Les dessous de la reddition du FFS d’Aït Ahmed

Les dessous de la reddition du FFS d’Aït Ahmed

Algerian opposition leader Hocine Ait Ahmed, 81, a Swiss-based veteran politician and president of the Socialist Forces Front (FFS), gives a speech during his party's fourth congress held in Algiers, 06 September 2007. Ait Ahmed arrived in the Algerian capital on 01 September from voluntary exile in Switzerland, to take part in the congress. The FFS plans to participate in the November 29 local elections after several vote boycotts. The national party draws much of its support from the Berber community in the mountainous eastern Kabylie region. AFP PHOTO / FAYEZ NURELDINELa coalition Bouteflika – Aït Ahmed – RAV (Rassemblement de l’Algérie verte ), est un pronunciamiento de réactionnaires qui s’apprêtent à construire une nouvelle république, aussi totalitaire et aussi conservatrice.

Hocine Aït Ahmed

La reddition du FFS a scellé le plan de sortie de crise de légitimité du pouvoir, en contribuant à l’équilibre de la refondation des alliances au profit d’une nouvelle reconfiguration de celui-ci, adaptée aux exigences de la conjoncture nationale et internationale, à l’insu de la souveraineté du peuple, qui est amenée à durer, à moins qu’un sursaut populaire ne vienne contredire cette énième dérive du destin de l’Algérie.

Dans l’article « Autoritarisme et patriarcat : l’impossible réforme »* j’avais tenté d’esquisser le processus de développement de la structure du pouvoir totalitaire algérien depuis sa cristallisation sous le règne de Houari Boumediene, jusqu’à nos jours. Présenté comme un système non réformable, à moins qu’une révolution populaire ne vienne mettre fin à sa pérennité. Je l’avais alors décrit sous sa forme actuelle comme un pouvoir exercé dans une opacité totale en dehors des institutions de l’État, qui se présente comme une « coalition d’intérêts », qui s’est formée dans l’opportunité de l’espace vide laissé par la disparition de Houari Boumediene. Et que cette coalition était la conséquence logique de l’effondrement de la structure verticale du pouvoir totalitaire dominé par une figure forte, autour de laquelle s’organisait le pouvoir et s’exercer la domination de la société, caractéristique des sociétés néo-patriarcales.

C’est donc, après la fin de son règne, qu’on passa alors à cette coalition d’intérêts composée d’une multitude de patriarches locaux issus du premier cercle de l’ancien système, qui prendra la forme d’une structure horizontale, composée d’officiers supérieurs des forces de sécurité et essentiellement de l’armée et de la police politique en s’autoproclamant généraux, qui deviendra le noyau dur du pouvoir collégial de l’ombre qui va régner depuis sur l’Algérie jusqu’à ce jour dans la même forme de domination.

Cependant, suite au bain de sang qui a suivi les révoltes de 1988, planifiés ou non, cette coalition connaîtra une crise de légitimité sans précédant. Pour sortir de cette crise et se maintenir au pouvoir, ils seront amenés à fédérer autour d’eux, et chacun pour son compte, son propre « clan », constitué d’une clientèle élargie à la société civile, qu’ils instrumentalisèrent pour le compte d’une démocratie de façade. Celle-ci sera représentée après quelques tentatives instables, par l’alliance présidentielle, composée du FLN, du RND et du MSP, jusqu’à la démission stratégique de ce dernier parti de cette alliance, et d’une multitude d’autres formations politiques et syndicales de moindre importance, qui gravitent autour de ce centre et qu’ils imposèrent à l’opinion nationale et internationale comme une façade pluraliste. En réalité, cette démocratie de façade fonctionne comme un « néo-parti » unique. La supercherie de cette démocratie de façade fonctionnera avec tout ce que ce système politique pluraliste comporte comme institutions, dressées comme des épouvantails dans un champ politique où il est interdit de s’aventurer pour quiconque n’est pas intronisé dans un centre d’intérêts au profit de ces patriarches coalisés. La règle d’intronisation consiste, comme dans les structures du pouvoir qui caractérisent les sociétés patriarcales, en l’acceptation du principe hétéronomique (wala’) définissant le support de clientèle qui commande l’allégeance, l’intercession et la médiation.

Aujourd’hui, le pouvoir central se retrouve confronté de nouveau devant une conjoncture très défavorable, induisant une nouvelle crise de légitimité plus importante encore que la précédente. D’abord sur le plan national, les révoltes chroniques et généralisées à l’ensemble de la société algérienne depuis janvier 2011, dont le contenu principal des revendications qu’elles expriment est la contestation de l’illégitimité du pouvoir, par la demande de changement des règles politiques, pour l’instauration d’un véritable système démocratique et l’instauration d’une justice sociale équivalente à la hauteur de la richesse nationale induite par la rente des hydrocarbures. Ensuite, sur le plan régional, avec les révolutions arabes en cours et la disqualification du système de pouvoir centralisé et totalitaire, auquel le pouvoir algérien s’identifie lui-même, dont il se voie contraint par l’obligation d’apporter une réponse. Mais surtout la pression des puissances internationales intéressées, dont l’objectif est l’accentuation de leur contrôle sur l’économie et les richesses du pays, d’une part, et l’acceptation passive de leurs plans géostratégiques pour la région, d’autre part. Cette exigence sera monnayée en échange de leur soutien à la pérennisation d’une démocratie de façade répondant à la satisfaction de ces conditions, par l’association d’un islam politique « modéré » autour d’un consensus avec les autres partis conservateurs disposés à ce deal, et la disqualification des partisans réellement démocrates opposés activement à la domination impérialiste et qui luttent pour un Etat véritablement démocratique. C’est donc pour préserver son absolue domination sur le peuple qu’il asservit et qui le lui conteste depuis toujours, que le pouvoir algérien avait brandit le leurre des réformes et de la révision constitutionnelle dans une stratégie renouvelée et adaptée à la nouvelle situation dans laquelle ses privilèges et ses intérêts sont remis en jeu. Il ne faut pas se leurrer, car cela ne résulte d’aucune volonté politique déterminée.

Cette nouvelle stratégie de sortie de crise consistait d’abord à acheter la paix sociale que la rente permettait. Ensuite, procéder à l’élargissement de la clientèle du système de pouvoir, accompagné d’une restructuration de la composante de celle-ci, par une redistribution de l’équilibre des rapports de forces apparentes, adaptée à cette nouvelle conjoncture. Par un ravalement de la façade démocratique, pour que celle-ci apparaisse à l’opinion nationale comme un rétablissement de la légitimité démocratique. D’où l’objectif principal visé par le pouvoir algérien à travers les législatives du 10 mai, qui est l’amélioration de son image devant l’opinion nationale et internationale.

Le « néopopulisme » à l’heure des législatives

Le FFS avait perçu l’opportunité d’occuper une place de choix dans cette nouvelle redistribution de l’équilibre des rapports de forces apparentes, et s’y est engouffré au détriment de ses principes, au profit de la place privilégiée qui lui est offerte. Dans la résolution de son dernier congrès consacré à sa convergence à l’élargissement de la clientèle du système de pouvoir, ses principes, par lesquels il a construit sa rhétorique d’opposant depuis l’indépendance ont été tronqués par un « néopopulisme » subtilement dosé, qui a surpris la classe politique, voir choqué certains.

Sa reddition devant l’exigence d’une constituante imposée par la souveraineté populaire, ne lui laisse d’autre choix que de recourir à une nouvelle forme de populisme : le « néopopulisme ». Sous la justification de contribuer au renforcement du statu quo pour mettre du mouvement dans celui-ci. Privilégiant le strapontin dans une assemblée d’enregistrement et en oubliant l’essentiel, qui est de rechercher à inventer de nouvelles formes et conditions de débat qui inaugurent la politique comme force de dé légitimation d’un pouvoir totalitaire qui instrumentalise une démocratie de façade.

Ce néopopulisme s’exprime également par sa proposition ambiguë de remobilisation du parti et du peuple. Il est curieux d’observer comment il crée ses lignes de partage. Dans plusieurs articles programme, publiés sur son site et qui annonçaient sa reddition, il y est question de la nécessité de la médiation. D’abord il partage entre d’un côté la notion de civilité, telle qu’elle a été élaborée par l’Indien Dipesh Chakrabarty, des subaltern studies, dans le sillage du pacifisme de Gandhi, et de l’autre côté le concept occidental de civilisation, qui connaît l’usage que l’on sait ces jours-ci. Il serait intéressant de voir de plus près ce que le pacifisme de Gandhi vient faire maintenant dans ce débat, peut-être tout à fait pertinent par ailleurs.

Pour mieux comprendre cette dérive néopopuliste du FFS, il faut aller voir du côté de quelqu’un comme Etienne Balibar, qui inaugure son ouvrage La crainte des masses justement par ce concept de civilité, et comme étant un des trois concepts de la politique. Mais pourquoi aller chercher Etienne Balibar en cette occurrence ? Pourrait-on se demander, devant le FFS qui persiste à opposer la médiation, assimilée au pacifisme et à la civilité, à la contestation populaire par la manifestation de rue, assimilée à la violence ?

Cette opposition n’est pas systématique, cependant le FFS a condamné l’expression directe de la volonté populaire, pourtant il n’y a pas eu que des émeutes. La répression s’abat sur tout ce qui s’oppose au système de pouvoir dominant, allant de la répression de la contestation politique organisée et pacifique, à la liberté d’expression journalistique, artistique et intellectuelle. Allant jusqu’à inaugurer une nouvelle forme de répression psychologique, par la menace de représailles contre la population boycottant les législatives. Sans oublier l’instrumentalisation des médias, par une grossière manipulation qui frise l’intimidation et le mépris du peuple à la fois, dans une offensive médiatique qui plaide pour la participation à la légitimation forcé de ce pouvoir. Notamment, l’incident indécent du 5 mars, orchestré et contrôlé pour produire un effet précis. Ce qui semble pertinent chez Etienne Balibar dans La crainte des masses, c’est qu’il envisage cette ligne de partage, plutôt entre la civilité « par le bas » sous l’impulsion de la volonté populaire et la civilité « par le haut » sous l’autorité d’un « maître », comme le revendiquent les textes publiés sur le site du FFS, où il est proclamé que certaines personnes sont exclusivement douées de « contribuer à la paix sociale… et d’accompagner l’émergence d’une nouvelle société civile », sans préciser évidement : en adéquation avec leur idéologie.

Voilà, me semble-t-il, comment cette ligne de partage entre l’élite et le peuple, notion chère aux populistes, vient alimenter la rhétorique néopopuliste inaugurée par le FFS pour justifier sa reddition.

Ce néopopulisme est l’expression de la volonté d’une petite bourgeoisie disposée à collaborer avec un pouvoir despotique à des fins d’accès au pouvoir et de partage de la rente, au détriment et à l’insu du peuple, qu’ils méprisent conjointement. Ce mépris s’est exprimé ouvertement dans le discours d’Aït Ahmed en qualifiant les militants politiques, qui œuvrent pour l’instauration d’un Etat moderne, qui consacre la séparation du religieux et du politique d’intégristes de l’extrémité opposée aux intégristes salafistes, en lui opposant un bricolage idéologique, au sens ou l’entend Claude Lévi Strauss dans La pensée Sauvage, qui ne peut déboucher que sur une régression catastrophique de la société.

Mais cette reddition devant l’instauration d’un Etat démocratique fondé sur un Etat de droit qui consacre la séparation du politique et du religieux était déjà en germe depuis Sant’Egidio, réactualisée aujourd’hui dans ce que l’on peut appeler : la coalition Bouteflika – Aït Ahmed – RAV (Rassemblement de l’Algérie verte ), un pronunciamiento de réactionnaires, qui s’apprêtent à construire une nouvelle république, aussi totalitaire et aussi conservatrice que la précédente, associant les services de sécurité, et se débarrassant du FLN et du RND.

Pour que la petite bourgeoisie représentée par nos intellectuels organiques puisse échapper à cet égarement, et se mettre au service du peuple et de la nation, il leur faudra comprendre les processus par lesquelles ils deviennent des machines de propagande, en se constituant comme un corps d’élite au service du despotisme et de la barbarie, à leur insu. C’est devant ce dilemme que la théorie de la réanimalisation développée par le philosophe Jacques Poulain dans son livre De l’Homme qui tombe à point nommé pour nous rendre plus intelligible ces processus d’aliénation de l’élite. Pour donner un bref aperçu sur ce philosophe, il faut savoir que Jacques Poulain a joué un grand rôle dans la chute des dictatures en Amérique du Sud et tout récemment il a été l’un des principaux acteurs qui ont permis à la Palestine de rentrer à l’Unesco.

Dans son livre De l’homme, il développe le passage d’une anthropobiologie pragmatique, où c’est l’institution, être d’action qui permet de refouler le jugement, à une anthropobiologie philosophique où c’est l’identification au jugement qui est l’enjeu de l’adoption de la dynamique de l’émission-réception des sons dans le langage, dans la construction du visuel, de l’agir et du désir. Il s’agit en fait, d’une mise en transparence logique des pragmatique du langage, c’est-à-dire : l’identification à des processus de ré animalisation du langage, comme si le langage c’était simplement ce qui nous permet d’adhérer à des stimuli, à des réactions, et à des actions consommatoires, et puis à l’échec de cela. On le voit à l’ouvre avec les législatives, où personne n’y croit à leur crédibilité, ni à leur réussite et qu’elles sont voués inévitablement à l’échec, mais on ne peut s’empêcher d’y participer, de participer à l’échec. La notion de ré-animalisation semble engager l’idée qu’une inversion de la direction des pulsions peut faire réagir l’être humain comme un animal, c’est-à-dire le faire réagir par une décharge motrice extrêmement primaire sur le plan de l’évolution.

En même temps, l’inversion de la direction des pulsions, c’est-à-dire l’élimination de la liberté, par l’autisme du jugement, par son refoulement, est également voué à l’échec, puisque l’animalisation ne peut aboutir, puisque elle veut faire marcher l’homme à l’inverse de ce que l’homme est, c’est-à-dire un être « possédé du vrai », qui empêche sa désinhibition intégrale et le retour à l’archaïque. C’est là me semble-t-il ou se joue le statu quo, d’être inconscient au sens de réagir à des stimuli par des réactions automatiques jusqu’à la ré animalisation et d’être un être possédé du vrai. Il suffit à nos élites engagées dans des combats stériles d’en prendre conscience.

Youcef Benzatat