La situation des enseignants contractuels va de mal en pis. La confusion et l’ambiguïté qui entourent leur situation ne cessent de prendre de l’ampleur.
«Nous sommes soumis au régime des esclaves», ont expliqué les quelque 300 personnes en sit-in hier depuis 10 jours, devant le siège de la présidence de la République à Alger.
Les enseignants contractuels ont tranché sur la question de la reprise des cours. «C’est une décision définitive et aucun retour en arrière n’est envisageable. Nous resterons regroupés devant le siège de la présidence de la République jusqu’à satisfaction de nos revendications légitimes. Nous ne demandons rien d’autre que l’intégration, ou, en d’autres termes, la titularisation», a indiqué Abdelkader, enseignant en sciences naturelles à Sétif. Avant que son collègue de M’sila ne renchérisse :
«Nous avons les capacités et les aptitudes scientifiques pour exercer ce métier. Nous avons été inspectés par des inspecteurs affiliés aux différentes directions de l’éducation du territoire national et les notes que nous avons eues sont la preuve de nos compétences.» Les enseignants contractuels sont sans statut, car selon les témoignages recueillis lors du sit-in, tous ont avoué leur incapacité à expliquer cette situation dans laquelle certains d’entre eux vivent depuis plus de 10 ans.
«Les responsables de l’académie nous disent que vous n’êtes pas inscrits dans nos registres. Au niveau de la fonction publique, nous ne sommes pas inscrits aussi, nous sommes où alors ?», s’est interrogé Saïd, enseignant d’anglais à Mostaganem. Et d’ajouter : «Nous travaillons jusqu’à nouvel ordre, le régime des esclaves est encore en vigueur chez nous, pourtant nous avons l’indépendance depuis 50 ans.» L’autre souci des enseignants contractuels est d’ordre financier car, tenez-vous bien, il y a des enseignants qui n’ont pas perçu leurs salaires depuis 2008 !
«Oui monsieur, depuis 2008 je n’ai pas eu mon salaire, j’ai vécu avec le salaire de mon épouse qui est aide-soignante à l’hôpital», a fait savoir Omar, suivi aussitôt de Boubekeur : «Je n’ai pas reçu mon salaire depuis juillet 2009. Pour votre information, les enseignants contractuels ne sont pas payés durant la période des vacances,
nous sommes receveurs de bus, cafetiers ou encore clandestins durant cette période.» Le ministère de l’Education nationale, que ces instituteurs ont à maintes reprises contacté, continue de faire la sourde oreille. «Nous n’avons eu aucune réaction, ni bonne ni mauvaise de la part de la tutelle. Le ministère fait dans la fraude officielle et se permet de se taire, pas nous», a souligné Ahmed, enseignant depuis 1993.
«On ne veut pas de nous mais on nous garde»
Le cas de ce père de famille est édifiant. Il a eu son premier emploi comme enseignant en sciences naturelles en septembre 1993 et à ce jour cet enseignant est vacataire, c’est-à-dire contractuel. Il a expliqué : «Je suis enseignant depuis 1993 et à ce jour je n’ai pas été titularisé, j’ai passé le concours plusieurs fois et mes notes sont affichées, ma plus mauvaise note en huit concours est un 15,5/20, la meilleure est un 19,5/20 mais je n’ai pas été retenu, pour quelle raison ?
Je ne sais pas.» Ahmed est en pleine dépression nerveuse, lui qui n’a même pas le droit aux remboursements. «En étant enseignant contractuel tu n’as pas le droit de tomber malade, il faut la période des congés pour l’être», a-t-il souligné avec ironie. Sur le même sujet, Toufik B., enseignant au même lycée qu’Ahmed, a souligné : «J’ai été licencié parce que j’ai déposé un arrêt maladie de trois jours prescrit par un médecin. Les enseignants contractuels ne sont pas protégés.
Quand j’ai été voir le directeur, ce dernier m’a répondu : tu travailles chez moi et j’ai les pleins pouvoirs pour mettre à la porte qui je veux et donner un poste à qui je veux.» Les enseignants contractuels continuent à assurer leurs tâches dans des conditions précaires. La tutelle, «officiellement, ne veut pas de nous, mais on nous laisse enseigner.
Nous sommes dans une impasse, ou alors on est considéré comme étant des bouche-trous et dans tous les cas nous refusons cette situation et nous le dirons autant de fois qu’il le faudra» a encore fait savoir Ahmed.
«Le rendement version Benbouzid»
Les enseignants contractuels ne veulent plus continuer à travailler comme s’ils vivaient au noir dans leur propre pays. «Nous sommes considérés comme des travailleurs au noir dans notre propre pays. Sur ma fiche de paie, il est mentionné un salaire de 30 000 DA et quand j’ai été à la poste pour retirer mon argent j’ai trouvé 23 000 DA uniquement. J’ai été voir le directeur du lycée, ce dernier m’a répondu avec mépris : tu prends ce que tu as trouvé et si ça ne te plait pas tu pars !
Vous vous rendez compte de ce que nous subissons, c’est de l’humiliation tous les jours, maintenant on dit basta», a indiqué Halim, un autre enseignant contractuel de la wilaya de Blida. Les enseignants ont aussi évoqué les déclarations du ministre de l’Education nationale, Boubekeur Benbouzid, qui ne rate aucune occasion pour appeler les enseignants à être rentables, une rentabilité que les grévistes associent à un cadre de travail adéquat et à une considération de la part de la tutelle. Les enseignants grévistes ont évoqué l’inexistence réelle de contrats :
«Nous n’avons signé aucun papier, le contrat dont parle le ministre est un leurre, mis à part un procès-verbal d’installation, nous n’avons aucun autre justificatif, d’où cet acharnement et l’humiliation des responsables du secteur», a indiqué encore un enseignant. Le volume horaire des enseignants est pourtant plus important que celui de leurs collègues titulaires. «Nous travaillons jusqu’à 27 heures par semaine alors que nos collègues font 18 heures seulement, le pire c’est que nous sommes sous-payés par rapport aux autres»,
fait savoir un jeune enseignants d’Alger. S’agissant enfin de la surveillance des examens de fin d’année, le BEM et le bac, les enseignants ont décidé de les boycotter si leurs revendications ne sont pas satisfaites. Les enseignants contractuels, à travers le territoire national, ont décidé de ne pas reprendre les cours après cette période de vacances scolaires de quinze jours, car, selon eux,
«cette fois-ci sera la dernière et nous allons rester ici devant le siège de la présidence de la République. Nous passerons nos nuits ici jusqu’à notre titularisation», a conclu une enseignante. Les enseignants contractuels ne cherchent qu’à travailler et à accomplir leur mission dans des conditions favorables pour donner le savoir dont ils disposent aux nouvelles générations.
Par Elias Melbouci