Les dessous de l’affaire du trafic des cartes grises à la daïra d’El-Harrach Des concessionnaires autos et des banques arnaquées

Les dessous de l’affaire du trafic des cartes grises à la daïra d’El-Harrach Des concessionnaires autos et des banques arnaquées

Pas moins de 13 personnes dont 8 fonctionnaires à la daïra d’El-Harrach, à leur tête le chef de service des cartes grises ont été arrêtées et mis sous mandat de dépôt.

Les investigations ont révélé également la complicité de six autres personnes, dont un Tunisien établi en Italie, qui n’ont toujours pas été entendues par les services concernés.

L’affaire du trafic des cartes grises au niveau de la daïra d’El-Harrach et son annexe dans la commune de Bourouba vient confirmer, si besoin était, le rapport établi récemment par la Gendarmerie nationale et la division de la police judiciaire. Ce rapport avait tiré la sonnette d’alarme sur la hausse vertigineuse du vol et autre trafic de voitures qui représente un taux de 3,20% des crimes organisés recensés.

Le même rapport avait noté que la falsification des cartes grises, sur laquelle était basé ce trafic, représente un taux assez important et inquiétant de 59,60%. Évidemment, si le trafic de voitures repose sur la falsification des cartes grises, cette dernière opération ne peut se faire en aucun cas sans la “précieuse” complicité de certains agents, voire même des responsables au niveau des services concernés des différentes daïras. Et c’est le cas justement pour celle d’El-Harrach.

En effet, pas moins de huit fonctionnaires dont le chef de services des cartes grises de la daïra d’El-Harrach ont été arrêtés et mis sous mandat de dépôt pour leur complicité et l’aide fournie aux têtes pensantes de ce réseau qui a des ramifications à l’étranger. En fait, les voitures sont soient volées de l’étranger, particulièrement en France et au Maroc, soient acquise chez les concessionnaires automobiles par le dépôt d’un dossier falsifié ou carrément l’intervention auprès des complices pour délivrer la carte grise du véhicule dont les mensualités ne seront jamais payés.

Les soupçons d’un acquéreur d’une Mitsubishi

Tout a commencé par les soupçons d’un acquéreur d’une Mitsubishi auprès de l’un des principaux éléments du réseau d’El-Harrach. À première vue la transaction que ce commerçant venait de faire au marché d’El Harrach avec S. F. n’avait rien d’illégal. Le regard du commerçant qui faisait une tournée au souk s’était arrêté sur la Mitsubishi que S. F. proposait pour une somme de 245 millions de centimes. Il n’hésitera pas à la prendre. La lenteur dans l’accomplissement de la procédure de vente l’a quelque peu gêné mais ne l’a pas inquiété. Insistant auprès du vendeur, ce dernier finit par lui fixer rendez-vous avec le propriétaire du véhicule.

Du moins celui dont le nom est porté sur la carte grise. Direction l’APC de Draria pour enregistrer la vente. L’acheteur se présentera par la suite à la daïra d’El-Harrach où il déposera le dossier au service des cartes grises. Il finira par retirer sa carte grise le plus normalement du monde. Et soudain, le vendeur du marché revient sur la scène arguant une autre transaction : la proposition d’achat de la villa du commerçant. Et dans la discussion, le vendeur lui demande s’il a régularisé les papiers de la voiture qu’il lui a vendue. Pourquoi une telle question ? Les premiers soupçons commencent. Le nouveau propriétaire de la Mitsubishi décide d’en avoir le cœur net en se rendant chez le concessionnaire.

Grande fut sa surprise lorsque l’administration de Mitsubishi lui révèle qu’il n’existe aucune trace de cette voiture chez eux et que ce type de véhicule n’est pas commercialisé en Algérie. Et comme le hasard fait parfois bien les choses, l’acheteur qui ne savait où donner de la tête, a croisé une vieille connaissance qui est également citée dans l’affaire. Ce dernier a reconnu la voiture qu’il avait vue chez un autre membre du réseau à Kouba.

Son verdict tombe tel un couperet : la voiture n’est pas très “propre”. La décision est prise sur le champ : rendre le véhicule et récupérer son argent avec l’aide de la fameuse connaissance. Le nouveau propriétaire de la voiture exige la présence de celui avec qui il a fait la transaction à la mairie de Draria.

Chose qui s’est avérée impossible pour des raisons qu’il ignore. Mais pas question de couvrir ces gens. Direction le commissariat pour tout dévoiler. Et quelque temps après, la voiture conduite par le soi-disant propriétaire sous un autre matricule passe sous son nez à El-Harrach.

Il contacte la police une autre fois et s’expose à toutes sortes de menaces. Et c’est là que les investigations et autres enquêtes ont été lancées par la police pour remonter toute une filière et un réseau bien organisé qui a pu trafiquer les documents de trois voitures : deux Mitsubishi et une Citroën.

La voiture volée au Maroc

Les investigations de la police auprès du bureau central national d’Interpol ont révélé que la voiture en question a fait l’objet d’un vol au Maroc le 23 avril 2010 et n’est pas commercialisée en Algérie par l’agent agréé Mitsubishi. Par contre, en faisant des recherches dans le fichier national des voitures, il s’est avéré qu’il existe deux véhicules de ce type non répertoriées au niveau de Mitsubishi. La police parvient à découvrir le propriétaire de l’une d’elles. Convoqué par la police, ce propriétaire de la Mitsubishi dira qu’il l’a achetée au marché d’El-Harrach pour 275 millions de centimes de la fameuse connaissance de la première victime citée précédemment. Il s’est avéré donc que les deux voitures n’avaient qu’un seul propriétaire.

Les perquisitions effectuées aux domiciles des personnes arrêtées ont permis la récupération de documents administratifs vierges signés, de cartes grises falsifiées, de copies de permis de conduire, de copies de passeports portant des visas falsifiés, de reçus de dépôt de dossiers au niveau de la daïra d’El-Harrach… L’accusé KH. H. reconnaîtra que son rôle au sein du réseau international de trafic de voitures est la falsification des documents établis par l’APC, dont des certificats d’invalidité de moudjahidine.

Évidemment l’opération de falsification ne pouvait être possible et impeccable sans la complicité de certains agents et fonctionnaires de la daïra et l’APC d’El-Harrach. La complicité est telle qu’une voiture a été tout bonnement enregistrée au nom d’un jeune homme à son insu. Cité en tant que témoin, il dira qu’il ignorait tout jusqu’à ce que la police le convoque. Il faut savoir à ce propos que des concessionnaires automobiles tels KIA et des banques comme Algerian Gulf Bank ont été victimes des agissements de cette bande.

Des dossiers sont déposés à la daïra pour le retrait de la carte grise d’un véhicule dont le gage n’a toujours pas été levé. Ceci bien sûr grâce aux services prodigués par les nombreux complices.

Entre 4 000 et 20 000 DA le document falsifié ou signé

4 000 DA, 6 000 DA, 8 000 DA le document est la somme que touchait chaque fonctionnaire pour chaque document signé. En fait, les tarifs appliqués par les membres du réseau dont la présence assez régulière à la daïra et l’APC était très remarquée par le reste des employés, varie selon le “service” demandé.

Les simples signatures sur des documents ou des pièces d’identité sans la présence de leurs propriétaires vont de 4 000 à 8 000 DA par document. Mais la falsification coûte plus cher et peut aller jusqu’à 30 000 DA le dossier.

En fait pour se faciliter la tâche davantage, l’un des principaux membres du réseau ira jusqu’à entretenir une relation avec une veuve employée au service informatique des cartes grises de la daïra.

Elle niera toutefois sa complicité ou avoir fourni une quelconque facilitation illégale à son amant en utilisant son poste. Idem pour la complice de la mairie d’El-Harrach dont la mission était de délivrer des documents administratifs qui serviraient à compléter les dossiers qui seront déposés à la daïra. Lors de l’interrogatoire, elle révélera que tous les documents saisis portant sa griffe, elle les a remis à l’accusé principal dans cette affaire.

À en croire ses dires, certains de ses collègues sachant qu’elle faisait face à des problèmes familiaux et des difficultés financières l’ont introduit au milieu de cette bande en vue de l’aider à s’en sortir. Des déclarations qu’elle niera devant le procureur. D’ailleurs, tous les agents arrêtés ont nié leur implication en insistant sur la falsification de leurs signatures sur des documents retrouvés chez l’un des principaux accusés dans cette affaire.

C’est le cas aussi pour le chef de service des cartes grises, K. N., qui a nié tout en bloc au cours de l’interrogatoire. Pourtant, les autres fonctionnaires de l’annexe de Bourouba, convoqués par la police pour avoir une idée sur les conditions de travail au sein de cette institution administrative, ont été unanimes à dire que c’est la “pagaille” au service des cartes grises et ses responsables ne s’en soucient guère. Ils pointent du doigt le chef de service qui “délivre des cartes grises sans aucun document.”

Il aurait aussi instruit tous ses éléments à faciliter la tâche à tous ceux qui demandent la carte grise de leur véhicule notamment les personnes familières au service. À signaler enfin qu’aucune information ne figure sur le Tunisien cité dans cette affaire. Le dossier ne compte qu’un document portant des renseignements sur son identité et la date de son entrée en Algérie, le 10 octobre 2009. Affaire à suivre.