Ils sont là pour parler encore et toujours des proches dont ils ne peuvent faire leur deuil malgré le temps : frères, maris, fils, mères ou soeurs qui, dans les années 1990, ont disparu en Algérie après avoir été raflés par les forces de sécurité ou les groupes armés islamistes. Au total, ils seraient entre 8 000 et 15 000 personnes, selon les sources, à avoir subi ce sort à une époque où le pays était déchiré par une guerre civile qui ne disait pas son nom.
Le 5 et 6 mars, l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et le collectif des familles de disparu(e)s en Algérie (CFDA), en partenariat avec les associations algériennes Djazairouna et Somoud, qui défendent les victimes du terrorisme, se sont réunis à Genève pour une conférence intitulée « Vérité en Algérie : bilan et perspectives un an après les recommandations onusiennes ».
« Nous voulons que nos cris et notre quête de vérité soient entendus », explique Nacera Dutour, porte-parole du CFDA, dont le fils de 21 ans a disparu en janvier 1997. Tous réclament pour l’Algérie une commission vérité sur le modèle de celles instaurées en Afrique du Sud et en Amérique latine.
Depuis trois ans, l’exigence de justice des familles des disparus algériens se heurte à la « Charte pour la paix et la réconciliation nationale » présentée par les autorités et adoptée par référendum en septembre 2005.
Les textes d’application de cette charte, qui est censée « tourner la page » de la décennie sanglante, prévoient l’extinction des poursuites contre la plupart des anciens combattants islamistes, et l’interdiction de présenter à la justice les membres des forces de sécurité – pourtant responsables, selon les ONG, de la majorité des disparitions.
Les proches d’un disparu peuvent prétendre au versement d’indemnités financières, mais le texte stipule aussi que celui qui « instrumentalise les blessures de la tragédie nationale » – autrement dit celui qui soulève ce problème publiquement – risque la prison.
En février 2007, un séminaire organisé par les familles des disparus sur une possible commission vérité pour l’Algérie a ainsi été interdit à Alger. Quelques jours auparavant, le pays avait pourtant ratifié la Convention de l’ONU contre les disparitions forcées.
A Genève, deux jours durant, la chape de plomb qui pèse sur la question des disparus en Algérie s’est soulevée dans le cadre du Conseil des droits de l’homme, dont la dixième session se tient à jusqu’au 27 mars. Les intervenants ont parlé du manque et de la douleur, de l’impossibilité d’oublier, évoquant les plaintes et les requêtes en justice déposées sans succès.
« Nos absents présents continuent à peupler nos jours », a témoigné Hassan Ferhati, dont la mère a disparu en juin 1996 à Constantine, à l’âge de 68 ans, après avoir été arrêtée par les forces de sécurité. « Nous sommes tous devenus fous et malades, et nous devons faire des kilomètres et des kilomètres pour témoigner », a résumé Ali Merabet, le président de Somoud, dont les deux frères ont été enlevés en 1996 par les islamistes.
Seuls les deux membres de la Commission nationale consultative de protection et de promotion des droits de l’homme (CNCPPDH) – l’organe officiel algérien – se sont félicités à Genève des efforts accomplis par leur pays. Ils ont fourni de nouveaux chiffres des disparus : 8 023 cas recensés à présent, contre 6 146 précédemment.