Des dizaines d’associations féminines d’Afrique, d’Europe, du Moyen Orient et d’Asie ont joint leurs forces la semaine dernière dans le cadre d’une immense campagne orchestrée par la Coalition pour les droits sexuels et corporels dans les sociétés musulmanes (Coalition for Sexual and Bodily Rights – CSBR).
Dans le cadre de cette manifestation « Un jour, un combat » organisée simultanément en plusieurs endroits, mercredi 9 novembre, des manifestations publiques, des projections de films, des spectacles de théâtre et des ateliers ont été organisés au Bangladesh, en Egypte, au Ghana, en Indonésie, en Iran, au Liban, en Malaisie, au Pakistan, en Palestine, au Soudan, en Turquie et en Tunisie.
Cette initiative mondiale visait à attirer l’attention des sociétés musulmanes sur les abus sexuels, les mutilations génitales, les meurtres pour l’honneur, la lapidation ou la flagellation des femmes, et le « droit à l’intégrité corporelle et sexuelle de toutes les personnes », a indiqué le CSBR.
Cette journée a été une déclaration d’action contre « toutes les forces réactionnaires qui cherchent à contrôler, disposer et prendre possession du corps des femmes », a expliqué Sanaa Benachour, présidente de l’Association des femmes démocrates de Tunisie, lors d’un forum organisé à Tunis pour marquer cet évènement.
« Nous voulons prendre certaines mesures pour venir à bout de l’hypocrisie sociale, de l’oppression culturelle et de la coercition politique, et pour nous permettre d’ouvrir un débat sérieux sur les droits sexuels et physiques », a-t-elle ajouté.
Les droits corporels prévoient la protection contre le harcèlement sexuel. Cette question revêt une importance particulière en Tunisie, le seul pays du Maghreb à participer à cette campagne internationale.
Le harcèlement et les abus sexuels restent parmi les délits les moins signalés et les moins efficacement traités en Tunisie, a expliqué Me Faouzi ben Mrad, avocat, aux participants de ce forum.
« Le Code pénal doit être revu. Il souffre de plusieurs lacunes, notamment dans la mesure où la législation tunisienne n’utilise pas le terme « violence sexuelle », mais parle plutôt de délits de viol, de prostitution publique ou d’obscénité », a ajouté Me ben Mrad.
Bien que la peine pour viol soit la prison à vie en Tunisie, le pays est encore en retard par rapport à l’Algérie et au Maroc en matière de harcèlement, a-t-il précisé.
« La victime ne peut porter plainte directement auprès du tribunal ; elle doit le faire par le biais du procureur de la République, qui décide si le cas doit ou non être déféré au juge. Mais même dans ce cas, la victime peut être légalement poursuivie si l’accusé est acquitté », a-t-il précisé.
Les femmes tunisiennes se plaignent d’avoir à endurer de fréquentes violations sur leur lieu de travail ou dans la rue.
« Je souffre de harcèlement tous les jours, mais je ne peux porter plainte parce que je ne peux fournir les preuves nécessaires, ce qui pourrait me placer en situation d’accusée », a déclaré Sarah, une enseignante.
Pour sa part, la coordinatrice du Comité national des femmes travailleuses Najoua Makhlouf a apporté des témoignages de femmes au travail sujettes à des abus, expliquant que « elles sont issues de milieux modestes et ont besoin de ces emplois en usine, et se retrouvent parfois obligées de céder aux avances de leurs supérieurs par crainte de perdre leurs moyens de subsistance ».
L’année dernière, avec l’aide de comités pour les droits des femmes, une femme salariée dans un hôpital privé a osé intenter un procès pour harcèlement sexuel contre le propriétaire de cet hôpital. Le tribunal lui a rendu justice et lui a accordé 80 000 dinars d’indemnisation. Le propriétaire a dû fermer son établissement, mais la victime a décidé de ne pas porter plainte au civil contre lui.
Bochra Bel Haj Hmida, avocate et ancienne présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates, a souligné la nécessité de lois assurant un suivi psychologique et social pour les femmes et les enfants victimes de violences sexuelles.
Elle a présenté le cas d’une jeune fille qui avait été séduite par son compagnon, puis agressée sexuellement par un groupe d’hommes jeunes. Le tribunal avait décidé que la victime de ce viol s’était livrée à la prostitution et l’avait condamnée à une peine de prison.
« Nous ne devrions pas nous contenter de punir le coupable, il faut mettre en place une procédure de suivi des victimes », a-t-elle conclu.