Les habitants de la casbah se prononcent : «El Mahroussa toujours en danger ! »

Les habitants de la casbah se prononcent : «El Mahroussa toujours en danger ! »

En pleine polémique gesticulatoire sur les choix faits par les autorités concernant la restauration de la Casbah, nous avons choisi d’aller à la rencontre de ceux qui la vivent au quotidien. Habitants, artisans qui y travaillent … Il est sans doute temps et même intéressant qu’ils aient voix au chapitre concernant le devenir d’el-Mahroussa. S’attardant peu sur la polémique, ces derniers se préoccupent surtout de considérations immédiates et concrètes.

Nedjma Merabet – Alger (Le Soir) – La majorité des personnes approchées à la Casbah, lorsqu’on aborde la question de sa restauration, ont le souci de rappeler que plusieurs fois, on a entrepris de reloger les habitants de bâtisses précaires, dans le cadre de sa restauration. Malheureusement, ils regrettent le non-aboutissement de ces initiatives. En effet, à chaque fois, de nouveaux squatteurs occupent les lieux vidés, sans intervention des autorités. La méthode à adopter semble être bien compliquée, ce que des spécialistes confirment. Un vieil homme, au regard perçant et au visage doux, pense même qu’il y a eu, à certains moments, des complicités au niveau de la mairie, évoquant un ancien maire de la Casbah. Il ne peut détacher ses yeux du paysage qui s’offre à nous, et demande de regarder attentivement : un lycée (Abdelkader), un collège, une polyclinique médicale (Lallahoum), des habitations, et, au milieu, des tas d’ordures amoncelées çà et là. Dans une cour intérieure, au pied d’un immeuble, une benne à ordures et des camions-poubelles sont parqués sous les fenêtres des habitants, qui subissent de plein fouet les odeurs nauséabondes et les risques microbiens.

Un jeune homme, dont la famille a perdu sa maison, se souvient de l’absence des autorités lorsque la bâtisse de leurs voisins s’était écroulée, entraînant la leur. Il se souvient avec une chaleureuse nostalgie comment les femmes repeignaient les murs à la chaux, plusieurs fois par an, et regrette la disparition de cette pratique pourtant primordiale pour l’entretien d’un bâti si délicat. «Sans doute ont-ils rénové le système d’évacuation des eaux usées, mais ce n’est pas assez, il faut réhabiliter les puits des maisons pour une bonne évacuation des eaux et une protection efficace de ce lieu fragile et délicat», nous disent deux hommes d’un certain âge, croisés au café de Hamid. Un vieux monsieur, qui était matelassier, à présent à la retraite, raconte comment, après le tremblement de terre qui avait détruit la Casbah à l’époque ottomane, on avait élaboré un matériau antisismique fait de terre et de jaune d’œuf ! A vrai dire, il exprime le souci de connaître et faire connaître précisément l’histoire, mais aussi les prouesses techniques nées dans ce lieu.

Un artisan dinandier insiste sur la nécessité de confier la rénovation de la Casbah à des spécialistes. A défaut d’Algériens, l’important est de confier cette tâche à des personnes qui auront le sincère souci de préserver minutieusement ce joyau de la Méditerranée et maîtrisent les techniques, matériaux, et l’esprit de cette citadelle des temps anciens.

Un peu plus haut, on voit un modeste souci d’entretien. Çà et là, le souci d’embellir, de nettoyer, un minuscule petit salon de thé, curieux, aux mille couleurs et à l’aspect aussi chaleureux que kitch. Un habitant a décoré l’entrée de son immeuble de pierres incrustées, de faïence artisanale et de portraits de Momo, El Anka, Ali la Pointe, Dahmane El Harrachi… Une étincelle d’espoir et de résistance dans ce petit musée à ciel ouvert dont la restauration semble poser de bien lourds problèmes techniques aussi bien que sociaux. Les artisans ont une vision bien particulière de ce qui devrait être fait pour sauvegarder tout le patrimoine matériel et immatériel que constitue la Casbah.

Un artisan maroquinier a des positions très strictes concernant la vieille médina. Pour lui, la Casbah a besoin de «ses gens», de «ceux qui la connaissent bien», et c’est aussi le cas de l’activité de l’artisanat, composante indissociable de la vie de la Casbah. Or, il regrette l’absence d’organisation viable. Selon lui, l’expérience des écoles de formation pour artisans a été tentée sans succès, car l’apprenti artisan doit «vivre le métier» et non consacrer quelques heures par semaine à un apprentissage qui finit par devenir ennuyeux et sans contenu. Il préconise que l’Etat permette aux maîtres-artisans de louer des locaux pour y instaurer des ateliers qui pourraient accueillir des apprentis, qui viendraient «y vivre leur métier». Ainsi, il pense qu’il est primordial de maintenir la tradition de la transmission du savoir artisan par ce type de fonctionnement, pour éviter une disparition définitive, qui ne saurait tarder, selon lui. De plus, il ne considère pas le centre d’artisanat «dans lequel des délégations étrangères viennent faire leurs courses» comme étant une solution viable à long terme, ni même à la hauteur du patrimoine ancestral de l’artisanat algérois. Partant des histoires et légendes que les habitants de la Casbah adorent raconter aux visiteurs, ils expriment ainsi l’essence de ce lieu mythique dans l’espoir de faire toucher du doigt la façon dont on devrait la considérer dans un contexte de grands travaux de réaménagement de toute la ville d’Alger.

Un excentrique qui garde l’œil sur la marchandise de son ami qui vend de vieux objets à même le sol, à proximité du marché, n’a pour unique souci que de faire découvrir aux visiteurs et aux curieux toutes les légendes de la Casbah qu’il connaît : Lella khdaouj el aâmiya, N’fissa ou encore les anecdotes de la Bataille d’Alger, etc. Cela ressemblerait presque à une sorte d’écosystème fragile et précieux, qu’il faut traiter avec la plus grande délicatesse et le plus méticuleux savoir-faire.

Sans s’en inquiéter outre mesure, puisqu’ils se sont résignés à voir leur vieille ville tomber en ruine sous leurs yeux, dans le fond, la plupart des personnes accostées sont tristement persuadées qu’une bonne partie de la Casbah sera encore détruite. Le fils du matelassier évoqué plus haut, qui a continué le métier de son père, nous dit que de la place des Martyrs et jusqu’à «Zoudj aâyoune», tout sera détruit pour y implanter des hôtels de luxe.

N. M.