Les juges bénéficient le plus souvent d’un statut particulier qui détermine les conditions de leur formation et les règles de leur recrutement, de leur rémunération, de leur affectation et les mesures disciplinaires qui leur sont applicables. À ce statut s’ajoutent les règles du fonctionnement général des services de justice.
L’ensemble de ce dispositif renforce ou, à l’inverse, fragilise la position individuelle ou collective des magistrats, par rapport aux pressions qu’ils peuvent subir en tant que corps ou à l’occasion du traitement de dossiers particulièrement sensibles.
Le principe de l’inamovibilité des juges est un élément fondamental pour garantir l’indépendance des magistrats. Il s’agit, par ce principe, d’éviter que l’on écarte indirectement le juge d’une affaire sensible par une affectation impromptue ou que le système de nominations ne permette de sanctionner les juges de manière dissimulée. Les contraintes de gestion des ressources humaines disponibles peuvent, cependant, justifier une dérogation au principe de l’inamovibilité en ayant recours à la notion de nécessité de service. Cette entorse à la règle de l’inamovibilité doit être strictement réglementée pour éviter les abus. Ce principe n’élimine pas totalement les atteintes à l’indépendance du juge ou les risques de pression acceptée ou subie, et il arrive que le magistrat lui-même consente à se subordonner au pouvoir politique ou à d’autres forces de pression. Il est important de préciser que le principe de l’inamovibilité s’applique aux juges du siège, les magistrats du parquet étant soumis à l’autorité hiérarchique de l’exécutif, qui ne les prive cependant pas de toute autonomie pour déclencher et poursuivre l’action publique.
Le système de gestion de carrière des magistrats est également un élément important qui conditionne l’indépendance de la justice. Les carrières sont gérées par le Conseil supérieur de la magistrature qui est seul compétent pour décider de la nomination, de l’affectation, de la promotion et des mesures disciplinaires relatives aux juges. La composition et les attributions de cette instance peuvent limiter son indépendance réelle, en fonction du rôle dévolu à l’autorité politique dans la nomination de ses membres ou dans la définition de leurs compétences.
Dans certains pays, c’est le cas de l’Algérie, ce conseil est présidé par le chef de l’État qui exerce ainsi une influence directe sur ses décisions et sur la carrière des magistrats. Par ailleurs, l’exécutif ou certaines autorités judiciaires peuvent avoir recours de manière abusive à des mesures d’affectation provisoires dans l’attente d’une convocation hypothétique du Conseil.
Les conditions matérielles assorties à la fonction de juge peuvent aussi avoir une influence sur leurs comportements. Des rémunérations faibles fragilisent les juges et les exposent davantage aux risques de complaisance à l’égard de l’exécutif ou des justiciables.
Le fonctionnement général et les moyens des services judiciaires sont également des facteurs susceptibles d’affecter la neutralité et l’indépendance des magistrats. Les conditions matérielles de travail dans les juridictions ont une influence certaine sur la motivation du personnel, et il est important que les services judiciaires soient dotés des ressources humaines et matérielles nécessaires pour fonctionner de manière indépendante à toute pression. L’état des locaux, les équipements et la compétence des personnels auxiliaires contribuent à renforcer ou à diminuer l’autorité et la crédibilité du magistrat. C’est pourquoi l’autonomie budgétaire de la justice, voire la gestion autonome des tribunaux pourraient contribuer à donner à la justice les moyens de sa dignité, consubstantielle à sa probité.
L’organisation du tribunal, la répartition des affaires entre les magistrats, ainsi que les conditions générales d’organisation du travail sont importantes pour assurer leur indépendance et leur autorité. Un encadrement par le pouvoir politique des nominations des chefs de juridiction peut avoir une influence négative sur le fonctionnement des cours et des tribunaux et porter atteinte à la probité du corps, en favorisant des comportements partiaux. Dans certains pays africains, des clans se constituent ainsi à l’intérieur du corps de la magistrature pour se disputer les faveurs du pouvoir.
L’influence des supérieurs hiérarchiques sur la conduite des magistrats est particulièrement aisée en ce qui concerne les magistrats du parquet. Ceux-ci ne bénéficient pas de la règle d’inamovibilité et relèvent d’une structure hiérarchisée qui est souvent placée sous l’autorité directe du pouvoir politique. Ce dernier peut être tenté d’user de l’autorité hiérarchique pour protéger certaines personnes ou faire pression sur d’autres. Dans le domaine de la lutte contre la corruption en particulier, l’autorité politique peut donner des instructions pour empêcher la poursuite d’auteurs d’infractions notoirement connus ou, à l’inverse, salir la réputation d’opposants politiques par l’engagement de poursuites injustifiées à leur encontre.
Dans d’autres cas, la poursuite de telles infractions ne peut être déclenchée que sur ordre exprès de l’autorité politique, ce qui met à l’abri tous ceux qui bénéficient de protections politiques. L’ensemble de ces éléments contribue à créer un environnement propice ou non à l’indépendance du corps de la magistrature et, de manière subséquente, à favoriser ou non la corruption dans l’appareil judiciaire. Au-delà des règles mises en place, il faut aussi préciser que la valeur personnelle du juge est souvent déterminante, les principes d’indépendance et d’intégrité étant aussi une question d’état d’esprit individuel.
D. H.