, télévision, réseaux sociaux, aucun moyen n’a été négligé pour donner l’alerte, aviser, faire prendre conscience de la nouvelle monstruosité qui guette et affecte la société algérienne.

Des rumeurs ont même amplifié le phénomène au point où des parents se sont mobilisés toute la journée à accompagner leurs enfants à l’école. Après les kidnappings «lucratifs», visant essentiellement les enfants d’entrepreneurs ou appartenant à des familles aisées, voilà que des enlèvements parfois macabres sont signalés un peu partout sur le territoire national.

On a avancé, pour cela, toutes les hypothèses possibles et imaginables : abus sexuels (souvent avérés), vente d’organes (à vérification problématique), utilisation de parties du corps des enfants à des fins magiques (ensorcellement ou désensorcellement…)

La violence contre les enfants est un autre mal qui vient se greffer à la violence contre les femmes et les personnes âgées ou isolées. Elle marque une étape cruciale de l’évolution de notre société et particulièrement de la grande partie en son sein représentée par la jeunesse.

Les moyes et outils usités n’ont jamais été aussi «efficaces» et destructeurs : cambriolages d’appartements, y compris en plein jour, vol de voitures, hold-up contre des antennes postales, des bijouteries, des transports de fonds, attaque avec des armes blanches de plus en plus sophistiquées.

Ces armes blanches sont surtout arborées et maniées à l’occasion de règlement de comptes entre clans ou gangs de quartiers. Ce sont des épées de samouraïs, des épées artisanales, des coutelas de boucher, des canifs, des bombes lacrymogènes, des chaînes à vélo… et l’arsenal n’est pas près de s’épuiser.

Pour se livrer à des comportements aussi antisociaux et à des dérives aussi graves, les jeunes délinquants font tout pour baigner dans une atmosphère qui les met dans un état second : celui de la drogue, avec ses différentes variétés. Les dizaines de tonnes de kif que les services de sécurité ont saisies au cours des deux dernières années sont à même d’«alimenter» tous les jeunes solliciteurs du pays et même d’être exportées. Les ravages que la consommation de drogue fait au sein de la jeunesse algérienne ne sont sans doute pas évalués à leur juste mesure.

Des associations d’aide aux jeunes drogués, des médecins et d’autres bonnes consciences portées sur les question liées à la santé de notre société en général ont, à maintes reprises, tiré la sonnette d’alarme pour appeler toutes les parties à prendre leurs responsabilités (pouvoirs publics, école, services de sécurité, parents, imams…). La multiplication des cas de suicide au sein des jeunes n’est pas totalement étrangère à la consommation de la drogue.

Immanquablement, les différentes dérives sociales enregistrées dans les rangs de la jeunesse algérienne n’arrêtent pas d’inquiéter et d’interpeller au plus haut niveau la société, les pouvoirs publics et les spécialistes en pathologies relatives à la violence et la criminalité.

ANOMIE SOCIALE RAMPANTE

L’on se rend compte aujourd’hui que des lieux que l’on considérait, il y a quelques années, comme les moins perméables aux dérives et à la criminalité – mosquées, écoles, hôpitaux, universités… – sont affectés par la violence et la criminalité au même titre que tous les autres lieux réputés ouverts sur ce genre de comportements antisociaux (marchés, quartiers populaires, trains, bus collectifs, cafés, bars, cabarets…).

A l’université, un espace supposé être consacré au savoir et à la connaissance, les actes de violence se multiplient ces dernières années à l’envi. Le drame qui a ébranlé l’université de Mostaganem en 2009, lorsqu’un étudiant avait assassiné de sang froid son professeur pour lui avoir refusé une note telle que l’étudiant la voulait, est toujours présent dans les esprits.

Dans la plupart des lieux publics, le maître-mot semble être l’insécurité. Se balader nonchalamment en famille dans un jardin public, une forêt récréative ou dans un autre espace dédié en principe à la convivialité relève aujourd’hui d’un luxe !

Les spécialistes en sociologie parlent d’une espèce d’anomie rampante : pertes de liens et de repères sociaux, à commencer par ceux de la famille.

De même, outre le malaise social actuel, on évoque la décennie noire du terrorisme pour chercher une certaine «légitimation» de la violence. L’on se souvient de l’analyse clairvoyante de feu Abdelmadjid Meziane, professeur, ancien responsable du Conseil supérieur islamique, selon laquelle le terroriste est peut-être l’exemple même de cet individu devenu machine qui a tué dans son cœur toute idée de divinité étant donné que, se situant à l’extérieur de la société et possédant les moyens matériels de tuer, de mutiler, de torturer et d’annihiler, il ne voit aucune limite à son action immédiate.

Se croyant omnipotent, grisé par une puissance fugace, se sachant en même tant condamné à une proche disparition, il donne plein essor à son pouvoir destructeur, avant qu’il soit tué.

Les sociologues, les psychologues, les criminologues, les journalistes, les hommes politiques et tous les spécialistes, qui peuvent apporter un tant soit peu leur contribution dans la problématique du traitement des graves dérives sociales qui continuent d’affecter la jeunesse algérienne, sont aujourd’hui interpellés. Ce sont la cohésion sociale et l’avenir de cette même jeunesse qui sont en jeu.

Saâd Taferka