La sonnette d’alarme est tirée : le patrimoine génétique est dilapidé. Les plantes médicinales et aromatiques de l’Algérie font le bonheur des laboratoires pharmaceutiques et des compagnies d’agroalimentaire et de cosmétique à l’étranger sans bénéfice aucun pour l’économie locale.
C’est ce qu’estiment estiment des experts algériens en marge d’un atelier maghrébin sur les ressources génétiques. Selon le Pr Aïssa Abdelguerfi, de l’Ecole nationale supérieure d’agronomie (ENSA) d’Alger, des universitaires et même des touristes «offrent aux étrangers le patrimoine génétique du pays sur un plateau d’argent».
Il dit regretter que certains nationaux transfèrent ce patrimoine à l’étranger en l’absence de tout cadre légal, ce qui est assimilé à «la biopiraterie» : «Aucun cadre juridique n’est adopté pour préserver le patrimoine génétique national (plantes, animaux, micro-organismes) ».
Sous couvert de la recherche scientifique, des Algériens obtiennent des bourses d’études ou des stages auprès de diverses compagnies internationales et structures de recherche à l’étranger pour étudier le patrimoine génétique des plantes médicinales ou aromatiques et des micro-organismes (exemples: bactéries des eaux chaudes du Sud, plantes résistantes à la sécheresse, à la salinité) afin qu’ils soient brevetés, a illustré cet expert.
Le pays d’origine n’en tire presque pas de bénéfice hormis celui pour le chercheur de voir son nom figurer dans une étude publiée dans une revue avec la possibilité d’utiliser le diplôme obtenu pour entamer une carrière d’enseignant. Mais aucun gain n’est engrangé par l’économie du pays après la commercialisation des produits issus des résultats de la recherche.
Pourtant, les revenus financiers auraient pu servir à financer la recherche dans le pays d’origine ou encore participer à soutenir les parcs naturels qui orientent une partie de leurs activités à la protection du patrimoine, est-il expliqué. Lorsque ce ne sont pas les scientifiques qui s’adonnent consciemment ou pas à cette piraterie, ce sont les touristes des pays arabes ou européens qui s’en chargent.
A leur retour dans leur pays, ils remportent dans leurs bagages des échantillons de plantes ou même le sol (bactéries et champignon sont contenus dans le sol) pour être étudiées dans des laboratoires au-delà des frontières. Dans l’attente d’une loi, le pillage du patrimoine génétique continue.
A ce niveau de l’analyse, M. Djamel Echirk, ancien négociateur algérien pour les conventions et protocoles multilatéraux sur les changements climatiques et la biodiversité, évoque l’action des Douanes.
Selon lui, la protection du patrimoine «n’est pas seulement une affaire de scientifiques car il faut aussi instaurer des point de contrôle et de surveillance ». A l’état actuel des choses, les contrôles n’ont pas pu suffire pour réprimer ces pratiques. L’Algérie a ratifié la convention sur la biodiversité biologique au milieu des années 1990.
Mais bien que le texte renvoie à la législation nationale, le pays n’a pas mis en place une loi protégeant son patrimoine génétique et réglementant la circulation des ressources biologiques. La situation risque de durer plusieurs autres années en l’absence de cette loi.
Après moult hésitation et d’interminables négociations entre les ministères de l’Agriculture et de l’Environnement, un avant-projet est déposé au Secrétariat général du gouvernement depuis un an mais il n’est pas encore étudié au niveau du gouvernement pour être proposé au Parlement. Ce retard équivaut à accorder un sursis aux «contrebandiers» transférant illégalement le patrimoine.
L’adoption d’une loi aurait pu offrir un ancrage juridique à l’instauration d’une Autorité nationale en charge des ressources génétiques, souligne M. Echirk. Les infractions pourraient également être qualifiées par un texte de loi pour permettre aux services de sécurité de réprimer les contrevenants.
Ces infractions seront passibles d’amendes et même de prison, selon les termes de la future loi. Mais en attendant cet arsenal juridique, le patrimoine générique des 4.000 types de plantes ainsi que celui des animaux et des micro-organismes continue d’être pillé. Un quart du patrimoine végétal a des vertus thérapeutiques ou peut être utilisé dans l’industrie du cosmétique.
Ce patrimoine est si convoité que des laboratoires étrangers, implantés en Norvège, au Brésil ou Etats-Unis d’Amérique, ont adressé à l’Algérie des demandes en bio prospection en vertu de l’accès partagé aux ressources pour des usages commerciaux. D’ailleurs, c’est sous la pression des laboratoires américains que le patrimoine génétique du vivant est devenu brevetable, explique- t-on.
En Algérie, seules quelques études sont effectuées par des universitaires Salah Chouaki, chercheur à l’Institut national de la recherche agronomique d’Algérie, évoque les travaux effectués sur le patrimoine génétique des fourrages, des céréales, des palmiers-dattiers ainsi que des légumineuses alimentaires.
Certaines études sont également menées en Algérie sur quelques autres variétés comme l’alfa, indique Ammar Boumezbeur, docteur en écologie et directeur central à la Direction générale des forêts.
La recherche sur le patrimoine génétique des plantes mais aussi des animaux a acquis définitivement son caractère commercial et même les règles de l’OMC sont prépondérantes en cas de conflit sur les brevets dépossédant de la sorte des populations entières des pays les moins avancés de leur savoir ancestral et de ressources financières. Le commerce mondial des plantes médicinales représente, à lui seul, un marché de 40 milliards de dollars.
Les multinationales parviennent à tirer profit du commerce des aliments et diversifient leur business dans ce domaine en l’étendant aux recettes destinées aux adeptes des régimes amaigrissants. Les médicaments, les cosmétiques et les parfums sont d’autres produits dont le développement est issu directement de la recherche sur le patrimoine génétique des plantes et dont les revenus ne reviennent pas aux pays fournisseurs.
C’est le cas pour l’Algérie car les industriels peinent à saisir les opportunités offertes par ce créneau. Le pays ne dispose d’ailleurs même pas d’une banque de gènes ou de semences comme c’est le cas y compris dans des pays africains.
Les industriels devraient désormais payer pour obtenir l’autorisation d’utiliser un patrimoine génétique local mais breveté à l’étranger. M. Echirk révèle que les gènes des semences de blé ont été bio piratées dans l’impunité la plus totale. Il émet le souhait que l’instauration des points de surveillance et de contrôle puisse mettre un frein à cette situation.
Tous ces constats poussent les experts à émettre des réserves sur la pertinence du protocole de Nagoya et sur la protection du patrimoine génétique en Algérie.
Les mêmes experts soulignent que la notion de partage contenue dans le protocole «n’est qu’un moyen de spolier les pays du Sud de leurs richesses » car ils se demandent au nom de quel principe un pays d’origine peut se départir de ses droits sur son patrimoine au compte d’un tiers.
Le Pr Abdelguerfi affirme que les pays africains n’auraient jamais dû admettre la distinction entre l’exploitation des ressources à des fins dites scientifiques de celles commerciales car les laboratoires pharmaceutiques ou les firmes d’agroalimentaire finissent toujours par récupérer les résultats de la recherche à des fins industrielles.
En outre, le protocole de Nagoya ne protège pas les ressources génétiques entre les mains des étrangers lorsqu’elles sont obtenues par eux avant 1992. Quelques pistes de réflexion sont proposées pour atténuer les effets de ces dysfonctionnements.
Ainsi, lorsque l’accès aux ressources est autorisé, «il faut que des compétences algériennes soient associées», insiste cet expert. Pour les scientifiques, il serait préférable d’implanter des usines en Algérie au lieu d’exporter la matière première comme l’arganier. «Cela permettra de créer des emplois et des médicaments susceptibles d’être utilisés», concluent-ils.
Souhila.H