Effarant! Plus de 10 millions de femmes sont en âge de procréer. Cela avoisine le tiers de la population estimée à 35,6 millions d’habitants.
Samia porte en elle l’histoire d’une femme à la recherche d’un foyer abritant l’éden de son bonheur. Elle rêve d’un mari attentionné et d’enfants qui puissent faire d’elle une épouse et une mère heureuse. Elle est belle, instruite et travaille dans le secteur de l’éducation.
En somme, elle a tous les atouts d’une femme promise à un avenir radieux. Pourtant, elle est triste. «Il est difficile d’assumer son célibat à un âge aussi avancé que le mien», soupire cette femme. Son âge? Il constitue un tabou que les traditions ont forgé au fil des ans.
Les propos de Samia s’élèvent comme un air triste que renvoient les murs de Bab Jedid. La Casbah reprend sa plainte. L’âme d’Alger pleure ses filles qui, instruites, voient leurs rêves de fonder un foyer se briser à la sortie de l’université.
Cette plainte prend une autre tonalité Celle de la misère sociale qui étouffe les garçons en âge de se marier. Cette misère se manifeste à travers les derniers chiffres de l’Office national des statistiques.(ONS). Effarant! Plus de 10 millions de femmes sont en âge de procréer. Cela avoisine le tiers de la population estimée à 35,6 millions d’habitants.
Le plus inquiétant est que le taux de nuptialité a subi un effet limité, passant de 9,58 à 9,68 pour mille entre 2008 et 2009, tel que présenté par l’ONS. L’année dernière a enregistré 341.321 mariages. Malgré un accroissement de 3% du nombre des mariages entre 2008 et 2009, le taux de nuptialité reste faible. Cela est dû à des facteurs liés au poids des traditions et à la situation sociale des jeunes en âge de se marier. Entre les femmes instruites et celles qui ne le sont pas, ces derniers hésitent.
«Le choix du partenaire est un véritable casse-tête pour moi. Se marier avec une femme instruite présente des avantages et des inconvénients», estime Farid N. la trentaine entamée, rencontré au Café central, à Bab El Oued. Ses propos provoquent la curiosité de ses trois compagnons avec lesquels il joue aux dominos.
Une discussion intéressante est engagée. Elle accompagne les facettes du jeu. «Pour moi, la femme instruite est moins attachée au valeurs ancestrales que celle qui n’a pas fait d’études supérieures», tranche Hakim, un jeune électricien. A 28 ans, il a en charge une famille nombreuse. Il est l’aîné et prend la place d’un père disparu depuis quatre ans. «Je n’épouserai pas une femme qui n’accepte pas de vivre avec ma famille et de m’aider à la prendre en charge», tranche-t-il. Omar, son partenaire l’incite à jouer. La partie reprend. Nous laissons les joueurs de dominos à leur passion. A notre sortie du café, nous sommes accueillis par une vue panoramique.
La mer que caressent les rayons du soleil chante une douce mélodie.
Choisir: le mari ou le travail?
Cette vision du paradis est éphémère. Elle s’éclipse dans le regard triste de Fahima, une stagiaire en architecture. Elle vit une situation qui lui impose de faire un choix déchirant entre son fiancé et sa profession.
«Mon fiancé ne veut pas que je travaille», avoue cette jeune fille d’un air désolé. Son fiancé est commerçant. Il a grandi avec une cuillère d’argent dans la bouche. Ses parents détiennent des biens dans les quartiers chics d’Alger.
Son malheur est celui de beaucoup de ses semblables. Ces situations montrent que l’homme veut toujours garder le monopole sur la gestion financière du foyer familial. Le poids des traditions imbibées de clichés et de préjugés est lourd à porter.
C’est ce qui ressort, de prime abord, des propos de Mme Ghemmour, psychologue. Cela dit, elle reste sceptique par rapport à l’affirmation de cette tendance qui fait de la femme une mineure à vie. «Je constate que les jeunes d’aujourd’hui préfèrent de plus en plus épouser des femmes instruites», nuance-t-elle. Cela veut-il dire que les jeunes en âge de se marier veulent se libérer de la tyrannie des traditions?
Pour Mme Ghemour, le choix d’une universitaire comme épouse relève d’une conception affirmée de la vie conjugale. «Les jeunes d’aujourd’hui veulent avoir des épouses qui puissent subvenir aux besoins de la petite famille, accompagner les enfants dans leur cursus scolaire», constate cette dernière.
Cette lecture trouve sa confirmation dans la situation de Ramdane, informaticien. Il est âgé de 35 ans, marié et père de deux enfants dont l’aîné entrera en classe préparatoire l’année prochaine. Son épouse est enseignante au lycée.
«Je l’ai connue à l’université. Ma femme m’apporte beaucoup de bonheur dans ma vie. Elle a une conception moderne de l’éducation des enfants», explique-t-il. Pour Ramdane, l’instruction est l’instrument éducatif qui permet à l’enfant de s’épanouir. Pour cela, il estime que le niveau intellectuel de sa partenaire lui permet de les accompagner dans leur parcours scolaire.
Une société en pleine mutation
L’exemple de Ramdane montre que la société vit de profonds changements.
Le mariage, l’acte social qui permet la pérennisation de la société, est au centre de ces mutations. Seulement, les tendances liées au mariage sont peu connues des spécialistes. «Le milieu sociologique algérien peu étudié cette question.
Il y a certes des recherches menées par de jeunes chercheurs universitaires mais, celles-ci restent inexploitées», regrette Mme Boutheina Chriet, sociologue. Seulement, cette dernière émet l’hypothèse que les jeunes qui préfèrent épouser les femmes qui n’ont pas fait d’études supérieures évoluent dans des milieux «traditionalistes qui véhiculent une idéologie conservatrice». Ces tendances conservatrices sont aussi à rechercher au niveau d’une classe arriviste. Cette classe introduit des valeurs foncièrement matérialistes dans la société.
«Cela dit, l’évolution de la société va à l’encontre de ces tendances. Les jeunes d’aujourd’hui définissent petit à petit de nouveaux codes sociaux versés dans la modernité», annonce Mme Chriet.
Les statistiques de l’ONS montrent une société en gestation.
La répartition par âge fait ressortir que les moins de 15 ans constituent 28,2% de la population totale et ceux de moins de 5 ans,10%, ce qui «témoigne de l’augmentation récente de la natalité», selon l’Office. Pour la natalité, l’ONS relève que la progression des naissances se poursuit avec une augmentation de 32.000 naissances vivantes en 2009 par rapport à 2008, soit un total de 849.000 naissances (436.000 garçons et 413.000 filles), soit un rapport de 105 garçons pour 100 filles.
L’évolution récente du nombre de naissances indique que la natalité en Algérie «maintient le cap vers un niveau de plus en plus élevé», a commenté l’ONS. Cela montre que le taux brut de natalité n’a pas été très affecté par cette augmentation. Il est passé de 23,62 pour mille à 24,07 pour mille entre 2008 et 2009.
La mortalité a été caractérisée en 2009 par une augmentation bien légère de son taux brut qui s’est installé ces dernières années autour de 4,30 pour mille en 2006. Le nombre de décès (159.000) a augmenté en valeur absolue L’espérance de vie à la naissance se stabilise à 75,5 ans, soit 74,7 ans pour les hommes et 76,3 ans pour les femmes. Ces chiffres incitent à l’optimisme. Un optimisme qui se lit sur le visage de Madjid, journaliste. Selon lui, la société s’ouvre sur la modernité. En conséquence, son choix est fait.
«Sans hésiter, je choisirai une femme instruite», martèle-t-il. Madjid est issu d’une famille dont les parents sont instruits. Il pense que l’instruction de la femme joue un rôle important dans l‘épanouissement d’un couple. Pour moi, une relation permet la libération des deux partenaires du joug des traditions obsolètes, affirme-t-il.
Cette libération est vécue par Yasmine, employée dans une boîte de communication. «Je vis pleinement ma relation avec mon partenaire. Cette relation se concrétisera par notre mariage prévu prochainement», se félicite cette fille aux traits dédiés à la beauté. Sur son sourire renaît l’espoir d’une société vouée à l’ouverture.
Mohamed Sadek LOUCIF