Pour différentes raisons et principalement parce qu’elles ne peuvent garder leurs enfants, les mères célibataires coupent les racines familiales de leurs bébés, les abandonnent pour rester anonymes et éviter la détresse et le marasme social.
Elles ne laissent ni trace, ni adresse, ni nom, préférant s’éclipser pour ne pas affronter le regard accusateur d’une société intransigeante. L’enfant abandonné restera toujours ce nouveau-né trouvé, placé sous la tutelle de l’assistance publique, confronté à l’incompréhension d’une société pas toujours tolérable. Pourtant, la nouvelle Constitution consacre leurs droits. L’article 58 stipule que «l’État prend en charge les enfants abandonnés ou sans affiliation». «La constitutionnalisation de la protection de l’enfance abandonnée, contenue dans la nouvelle Constitution, est historique, elle confirme l’intérêt accordé à cette catégorie vulnérable de la population», estiment les représentants d’associations de protection des enfants abandonnés. La présidente de l’association des enfants nés sous X, «Ettifl Albarie» (l’enfant innocent), Wahiba Tamer, a qualifié la constitutionnalisation de la protection de cette catégorie d’enfants de «positive». «Les enfants sans affiliation ne sont pas nés pour vivre à vie dans des centres d’accueil. L’État doit faciliter les procédures d’adoption (kafala) pour leur donner une famille», a-t-elle signalé. La responsable a appelé à la mise en œuvre d’un dispositif de protection des enfants sans affiliation au niveau des centres. «Il n’est pas normal qu’un enfant résidant dans un centre soit transféré à l’âge de 14 ans vers un autre au risque de perdre ses repères», a-t-elle indiqué. Wahiba Tamer a appelé à la généralisation de l’application des tests ADN dans les affaires de recherche de paternité.
Plusieurs questions se posent à ce propos. Les mécanismes d’application des textes réglementaires pour la protection des enfants nés sous X existent-ils ? Les magistrats et les tribunaux disposent-ils des outils leur permettant d’appliquer les lois de manière correcte ?
Pour l’avocate Nadia Aït Zai, directrice du Centre d’information pour les droits des enfants et des femmes (CIDEF), «l’abandon définitif par la mère qui renonce à créer tout lien juridique avec son enfant, en demandant le secret de l’accouchement, empêchera l’enfant de connaître ses origines. L’enfant abandonné sera placé sous la tutelle de l’assistance publique dans l’attente d’être confié à une famille d’accueil désireuse de le recueillir légalement dans le cadre de la kafala. L’adoption étant interdite par la loi (code de la famille, article 46), une demande de changement de nom peut être faite, au nom et au bénéfice d’un enfant mineur né de père et mère inconnus, par les personnes l’ayant recueilli.
Des lacunes dans les textes concernant la filiation de ces enfants
Le nom est modifié par ordonnance du président du tribunal prononcé sur réquisition du procureur de la République saisi par le ministre de la Justice. Jusque-là cette procédure de changement de nom se passait plus ou moins bien. Mais certains tribunaux commencent à faire obstacle ou même à retarder le changement de nom par une interprétation à la lettre du deuxième paragraphe de l’article 1 du décret du 13 janvier 1992. «Lorsque la mère de l’enfant mineur est connue et vivante, l’accord de cette dernière, donné en la forme authentique, doit accompagner la requête.» Les parquets exigent cet acte authentique de la mère de l’enfant mineur, au vu de l’extrait de naissance de l’enfant dans lequel le nom de la mère est porté. Mais la mère qui a donné son nom avec filiation ou sans filiation peut avoir soit disparu en abandonnant l’enfant après le délai qui lui était imparti (3 mois à renouveler tous les mois), ce qui mène inexorablement au prononcé de l’abandon définitif, soit abandonné l’enfant définitivement dès l’accouchement, un procès-verbal d’abandon définitif étant alors établi à la naissance de l’enfant. Dans les deux cas, l’enfant recueilli par une pouponnière est déclaré pupille de l’État et placé sous tutelle des services concernés. On ne peut donc demander à une mère qui a abandonné définitivement l’enfant en demandant le secret de l’accouchement, bien qu’ayant donné son nom, d’établir un acte où figure son accord ou son autorisation au changement de nom demandé par les kafils (adoptants). On ne peut pas le demander non plus à une mère qui a reconnu l’enfant et qui a disparu sans laisser de traces pendant le délai qui lui était imparti (3 mois), rendant l’abandon provisoire définitif. L’avocate estime que «les interrogations du parquet sont justifiées, car il n’existe pas de régime juridique de l’abandon et l’administration s’occupant de l’enfance fonctionne depuis l’Indépendance avec des textes obsolètes».
Pour ce qui est de la filiation des enfants nés hors mariage, notamment concernant le recours à l’expertise scientifique, les magistrats sont confrontés aux lacunes enregistrées dans les textes algériens. En effet, le législateur algérien a consacré seulement sept articles du code de la famille à l’établissement de la filiation des enfants nés hors mariage, contrairement aux autres législations arabes, dont la législation marocaine qui y a consacré 20 articles. En se référant à l’actuelle législation, «la loi contient des lacunes en matière de règlement des litiges liés à l’établissement de la filiation», nous dira Me Abdouche, avocat à la cour d’Alger. Il précise que «cette situation a fait que l’intervention de la Cour suprême est de plus en plus difficile lorsqu’il s’agit de procéder à une interprétation des articles y afférents». Selon l’article 40 du code de la famille, «la filiation est établie par le mariage valide, la reconnaissance de paternité, la preuve, le mariage apparent ou vicié et tout mariage annulé après consommation». En se référant à cet article qui est «clair», le juge n’est pas en mesure de recourir à l’expertise scientifique (tests ADN) dans le cas où la mère réclame l’établissement de la filiation de son enfant. Par ailleurs, le juge pourra recourir à ces tests dans le cas où le père refuse de reconnaître l’enfant, a-t-il ajouté. Le rapport d’expertise «n’est pas contraignant et ne peut être pris en considération même s’il est positif, du moment qu’il s’agit d’une relation illégitime», a poursuivi l’avocat, rappelant que dans d’autres pays arabes, ce rapport fait office de preuve même dans ce cas. Concernant les cas de viol, Me Abdouche a rappelé que «la victime est en droit d’introduire une action en justice pour établir la filiation dans le cas où le mis en cause a été reconnu coupable des faits qui lui sont reprochés, et ce dans les délais fixés par la loi, soit six mois après l’établissement des faits». Les hommes de loi, les associations, tout comme les hommes de culte affirment que «les textes religieux sont en conformité avec la science», alors pourquoi ne pas légiférer dans ce sens ?
« La kafala, un concept insuffisant sur plusieurs plans »
Le droit de la famille prohibe l’adoption pour parer à cette interdiction, le législateur algérien a mis en place la kafala comme moyen de protection de l’enfant abandonné.
«Mais il s’est avéré que cet enfant est devenu une proie facile. En réalité, il ne bénéficie d’aucun avantage. Concernant l’héritage, par exemple, il est nécessaire de développer une autre filiation sociale, affective qui prime sur la filiation biologique», proposera Me Malika Beri qui trouve à redire sur la kafala telle qu’appliquée chez nous. Quant à la filiation, elle demande que le législateur algérien applique la reconnaissance de l’enfant par le test ADN. «Aujourd’hui, nous sommes devant une situation alarmante et une hypocrisie sociale qui perdure au nom de la morale religieuse», s’indigne notre interlocutrice. Elle propose que l’État réfléchisse à un concept pour la protection de cet enfant. C’est un droit personnel. Malheureusement, il y a des lacunes juridiques au niveau du code de la famille qui interdit l’adoption, mais qui autorise la kafala, qui s’avère un concept insuffisant sur plusieurs plans. D’abord sur le plan filiation, la concordance des noms reste un concept non clair. Aussi, il faut que la kafala soit un projet de vie et non un acte de charité. Quelqu’un qui prend un enfant pour la kafala, c’est pour la vie. «Malheureusement, le droit algérien ne considère pas le lien parental. La kafala est considérée comme un acte de charité et c’est pour cela que je dis que l’un des concepts qui est resté très pauvre, c’est bien le concept de l’enfant né sous X. Il est à souligner que cet enfant n’a aucune protection naturelle après le décès du kafil (parent adoptif», affirme-t-elle. Ainsi, la kafala prend fin une fois les parents décédés. L’enfant se retrouve à la rue. Si c’est une fille, elle est exposée au danger de la prostitution, si c’est un garçon il est soumis au risque de la délinquance. L’une des grandes insuffisances, c’est le cas de divorce du couple kafil, elle n’implique pas les deux parents. L’un d’eux n’a pas droit de garde ni droit de visite. C’est contraire au droit civique. «Toutes ces lacunes doivent être étudiées, revues, ou développer des concepts nouveaux sans qu’ils soient contraires à la moralité religieuse. Des concepts fondés sur le lien socio-affectif», expliquera-t-elle.
Farida Larbi