Les fausses infos concernant « l’étape algérienne » de Mandela

Les fausses infos concernant « l’étape algérienne » de Mandela

3426703_3_9360_nelson-mandela-en-2007_254a3d248009e7e3b880dca82c256467.jpgDepuis l’annonce du décès de Nelson Mandela, il y a profusion d’articles pour le moins chauvins autour de la relation du leader sud-africain anti-apartheid avec l’Algérie. Avec des erreurs multiples et des mensonges fréquents sur plusieurs points. Ce blog décortique ici cinq points.

Faux : Mandela a été reçu en Algérie en 1960 ou 1961.

Vrai : Mandela a été reçu par les militants algériens au Maroc en 1962.

Un exemple parmi d’autres. Ici l’agence officielle APS se trompe d’une année sur la date de sa visite :

« Lors de sa visite au Maroc en 1961, Mandela passa « plusieurs jours » avec le représentant du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA), le docteur Chawki Mostefai, qui l’a initié aux différentes étapes de la Révolution algérienne.

Mandela a été ensuite convié à Oujda où il a rendu visite à une unité combattante de l’Armée de libération nationale (ALN) sur le front. (..)

Deux jours plus tard, Mandela a été invité à assister à un défilé militaire en l’honneur de l’ancien président Ahmed Ben Bella, à sa libération de prison. »

Chronologie inexacte. Ben Bella n’a pas été libéré en 1961! Comme indiqué dans l’article Mandela l’Algérien, la visite de Mandela à Oujda a eu lieu en mars 1962. Et Ahmed Ben Bella a été libéré qu’après la signature des accords d’Evian du 18 mars 1962, de là vient la photo historique des cinq dirigeants du FLN en compagnie de l’état-major de Boumediène à Oujda. Alors bourde de l’APS ou mensonge afin d’omettre le bras de fer entre le GPRA et un Ben Bella soutenu par l’état-major ?

2. Faux : Mandela a fait plusieurs visites secrètes en Algérie. Il avait un passeport algérien.

Vrai: Mandela a fait une unique visite au FLN-ALN du Maroc. Il avait un passeport éthiopien.

En réalité, la première visite du leader anti-apartheid sur le sol algérien a eu lieu en mai 1990. C’était après sa libération et c’était officiel. Avant cela, il y avait eu la seule visite de mars-avril 1962 dans les camps algériens au Maroc. C’était là son unique séjour chez les algériens avant sa longue incarcération.

Revenons aux documents historiques qui retracent son parcours. En juin 1961, face à la répression des forces apartheid, les militants de l’African National Congress (ANC) vont passer à la lutte armée avec la création d’une branche militaire clandestine appelée Umkhonto weSizwe (Fer de lance de la nation). Voici ce que dit le site de la fondation Nelson Mandela :

« Le 11 janvier 1962, sous le nom d’emprunt de David Motsamayi, Nelson Mandela quitte l’Afrique du Sud secrètement. Il fait une tournée africaine et visite l’Angleterre pour avoir du soutien pour la lutte armée. Il a reçu une formation militaire au Maroc (dans les camps de l’ALN) et en Ethiopie, puis revient en Afrique du Sud en juillet 1962. Il fut arrêté à un barrage de police à l’extérieur de Howick le 5 août alors qu’il revenait du KwaZulu-Natal où il s’est entretenu avec le président en chef de l’ANC Albert Luthuli à propos de son voyage. »

Entre le mois d’avril 1962 et juillet 1962, Mandela revenait vers l’Afrique du Sud en passant par d’autres pays. Ainsi, il était au Mali en avril 1962. Il a séjourné au Grand Hotel de Bamako. Le Pan-Africaniste Modibo Keita lui promet l’aide de l’état malien. Une certitude, Madiba n’a pas assisté à la crise de l’été 62 lors de l’indépendance algérienne. Il n’avait jamais mis les pieds sur le sol algérien avant 1990. Et pour cause, il a été emprisonné pendant 27 ans et demi. Du 5 août 1962 jusqu’au 11 février 1990!

3. Faux : Après sa libération, sa première visite à l’étranger était en Algérie.

Vrai : Il avait visité au moins deux autres pays avant l’Algérie.

Le 11 février 1990, Mandela est libéré. Il s’ensuit une période de transition de quatre ans avant les élections présidentielles. Le gouvernement sud-africain de FW de Klerk et le mouvement ANC vont négocier dans une période troublée. C’est dans ce contexte que la première visite de Mandela à l’étranger a lieu 27 février 1990. Il rencontre les dirigeants de l’ANC à Lusaka en Zambie.

Puis le 9 mai 1990, l’ex-plus ancien prisonnier politique au monde entame une tournée africaine dans six pays. Il arrive en Algérie le mercredi 16 mai 1990, une semaine après le début de son périple. Son étape précédente était au Nigéria.

4. Faux : l’Algérie est sa deuxième patrie, son pays d’adoption.

Vrai : il a été soutenu par beaucoup de pays africains.

Nous rentrons là dans le domaine de la récupération politique et du chauvinisme aveugle. Dans son message de condoléances, le président Bouteflika dit que l’Algérie est « la seconde patrie » de Mandela. D’autres journaux disent que c’est son pays d’adoption. N’est-ce pas là une exagération douteuse ? Combien d’années alors le célèbre militant a-t-il passé dans le pays qu’il a embrassé, dans lequel il était assimilé ? Quelques jours tout au plus. Dans cette course à la reconnaissance, il est bon de rappeler avec précision les propos de l’homme Mandela. Lors du procès Rivonia, il a assuré sa propre défense. Voici un extrait de son plaidoyer du 20 avril 1964:

« Ma tournée a été un succès. Partout où je suis allée, j’ai trouvé de la sympathie pour notre cause et des promesses d’aide. Toute l’Afrique était unie contre la posture d’une Afrique du Sud Blanche… En Afrique, il m’a été promis le soutien d’hommes tels que Julius Nyerere, Président actuel du Tanganyika ; Mr Kawawa, alors Premier Ministre du Tanganyika ; l’Empereur Haile Sélassié d’Ethiopie ; le Général Abboud, Président du Soudan ; Habib Bourguiba, Président de la Tunisie ; Ben Bella, Président de l’Algérie ; Modibo Keita, Président du Mali ; Léopold Senghor, Président du Sénégal ; Sékou Touré, Président de la Guinée ; Président Tubman du Liberia ; et Milton Oboté, Premier Ministre d’Ouganda. »

Cela fait beaucoup de pays d’adoption et de secondes patries dans cette liste… et jusqu’à preuve du contraire, il n’y a aucun document dans lequel Mandela dit que l’Algérie est sa seconde patrie.

5. Faux : Mandela a déclaré « L’Algérie a fait de moi un homme. »

Vrai : Nuance, il a dit que l’armée algérienne a fait de lui un homme.

Dans tous les titres des sites algériens d’aujourd’hui, on retrouve cette phrase culte. Mandela a déclaré en 1990 « L’Algérie a fait de moi un homme. » Une phrase symptomatique de la pensée machiste méditerranéenne. En langage algérien, Mandela est devenu Radjla grâce à l’Algérie.

Rien n’est plus faux, sur la forme comme sur le fond. Mandela avait été chargé de l’organisation de la branche militaire de l’ANC dès juillet 1961. Il ne connaissait pas encore les indépendantistes algériens. Et sur la forme, cette phrase culte est une interprétation d’une déclaration faite il y a près de 24 ans. Un témoin très âgé le dit à un journaliste. La phrase colle à l’inconscient algérien. Et elle devient un buzz journalistique.

Sauf que cette déclaration est introuvable dans les documents de l’époque. La seule mention indirecte trouvée est la suivante: Mandela déclare à son arrivée à Alger le mercredi 16 mai 1990 que c’est l’armée algérienne (c’est-à-dire l’ALN) qui a fait de lui un homme (en anglais : Mandela « said on arrival on Wednesday that it was the Algerian army that had made him a man »). Le lendemain, le président Chadli Bendjedid lui remet la plus haute distinction du pays, la médaille Wissam al-Athir. Et Mandela remercia l’Algérie et d’autres pays arabes pour leur soutien à « la lutte du peuple sud-africain contre l’apartheid ».

Rendons à Mandela ce qui revient à Mandela, et à la révolution algérienne ce qui lui revient!

Quel-a été l’apport de la révolution algérienne à la lutte anti-apartheid ? Quelle a été l’aide fournie par Alger ?

Dans ses mémoires, Nelson Mandela a écrit que la révolution algérienne était une inspiration particulière car elle était le « modèle le plus proche du nôtre, parce que (les combattants algériens) affrontaient une importante communauté de colons blancs qui régnait sur la majorité indigène ». Lors de son voyage au Maroc, il rend visite à une unité ALN sur la frontière. Il dit « A un moment, j’ai pris une paire de jumelles et j’ai vu des soldats français de l’autre côté de la frontière. J’avoue que j’ai pensé voir des uniformes des forces de défense sud-africaines ». Dans les deux contextes, il s’agit d’une guerre asymétrique entre des forces d’oppression nombreuses et bien équipées face à des forces de guérilla en position d’infériorité qualitative et quantitative.

Sur le plan de l’action diplomatique, Il mentionne les propos du Dr Chawki Mostefai du GPRA qui lui « a conseillé de ne pas négliger le côté politique de la guerre tout en organisant les forces militaires. L’opinion internationale valant parfois plus qu’une escadrille d’avions de combat à réaction ».

L’Algérie indépendante apportera un soutien indéfectible à l’ANC. Cela se traduira par l’entrainement militaire en secret de nombreux militants de l’ANC, par l’ouverture d’un bureau d’informations à Alger, par la fourniture de passeports pour les militants anti-apartheid… A cette époque là, comme l’avait si bien dit Amilcar Cabral : « Les musulmans vont à La Mecque, les révolutionnaires à Alger. »

Mais pour revenir à Mandela. Au contact des indépendantistes algériens en 1962, il a 44 ans lorsqu’il discute avec des responsables FLN et ALN. C’est un militant qui a plus de 20 ans d’expérience. Et pourtant il va avoir une révélation unique, une expérience inoubliable. Ses interlocuteurs sont pour certains très jeunes. Il est surpris car ils ont une culture de la résilience politique, une stratégie de la détermination de l’action que lui n’avait pas encore. Comme il l’exprime lui même dans un courrier adressé le 8 juillet 1985 à son amie Hilda Bernstein de sa cellule de la prison de Pollsmoor :

« L’esprit revient vers (cette année) 62 quand j’écoutais les expériences des collègues de Ben Bella, cela était très instructif. Dans certaines de ces discussions, j’étais face à des jeunes, certains n’avaient que la vingtaine, mais ils parlaient comme des vétérans et avec autorité sur des questions vitales sur lesquelles, et pour le moins qu’on puisse dire, je n’étais qu’un simple amateur. »

Avant le recours à la lutte armée, Mandela était une sorte de Gandhi d’une lutte pacifiste anti-apartheid. Mais après sa rencontre avec les révolutionnaires algériens, il a muri en devenant une sorte de Larbi Ben M’hidi d’Afrique du Sud.