Teindre en blanc un loup ne le transforme pas en mouton. Bouteflika n’aurait pas dû prêter l’oreille aux vendeurs de rêve qui lui ont fait croire qu’un remaniement lui referait une virginité politique. Comme l’empereur de la fable, ses nouveaux habits invisibles ne le protègent plus du regard des Algériens.
Mais que se passe-t-il ? Le président Abdelaziz Bouteflika a procédé jeudi 14 mai à un remaniement partiel. Dans la caverne d’Ali Baba qu’est l’actuel gouvernement algérien, le ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales, Azzedine Belkacem Nacer, parle de démocratie participative et s’attelle à élaborer un site électronique pour valoriser les expériences réussies. De plus, le ministre de la Jeunesse et des Sports, Abdelkader Khomri, veut la réactivation des canaux de dialogue entre le ministère de la Jeunesse et le partenaire social. Finalement, la nouvelle ministre de la Poste et des Technologies de l’Information et de la Communication, Houda-Imane Faraoun, est une des Algériennes les plus brillantes.
Pour bien comprendre ce remaniement, il faut se rappeler qu’il se produit dans un climat de menace de crise financière sur fond de chute de prix de pétrole alors que des scandales de corruption, trafic d’influence et favoritisme éclaboussent le gouvernement. Les manipulations financières qui ont été rendues visibles dans les dossiers de l’autoroute est-ouest et du groupe El-Khalifa où plusieurs ministres sont mis en cause ont poussé le Président de la République à changer les habits de son régime. Par contre, dans les faits, on voit bien qu’après le quatrième mandat, il n’a pas changé officiellement son orientation économique. D’ailleurs, bien qu’il ait voulu donner meilleure allure a son gouvernement Bouteflika n’en a pas moins fait reculer le nombre de femmes ministres de sept à seulement quatre alors que dans la société algérienne, comme dans toutes les autres dans le monde, l’intelligence et la sagesse sont réparties également entre les deux sexes. Le message politique qu’envoie ce recul en est un de retrait de la modernité. L’émergence très brutale de l’oligarchie met toujours en danger l’État algérien.
Houda-Imane Faraoun a beau être une patriote scientifique de premier plan, ces derniers font de bonnes cautions pour un régime, mais rarement de bons politiciens. Albert Einstein lui-même du haut de son intelligence avait remarqué ce fait et s’était interdit d’aller en politique. La science est un outil puissant et a servi dans le passé d’excuse aux plus atroces abominations. Dans son texte « Le risque, la peur et le progrès », Houda Imane Faraoun montre d’ailleurs qu’elle a un mauvais instinct politique. Traiter des peurs légitimes des Algériens démocrates comme si elles relevaient du désir d’atteindre un niveau du risque zéro est un grossier maquillage des faits. La peur qui existe actuellement dans le monde ne vient pas de faiblesses de l’esprit humain. C’est une saine constatation de la situation dans laquelle la planète se trouve. Elle ne semble pas évoluer dans un contexte de plus en plus risqué. Elle est dans ce contexte depuis déjà deux générations. De par leur nature même, tout évènement, toute action, toute découverte, sont réellement porteurs d’un risque potentiel et d’une menace qu’il faut prendre en compte. Considérer ces risques comme des peurs irrationnelles est se mettre soi-même la tête dans la guillotine en attendant qu’un événement imprévu vienne actionner la manette.
Depuis le commencement de la course nucléaire, l’espèce humaine est toujours à 40 minutes de son anéantissement. Oubliez cela une seconde et vous vous retrouverez dans une situation comme la crise des missiles de Cuba. De plus, les nouvelles techniques d’endoctrinement sont capables de transformer des humains en bombes et d’envoyer des armées entières se faire massacrer pour les désirs de quelques dirigeants. Rajoutez à cette situation la course effrénée à l’exploitation des hydrocarbures qui transforme toute augmentation du risque à long terme en profits immédiats et vous aurez un portrait assez juste de la situation.
Finalement, la peur qu’engendre le gouvernement Bouteflika n’est pas un égarement de jugement. La pensée de groupe dans un petit régime despotique comme celui qui existe actuellement en Algérie l’a amené à beaucoup de corruption et de violations des droits de l’homme. Une bonne scientifique, même très motivée politiquement, ne peut changer cet état de fait. L’Algérie d’aujourd’hui serait plus forte si la preuve d’une humiliante manipulation de la démocratie n’avait pas été faite lors de la réélection de Bouteflika pour un quatrième mandat. Il a paralysé la société algérienne tout entière et handicapé son activité au sein du concert des nations. Les nouveaux habits qu’apporte ce remaniement à l’empereur Abdelaziz Bouteflika ne sont pas magiques, mais tout simplement inexistants. Le roi est nu et tout le monde peut le voir.
Michel Gourd