Les graves conséquences de la fièvre aphteuse en kabylie : Autopsie d’une maladie

Les graves conséquences de la fièvre aphteuse en kabylie : Autopsie d’une maladie

Une tournée dans plusieurs villages rend amplement compte des effets psychologiques sur les individus.

Depuis son apparition, l’épizootie de la fièvre aphteuse n’a cessé de soulever des vagues parmi les éleveurs de la wilaya de Tizi Ouzou. Activant dans une région connue pour sa consommation de viande bovine plus que ovine, les séquelles sont par conséquent beaucoup plus perceptibles. Pis encore, elle apparaît dans une période où la consommation du produit augmente par l’effet des fêtes de mariage. Parallèlement aux séquelles financières et sanitaires, la fièvre aphteuse a des conséquences également du point de vue sociologique.

Un traitement traditionnel?

Une tournée dans plusieurs villages rend amplement compte des effets psychologiques sur les individus. Des conséquences qui, d’individu à individu, s’amplifient et affectent tout le groupe pour devenir sociologique. «Je n’ai jamais vu une telle rapidité dans la propagation d’une maladie. Nous avons connu par le passé des maladies semblables mais pas aussi virulentes. Figurez-vous que l’essentiel de mes ventes se fait pendant l’été à la saison des fêtes dans la région.

Et, comme vous le constatez, cette année, je n’ai rien vendu», affirme un éleveur d’un âge avancé. Cependant, comme la confiance entre organismes concernés et agriculteurs n’a jamais été totale, il a été constaté que les citoyens ne se conformaient souvent pas aux injonctions. «J’ai égorgé deux boeufs à l’occasion de la fête de mon fils. Cette maladie, je la connais. Je me souviens que mon père soignait ses bêtes des mêmes symptômes. Moi aussi je peux le faire. Il m’a appris la technique qui consiste à enlever les aphtes à l’arrière de la gorge de l’animal.

Jadis, pour ces symptômes on ne tirait pas la sonnette d’alarme. Chacun savait la conduite à tenir», raconte un autre vieux qui ne semblait pas croire en la médecine actuelle préférant faire confiance aux connaissances des anciens. Nous avons, toutefois, essayé de nous renseigner auprès d’autres éleveurs s’ils se souviennent de l’existence d’un quelconque traitement appliqué par les anciens mais sans résultats. Aucun n’a donné une réponse précise et suffisante. Aucune précision n’a été recueillie à même d’affirmer ou d’infirmer l’existence d’un traitement mais aucune autre preuve que celui-ci n’a pas existé. Selon la description des symptômes, les vieux racontent en effet que leurs ancêtres savaient soigner la maladie.

Des consignes compliquées

Retour à l’époque moderne et aux traitements actuels. Il semblerait que ces derniers nécessitent des campagnes de sensibilisation que les éleveurs rechignent à recevoir. Preuve en est que la propagation de la maladie est à bien des égards due aux insuffisances de la dernière campagne de vaccination du mois de mai. «Je n’ai pas vacciné mes bovins. Je n’ai même pas entendu parler de la campagne en question», reconnaît un éleveur. Les services vétérinaires de la wilaya confirment d’ailleurs que les campagnes de vaccination n’ont jamais été suivies comme indiqué. Les éleveurs ne donnent pas beaucoup d’importance aux conseils des vétérinaires. C’est quand l’urgence arrive que ces derniers se ruent sur leurs cabinets.

D’un autre côté, l’épizootie a révélé au grand jour des insuffisances criardes dans la coordination du travail entre différents services concernés. A l’apparition de la maladie, les vétérinaires conseillaient aux éleveurs l’utilisation de produits bien déterminés. Une fois le message reçu, le même produit est introuvable sur le marché.

L’absence de coordination a d’ailleurs fait que le meilleur désinfectant conseillé pour la maladie, la soude caustique, n’était pas disponible sur le marché durant toute la période qu’a prise la maladie.

Toujours au chapitre des insuffisances, il convient de signaler que les services concernés ont, sans aucune explication, opté pour l’utilisation d’un vaccin dont la date de péremption était le 31 août. A cette date, les éleveurs n’avaient pas tous terminé la vaccination de leur cheptel.

Il n’y aura pas d’autres dégâts…

Au vu de la réaction des pouvoirs publics à l’apparition de la maladie, il est devenu apparent que les pertes auraient pu être plus désastreuses n’était-ce la rapidité des mesures prises par le wali. La fermeture immédiate des marchés de bestiaux et l’interdiction de transport de bovin a certainement limité les pertes. Toutefois, ces mêmes pertes auraient-elles été limitées à la prochaine étape. Le suivi vétérinaire, l’application des directives et le suivi de l’opération de désinfection des étables, de la vaccination ont-elles été suivies comme attendu?

Selon les données recueillies sur le terrain, les pertes étaient grandes. Les derniers chiffres prouvent aisément ce fait.

Ce sont au total quelque 1621 têtes touchées dans 174 exploitations recensées. La propagation a atteint 64 foyers dans 38 communes touchées portant le taux de bovins touchés à 1,6% du total du cheptel de la wilaya. Quelque 1588 têtes ont nécessité l’abattage alors que 916 sont mortes de la maladie. Les opérations de vaccination ont touché 55.000 bêtes.

Dans tous les cas, les éleveurs reconnaissent d’un côté ne pas avoir suivi à la lettre les consignes des vétérinaires. Les campagnes de sensibilisation n’ont pas eu l’effet escompté. Les deux parties reconnaissent leur responsabilité dans l’échec du volet communication.

Toute la vérité sur les indemnisations

En tout état de cause, les services concernés affichaient de l’optimisme lors du dernier conseil de wilaya consacré à la maladie. Pas moins de 174 éleveurs ont déposé leurs dossiers d’indemnisation. Jusqu’à la semaine dernière, 93 d’entre eux ont été étudiés et validés pour le remboursement. Seulement voilà, les éleveurs commencent à exprimer des doutes quant à la rapidité de la démarche car ils se sont vus orientés vers la Banque du Développement Rural (Badr).

Bien que l’Etat ait consacré à l’opération d’indemnisation une enveloppe financière de 79 millions de dinars pour indemniser un total de 879 têtes perdues, il n’en demeure pas moins que les concernés prévoient déjà des perturbations et des retards. En pleine propagation de la maladie, les services de l’agriculture ont eu toutes les peines pour calmer les éleveurs en colère à cause des conditions posées pour l’indemnisation.

Des antennes de la DSA ont été assiégées par les éleveurs en colère après l’annonce de ces mesures.

L’organisation des paysans algériens de son côté est montée au créneau pour demander l’allégement des conditions. De plus, les agriculteurs s’interrogeaient et s’inquiétaient à propos de l’avenir des indemnisations. En fait, ils craignent qu’avec la fin de la propagation de la maladie et le détournement des médias, les opérations se ralentissent. Les démarches administratives ont toujours été d’une lenteur sidérante, qui a découragé beaucoup d’éleveurs.

De quoi sera fait demain?

Jusqu’à hier, beaucoup d’éleveurs se lamentaient de n’avoir pas contracté des contrats d’assurances. Beaucoup en effet, à l’exception des éleveurs en relation commerciale avec les banques, n’assurent pas leur cheptel.

L’expérience de la fièvre aphteuse semble toutefois convaincre beaucoup d’éleveurs à souscrire une assurance. «Je comprends maintenant que j’avais en fait tort de n’avoir pas assuré mes bêtes» reconnaît un jeune éleveur qui a hérité un cheptel de son père. Il affirmait d’ailleurs que ses bêtes n’ont pas été touchées mais il a appris la leçon.