Les feux de la protestation sont encore allumés,Laghouat ou le volcan du Sud

Les feux de la protestation sont encore allumés,Laghouat ou le volcan du Sud

Les logements de la discorde

«Nous n’allons pas quitter la rue avant la satisfaction de nos revendications par le wali.»

De jour comme de nuit, les feux de la protestation sont encore allumés à la «place de la Résistance», coeur de la ville de Laghouat. En effet, les protestataires ne décolèrent pas depuis maintenant 8 jours. Le risque d’une explosion sociale plane sur la ville qui est sur un volcan. Le chef-lieu de la wilaya expose un décor de révolte. Banderoles mettant à l’évidence les revendications des citoyens et emblème national auréolent les lieux, où les indignés de la ville de Laghouat crient leur colère contre l’administration. «Nous n’allons pas quitter les lieux avant la satisfaction de nos revendications par le wali», préviennent les citoyens rassemblés durant la nuit de jeudi dernier à la place de la Résistance, située à quelques encablures du siège de la wilaya, entouré par une dizaine de camions de forces antiémeute depuis une semaine. Les unités de la police sont aux aguets et suivent attentivement le mouvement de la foule en colère. Déterminés et catégoriques, ils comptent contraindre leur wali à annuler la liste des bénéficiaires de logements sociaux, à l’origine de la grogne. D’ailleurs, même la médiation des notables entre l’administration et les citoyens n’a pas influé d’un iota sur le cours des événements.

Les maux qui travaillent la société

Ni l’imam de la mosquée du centre-ville, Yacine Sadeki, ni le grand notable Hadj Brahim Guelmi, pourtant largement écoutés par les citoyens, n’ont pas trouvé audience parmi les occupants de la place de la Résistance. Leurs tentatives de calmer les esprits révoltés se sont avérées vaines, et ils risquent même d’être accusés de servir de relais de l’administration. «Nous ne reconnaissons plus le discours de notre imam et celui de Hadj Brahim, symbole de l’autorité morale pour nous. Nous avons plus l’impression qu’ils sont du côté du wali et de ses relais», souligne Ahmed, un universitaire en chômage et père de trois enfants, rencontré sur les lieux de la protestation durant la nuit de jeudi dernier. Et de poursuivre sur sa lancée: «Je suis né à Laghouat, j’ai demandé depuis 10 ans, un logement pourtant je suis un nécessiteux. Mais, voilà, je n’ai rien reçu, alors que ceux qui sont venus des autres wilayas ont bénéficié de logements». Pis encore, dit-il, il y a 25 familles portant le même nom et qui ne sont même pas de la wilaya de Laghouat, mais elles ont bénéficié de logements sociaux.

Lui emboîtant le pas, son compagnon, Samir, un natif de Laghouat, père de deux enfants soutient, à son tour: «Nous sommes abandonnés par les autorités centrales et locales. Notre wilaya profite aux lobbys de tout bord», précisant que leur région représente le symbole tragique de ces villes d’extraction des hydrocarbures et dont la population marginalisée est tenue à l’écart des ressources.

Laghouat est, explique Samir, le parfait exemple d’un modèle économique rentier défaillant qui gâche les richesses nationales, laissant ainsi sans perspective une grande partie de la population, les jeunes au premier rang. A ce sujet, Hadj Aïssa, ingénieur travaillant à Sonatrach, indique que Laghouat, est traversée par la RN 1 liant le Nord au Grand Sud, néanmoins elle demeure sans aucune zone industrielle lui permettant de se hisser au rang des pôles économiques du pays, pourtant elle est située à proximité du grand gisement gazier de Hassi Rmel, représentant un quart de la production gazière totale du pays. «Notre région constitue la plaque tournante du gaz en Algérie puisque la production d’autres régions comme celle de Hassi Messaoud y sont centralisées», fait-il savoir, avant de renchérir: «Ce gisement, ajoute-t-il, est celui des grands gazoducs qui exportent le gaz vers le nord du pays et l’Europe comme le Transmed Algérie-Tunisie-Italie ou le Maghreb-Europe par le détroit de Gibraltar.» Auprès des protestataires, les revendications tendent de plus en plus à porter sur la dénonciation d’injustices socioéconomiques criantes.

Un centre psychiatrique et un pénitencier

A ce sujet, il faut dire que depuis une semaine, Laghouat mais également Skikda et Ouargla sont traversées par un mouvement de contestation contre le chômage et la corruption. Ces trois villes ont un point commun essentiel: ce sont des villes situées au coeur de bassins pétroliers et gaziers.

C’est dire que Laghouat exprime ces maux qui enchaînent la société algérienne. A Laghouat, la pauvreté s’est accrue ces dernières années tandis que perdurent les crises du logement et de l’emploi. «La crise du logement est profonde -insalubrité, surpopulation, attente désespérée des listes d’attribution des logements sociaux- tandis que la corruption est érigée en mode de gestion», a souligné Tahar, un universitaire en chômage, relevant avec amertume que leur wilaya a eu droit en termes d’investissement à la construction de l’un des plus grands centres pénitenciaires du pays, voire de l’Afrique et un centre psychiatrique.

Le manque d’opportunités d’emploi et le taux de chômage élevé des diplômés universitaires engendrent deux phénomènes alarmants: les jeunes quittent de façon prématurée le système scolaire et empruntent les chemins de la délinquance.

Les manifestants sont de jeunes chômeurs, ce qui renseigne notamment sur les difficultés socio-économiques des citoyens et auxquelles l’Etat a accordé trop peu d’importance.