Il y a deux ans, un livre collectif écrit par un groupe d’Algériens révélait l’incroyable concussion entre le président Bouteflika et les affairistes des Emirats, complicité qui se faisait sur le dos de l’Algérie. Le livre, « Notre ami Bouteflika – de l’Etat rêvé à l’Etat scélérat » détaillait les combines auxquelles se livrent le clan du président et les riches prédateurs émiratis. Interdit en Algérie, l’ouvrage n’a pas eu l’audience qu’il a connu en France (classé dans les 25 meilleures ventes) et, de ce fait, nos compatriotes n’ont pas eu connaissance de l’ampleur du désastre.
Deux ans plus tard, notre confrère TSA confirme ce qui a été déjà écrit par les auteurs de Notre ami Bouteflika – de l’Etat rêvé à l’Etat scélérat et dévoile le scandale : sur instruction du président Abdelaziz Bouteflika, le fonds d’investissement émirati EIIC a bénéficié d’une autorisation exceptionnelle de financement via des banques algériennes pour son projet algérien Dounya Parc, d’un montant de 100 milliards de dinars. Les documents publiés hier jeudi par TSA attestent, sans l’ombre d’un doute, le coup de pouce subjectif du chef de l’État.
Pourquoi le président agit-il ainsi ?
Pour le comprendre, lematindz revient sur les révélations contenues dans Notre ami Bouteflika – de l’Etat rêvé à l’Etat scélérat et publie une série d’articles sur ce sujet.
Dans cette partie : Comment un lobby formé de Paris, Washington, Riad et Abu-Dhabi, en passant par les généraux, a fait démissionner Zéroual pour installer un président « dirigeable« , LEUR président, et avoir mainmise sur le pouvoir, sur le pétrole, sur un pays qui saignait…
Nous sommes en 1998. L’Algérie est en train de se relever, laborieusement mais triomphalement, d’une bataille impitoyable contre le terrorisme islamiste. Le coût en vies humaines est énorme. Les temps sont durs. Le pétrole est à son plus bas niveau. Le pays est boycotté. Les ambassades ont fermé. Les compagnies étrangères ont quitté le territoire. Il n’y a plus d’argent dans les caisses. Mais l’Etat, en dépit de tout, reste debout et n’a pas capitulé devant l’islamisme comme le recommandait la plateforme de Sant’Egidio. Le général Liamine Zéroual est élu massivement, et avec enthousiasme, malgré les mises en garde de l’organisation terroriste, le GIA, qui menaçait de s’en prendre aux citoyens qui se rendraient aux urnes. La Constitution est modifiée pour se baser désormais sur le pluralisme et la représentativité, essentiels pour s’engager dans un processus de transition démocratique. Elle abolit le pouvoir à vie et limite le nombre de mandats présidentiels à deux (art.74). La Constitution de 1996, après celle de 1989, reconnaît et garantit le droit de créer des partis politiques (art.42) et des associations (art.4), y compris syndicales (art.56). Le chemin est ainsi désormais ouvert vers le pluralisme. La Constitution de 1996 dispose que « le peuple choisit librement ses représentants » (art.10). Combiné avec d’autres articles sur les libertés et les droits, et aussi les articles 6, 7, 11, 71 et 101, la Constitution algérienne opte clairement pour un système politique démocratique.
Tout est encore loin d’être parfait. Les élections présidentielles de 1995 peuvent difficilement être créditées des caractères de liberté et d’honnêteté qu’exigent la Constitution et les résolutions des organisations internationales. Il reste que cette Algérie retrouve goût à la grandeur et courtise la démocratie. La lutte contre l’intégrisme islamiste a redonné une nouvelle légitimité au combat populaire. Ce pays qui ose l’intransigeance et dont le président Zéroual refuse de serrer la main à Chirac à Washington, inquiète les lobbies occidentaux et arabes.
Un complot international d’émasculation de l’Algérie va voir le jour, qui va faire démissionner Zéroual et livrer le pays à Abdelaziz Bouteflika. Il a réussi.
En quelques années, cet homme va stopper l’élan novateur de la société algérienne, décapiter l’embryon d’ouverture démocratique en Algérie, réduire la société au silence, réhabiliter l’islamisme, changer la Constitution, installer la corruption, aligner l’Algérie sur les dictatures arabes et faire le lit d’une kleptocratie, un pouvoir de malfrats, qui dirige aujourd’hui un Etat perverti, vide le pays de sa richesse et se livre aujourd’hui une guerre de gangs.
Aujourd’hui, l’Algérie n’est plus qu’un Etat bananier, une autocratie moyenâgeuse, dominée par la rapine et la trique, soumis au règne de la corruption et de la répression, c’est-à-dire aux marqueurs universels de la gestion mafieuse de la chose publique, soumis au régime de l’état d’urgence, où les rassemblements et les manifestations sont interdits, où les journalistes vont en prison, où des journaux indociles sont liquidés, des livres déplaisants brûlés, des écrivains pourchassés, des syndicalistes matraqués…
En janvier 2010, la France et les Etats-Unis classent l’Algérie parmi les 14 pays les plus « délinquants » de la planète, parmi les plus corrompus aussi, et on entend ces scandales qui retentissent à Alger, impliquant des « hommes du président », histoires d’argent sale, de meurtres et de peuple trahi… Alger, Chicago des années trente. Le sang mêlé aux affaires d’argent sale. Des responsables de l’Etat, tous « amis du président« , sont gravement mis en cause dans des affaires de détournement de milliards d’euros blanchis dans l’immobilier dans les quartiers chics d’Alger, Paris et Barcelone.
Le chef de la police, Ali Tounsi, est abattu dans son bureau.
Qui l’a tué ? « Affaire de clans« , dit-on à Alger. Alger où tout est allé trop loin, beaucoup trop loin, au point que, dix ans plus tard, les planificateurs de la déchéance de l’Algérie, devant l’ampleur du désastre, se détournent de leur protégé. Alger est évité. Hillary Clinton se rend en visite au Maroc mais ignore l’Algérie. Plus aucune figure du monde occidental ne s’aventure à s’afficher aux côtés de Bouteflika. Même Sarkozy préfère annuler la visite d’Etat programmée pour juin 2009 pour « proximité » avec des élections « pharaoniques« . Comment recevoir à l’Elysée un homme qui avait surclassé Mugabe dans le Top 10 des dictateurs les mieux élus dans le monde ?
En se faisant réélire pour un troisième mandat – après avoir trituré la Constitution de 1996 – avec un score de 90,24 %, le chef de l’Etat algérien s’était, en effet, classé brillamment en 3e position dans ce palmarès prestigieux, juste derrière Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, l’inamovible maître de la Guinée Equatoriale qui s’était donné 97,1 % des suffrages et Noursoultan Nazarbaïev, le seigneur du Kazakhstan, crédité de 91% des voix. Bouteflika devançait des despotes chevronnés comme Robert Mugabe du Zimbabwe (85,5%), Omar Hassan el-Béchir du Soudan (86,5%), Gurbanguly Berdimuhamedow du Turkménistan (89,23%) Islom Karimov d’Ouzbékistan (88,1%) et même Zine el-Abidine Ben Ali, Tunisie: 89,62% ! Quant à Alexandre Loukachenko, le despote de Biélorussie, avec ses 82,6%, il faisait presque figure de démocrate aux côtés de Bouteflika. Oui, comment s’afficher avec un homme qui avait surclassé Mugabe ? C’est bien lui pourtant, Sarkozy, qui avait annoncé, un an avant la tenue des élections algériennes, la venue du président algérien « en visite d’Etat à Paris en 2009« . Oui mais c’était du temps du plan d’émasculation de l’Algérie, pour forcer les derniers décideurs algériens encore réticents, à accorder un troisième mandat à « l’ami Bouteflika« .
Puisque Bouteflika était publiquement « notre ami« . Un vieil obligé que Paris fascinait, et auquel l’intérêt stratégique de la France dictait de s’y accrocher. C’était pour le bien de la France que l’Elysée préférait voir s’éterniser cet homme sans relief. Pour profiter du vide géopolitique laissé par l’Algérie depuis, en particulier son arrivée au pouvoir. Pour asseoir un vieux projet d’expansion vers le sud. Oui, cet homme qui se pique d’avoir 3 centimètres de plus que Napoléon, qui aime s’entendre parler, cet homme incapable d’avoir une influence régionale, incapable d’avoir une influence sub-saharienne, cet homme, Bouteflika, avait ouvert un large boulevard d’opportunités à la France de Sarkozy. On avait même fermé les yeux sur la violation de la Constitution. Un simple amendement, adopté par un parlement croupion, préalablement gratifié d’une augmentation des indemnités de ses députés et sénateurs, avait modifié l’article 74 qui limitait le nombre des mandats présidentiels à deux et offrait loisir au président de se présenter autant de fois qu’il le désire.
Seulement voilà : Bouteflika avait changé, trop ostensiblement, de costume et de Constitution. Il avait été boulimique, arrogant, impudent même. Il ne conçoit pas d’être « élu » avec un taux inférieur au scrutin précédent. « Que penserait-on de moi ? Une chute de popularité ? My God ! Impensable ! » Alors cet homme « élu » en 1999 avec 73,79 % des suffrages exprimés se fera un devoir de prouver un regain de popularité en se faisant réélire en 2004 avec un taux supérieur (84,9 %) et, tout naturellement, en 2009, avec un score encore plus avantageux : 90,24% ! Troisième dictateur le mieux élu dans le monde !
Oui, comment recevoir à l’Elysée un homme qui avait surclassé Mugabe ? Comment expliquer à l’opinion que cet autocrate soigneusement dissimulé pendant dix ans, dans les vapeurs de la connivence diplomatique et politique allait être reçu en grandes pompes dans la capitale d’un pays qui se pique d’être la place forte des libertés et de la démocratie dans le monde ? La politique comme la diplomatie ne pouvaient plus rien contre l’arithmétique : difficile de s’afficher avec un président qui a triomphé à hauteur de 91% quand on a taxé à longueur d’année, Robert Mugabe d’être le parangon de la dictature africaine, lui l’élu à « seulement » 85% ? Le Français ordinaire ne comprendrait pas… Or, c’est le Français ordinaire qui va voter en 2012 !
L’Algérie, Etat bananier infréquentable ! Comment en est-on arrivé là ? C’est toute l’histoire d’un stratagème, d’une formidable opération de camouflage et de travestissement, orchestrée conjointement par la caste militaire d’Alger, des capitales occidentales – à leur tête Paris – et des monarchies arabes. C’est l’histoire, somme toute classique, d’un choix fait par des lobbies sur le dos d’un peuple et qui plonge ce peuple, pour je ne sais combien de temps encore, dans l’inconnu. Rien que l’histoire d’une gigantesque opération de mystification qui a tourné mal et qui a réduit, en dix ans, un pays débout en nation égarée.
« Il sait dribbler »
Dès l’été 1998, un axe formé de Paris, Washington, Riad et Abu-Dhabi, exploitant le malaise de l’Armée qui « ne veut plus » être au centre du système politique, va accélérer le départ du commandement militaire, pousser le général Zéroual à la démission et fabriquer de toutes pièces, ce 15 avril 1999, son successeur : Abdelaziz Bouteflika. Leur homme-orchestre : Larbi Belkheir, conseiller de l’ancien président Chadli Bendjedid et futur chef de cabinet de Bouteflika, porte-parole de la caste militaire et jouissant de bonnes relations avec les Emirats et l’Arabie Saoudite, développées du temps de Chadli. Il avait la confiance des Saoudiens.
Ils vont accuser l’armée d’avoir fomenté les carnages de populations civiles qui, tous, eurent lieu (coïncidence ?) juste après l’adoption de la nouvelle Constitution. C’est la préparation politique de l’arrivée de Bouteflika. Ces vénérables et puissantes personnes voulaient LEUR président pour avoir mainmise sur le pouvoir, sur le pétrole, sur un pays qui saignait… Sans doute ne sont-elles pas étrangères à l’impressionnante campagne politico-médiatique qui ciblait l’armée algérienne. Une campagne bien efficace : l’ANP, acculée par une campagne médiatique féroce qui l’accusait d’avoir commandité les carnages qui frappaient les populations, embarrassée par le fameux panel de l’ONU, la commission Soulier, la troïka et toutes ces ONG qui l’incriminaient, s’était décidée à « se retirer« , sans plus tarder, de la politique. C’est ce calcul que le lobby Paris – Washington – Riad – Abu-Dhabi, va exploiter, sous la férule de Larbi Belkheir.
Le choix de Bouteflika apparut alors comme le choix idéal à tous.
Aux généraux, il incarnait le parfait subterfuge pour afficher la « détermination » des militaires à passer le pouvoir aux civils ; se « retirer » de la politique sans s’en retirer. Qui mieux, en effet, que ce Bouteflika, merveilleusement bicéphale, civil avec de parfaits états de service d’auxiliaire militaire, pouvait le mieux convenir aux généraux pour assurer un faux retrait de la politique ? Il a toujours été l’homme lige auquel les chefs militaires ont fréquemment dû avoir recours pour concevoir, puis mener des putschs qu’ils soient directs ou maquillés. A deux reprises au moins, en 1962 comme en 1965, quand il fallut au clan arracher le pouvoir par les chars de Boumediene, à chaque fois que le sang algérien a coulé, Abdelaziz Bouteflika a tenu un rôle décisif au service des chefs militaires putschistes.
Ils savaient que ce nouveau président, Bouteflika, alors jeune capitaine, avait orchestré, en décembre 1961, pour le compte de l’état-major général de l’ALN dirigé par le colonel Houari Boumediene, le putsch contre le gouvernement légitime, le Gouvernement provisoire de Benyoucef Benkhedda auquel les chefs de l’Armée n’entendaient pas céder le pouvoir. Et ce sera lui qui fomentera le renversement de Ben Bella au profit du colonel Boumediene en 1965.
Les généraux avaient, en 1994 puis en 1999, opté pour un « des leurs« . Ils croyaient refaire avec Bouteflika ce que Boumediene et l’état-major avaient fait avec Ben Bella en 1962 : se fabriquer un président parmi la fratrie naturelle. Un militaire à l’apparence civile, un civil à l’âme militaire. Un « faux civil » qui disposait du seul pouvoir qu’ils n’avaient pas : le pouvoir des mots. Profil parfait pour l’avocat dont la hiérarchie militaire, accusée de tous les crimes de la terre en cette année 1998, avait un pressant besoin : il avait le talent de communicateur pour plaider leur cause sans être tenté de les trahir en raison, justement, de cette relation intime qui en faisait un « filleul de l’Armée« .
De plus, ils n’ignoraient rien de la vie sulfureuse du noceur-diplomate. C’était, pensaient-ils, un moyen de pression supplémentaire sur Bouteflika. Le général Khaled Nezzar, évoquant avec un brin de nostalgie le « temps où les dossiers sur les frasques de la vie privée était une façon, par le chantage du scandale, de s’assurer la loyauté des commensaux« , rappelle, fort à propos, que Bouteflika avait fait l’objet de « petits dossiers » de la part du vigilant Kasdi Merbah, alors chef des services secrets. Bien « tenus à jour« , ces dossiers serviront en 1979 à écarter Bouteflika de la succession à Boumediene. Le général soutient même que certains de ces bulletins policiers rédigés sur le fêtard Bouteflika datent de l’époque de Ben Bella : « La police politique du président l’épingle. Les petits billets des renseignements généraux rapportent, au jour le jour, des excès et des frasques qui indisposent le rigoriste Ben Bella. La démission du fringant ministre est demandée… »
Revenus à la raison d’Etat en 1994, les chefs militaires s’accrochèrent à la contestable renommée pour la consacrer à deux reprises, les deux fois où le ministre des Affaires étrangères fut invité à présider aux destins de la République. « Nous connaissions les pages pas très nettes de son passé, mais nous n’avions pas le choix et nous restons attentifs« , écrit Nezzar . Toute une hiérarchie militaire avouant n’avoir « pas le choix » que d’ériger un bambocheur à la tête d’un pays pourtant riche de brillants cadres honnêtes et patriotes ! Mais peut-être que la survie du système passait-elle par l’intronisation d’un danseur de rumba plutôt que de vrais hommes d’Etat ! Les généraux qui donc « savaient tout cela » jugèrent, en 1994 puis en 1999, en brillants esprits, que « l’Algérie avait besoin d’un diplomate habile, familier des grands de ce monde et des hémicycles internationaux afin de dynamiser la diplomatie en butte à l’hostilité et à la désinformation« . Les décideurs, astreints à accrocher des paillettes à la vie bien remplie du fêtard devenu « moins mauvais » des candidats, se rappelèrent, note Nezzar, que Bouteflika présida l’Assemblée générale de l’ONU en 1974 et qu’il fut aux affaires pendant vingt ans.
Tournée la page des frasques, de l’argent facile, des comptes suisses et des absences prolongées. Les généraux oublient volontiers le « deux tiers mondain » quand ils n’ont besoin que du tiers-mondiste. Un marchand de paroles ? Un tartarin ? Et après ? C’est même pour cette insigne qualité qu’il a été choisi par les chefs militaires. « Il sait dribbler« , aurait dit le général Médiène au docteur Youcef Khatib, candidat à la présidentielle de 1999.
La fascination des militaires pour les vertus oratoires de Bouteflika ne date pas de 1994. Le commandant Azzedine admet qu’en 1961 déjà, les chefs de l’état-major général de l’ALN dont il faisait partie ne voyaient personne d’autre que Bouteflika pour leur servir d’émissaire auprès des cinq leaders du FLN détenus à Aulnoy. « Il était le plus instruit, le plus à même de savoir parler aux ministres du GPRA. On ne voyait pas quelqu’un d’autre…« . Bouteflika bénéficiera également de cette préséance intellectuelle en décembre 1978 quand il décrocha le privilège de prononcer l’oraison funèbre en l’honneur de Boumediène, « les autres membres du Conseil de la Révolution, tous plus ou moins handicapés de la langue » étant bien contents de lui laisser la corvée, selon l’innocente formule du général Nezzar. Il faut dire, à la décharge des généraux, que la fable du diplomate exceptionnel s’était puissamment installée dans les esprits depuis trente ans. Et le talent de Bouteflika à savoir exploiter pour lui la grandeur de l’Algérie postrévolutionnaire y est pour beaucoup. Bouteflika s’est habilement placé au centre d’une révolution qui, avec le prestige du GPRA et la guerre de libération, produisait sa propre célébrité. Il accrocha son nom à « l’Algérie, Mecque des révolutionnaires » et au « dialogue Nord-Sud » comme un jeune en rollers s’accrocherait à un camion pour en bénéficier de la puissance motrice. Il a su saisir l’opportunité pour se construire une image de grand diplomate. Aussi le nom d’Abdelaziz Bouteflika apparaîtra-t-il avec force, en 1999, lorsque le complot international d’émasculation de l’Algérie va être mis en pratique.
Clic clak, merci Kodak !
A Paris et dans les royaumes du Golfe, on aide, avec enthousiasme, à ce changement à la tête de l’Etat algérien, à ce passage du « militaire au civil« .
Une aubaine. Un cadeau de la Providence ! Paris attache, en effet, un intérêt vital à ce pays. « L’Algérie, c’est la profondeur stratégique de la France« , disait Alexandre de Marenches qui savait de quoi il parlait pour avoir été, jusqu’à l’élection de Mitterrand, le « pacha » du SDECE. La venue de Bouteflika survenait au bon moment.
La France, en cette fin de siècle, veut s’étendre sur le sud, son salut, un nouvel espace économique et politique où elle pourrait prendre le leadership et dans lequel ni l’Allemagne, ni le Royaume-Uni ne pourraient lui faire concurrence. Son avenir en tant que puissance influente n’est plus en Europe. Elle y est surclassée, économiquement, par l’Allemagne qui a réussi sa réunification et, politiquement, par les Anglais qui ont installé une suprématie, soutenus en cela par les pays de l’Est. Or, conquérir le sud de l’Europe, c’est d’abord conquérir l’Algérie
L’occasion était propice ce 15 avril 1999. Le départ du général Zéroual et l’arrivée au pouvoir de cet homme superficiel, superficiel et inconstant était un tournant majeur. L’Algérie changeait de carapace. Ce n’était plus l’Algérie de Boumediene qui n’avait jamais mis les pieds en France, ou celle de Zéroual qui avait refusé de serrer la main à Chirac, celle, bourrue, des colonels arrogants. Les Français qui n’ignorent rien de Bouteflika, comprennent que cet homme à l’égo démesuré, et qui aime s’entendre parler, n’avait rien des colonels qui l’avaient précédé au gouvernail algérien, Boumediene, Chadli ou Zéroual et qu’ils ne trouveraient pas meilleur partenaire pour leurs desseins économiques mais aussi politiques et stratégiques.
Le personnage, ils le connaissent parfaitement. Chirac le décrit dans son livre-testament, en dix lignes (seulement !), comme un « homme timide » et « complexe ». Un président de la République « timide » alors qu’il doit s’affirmer devant ses pairs et défendre tout un peuple ? En jargon diplomatique cela veut dire, en fait, que Bouteflika a un double langage : il hausse le ton contre la France quand il est à Alger mais pas devant Chirac ! Quant à l’étiquette de « complexe« , elle sous-entend que la pensée de Bouteflika n’est pas structurée, qu’il n’y a pas de cohérence dans ce qu’il dit. Chirac a mis cette thèse à profit. Lui qui s’est empressé de rendre visite au président Bouteflika fraîchement réélu pour son deuxième mandat, en avril 2004, avant même la confirmation du scrutin par le Conseil constitutionnel, a toujours su satisfaire les caprices de son homologue algérien. Il s’est fait grassement payer en retour : les ventes françaises en Algérie ont augmenté de 700% en l’espace de 6 ans !
Les Français vont donc s’accrocher à ce président qui a besoin de paillettes pour exister politiquement et dont ils savent la vieille fascination pour la France, depuis toujours, depuis son fameux message envoyé à Giscard en 1979, lors du retour de Boumediene de Moscou à Alger via Paris, ou depuis ses innombrables visites en France… Depuis, il passa pour un personnage sous influence française.
Le récit de Belaïd Abdesselam, un des principaux ministres de Boumediene, est éloquent : « L’actualité de l’été 1978, chez nous, était marquée par le renversement du régime d’Ould Dada en Mauritanie et la nouvelle donne que cet événement introduisait dans l’évolution du problème du Sahara occidental. Des consultations s’étaient engagées à ce sujet entre Alger et Paris. Bouteflika en profita pour rendre visite, deux fois de suite en l’espace d’un mois, à Giscard d’Estaing à l’Elysée. Le recevant pour un compte rendu à Brioni où, à l’invitation du maréchal Tito, il prenait quelques jours de repos après le sommet de l’OUA à Khartoum, Boumediène l’interpella en ces termes : “Enfin, es-tu le ministre des Affaires étrangères de Giscard ou le mien ? Tu lui as déjà rendu une visite pour une première consultation ; pour la seconde consultation, c’était à lui à m’envoyer son ministre des Affaires étrangères et non à toi de te précipiter une seconde fois dans son bureau ! » Mais Bouteflika n’en avait cure ! Lors du retour de Boumediène de Moscou, quelques jours avant d’entrer dans le coma qui devait se terminer par sa mort, Bouteflika s’arrangea pour faire survoler le territoire français par l’avion qui le ramenait d’URSS en Algérie. « Durant les derniers mois qui avaient précédé la mort de Boumediene, raconte Belaïd Abdesselam, il s’était beaucoup agité pour gagner certaines sympathies extérieures comme si quelque chose lui avait laissé présager l’ouverture proche de la succession du chef de l’Etat. En particulier, il fit beaucoup pour gagner les grâces de l’Elysée« .
En 1979, les officiels français avaient accueilli cette lettre de Bouteflika comme un mea culpa après le bel incident diplomatique de 1975 entre Boumediène et le président Giscard d’Estaing après que ce dernier se fût autorisé, à Alger, de faire référence « à la terre des ancêtres« .
En 1999, ils se réjouissent d’avoir pour interlocuteur ce même personnage malléable, qui, contrairement à Houari Boumediene qui s’était fait un point d’honneur à bouder l’ancienne puissance colonisatrice au point de ne jamais y faire de voyage, fut-il privé, fera, lui, une dizaine de voyages parfaitement stériles. « On observera que notre chef d’Etat n’a pas effectué une seule visite officielle bilatérale en Afrique depuis 1999 – il s’est rendu 8 fois en France –, ni reçu à Alger plus de trois chefs d’Etat africains, si nous excluons le sommet de l’OUA de juillet 1999« , nous rappelle Abdelaziz Rahabi. Il s’imposera même à l’Elysée sans qu’on l’y invite, dont l’une, le 19 décembre 2003, a franchement embarrassé ses hôtes français, obligés de le recevoir à déjeuner ! Jamais un chef d’Etat algérien ne s’était à ce point rabaissé devant l’ancienne puissance colonisatrice. « Pathétique Bouteflika« , avait titré le quotidien Nice Matin, sous la plume de son directeur de rédaction, au lendemain de la visite parisienne de quelques heures sollicitée par le président algérien le 3 octobre 2003. Le journal se gausse : « Clic-clac, merci Kodak ! La visite du président algérien n’aura duré que quelques heures. Prétexte officiel, l’inauguration de deux expositions dans le cadre de la fameuse Année de l’Algérie. Raison réelle : être pris en photo, et sous toutes les coutures, avec Jacques Chirac, l’ami français, à la veille d’échéances algériennes majeures. Pathétique visite, et si embarrassante pour la France. »
C’est tout naturellement qu’à partir de 1999, l’Elysée va accéder à tous les caprices de Bouteflika. Le Maroc a eu sa saison en France ? Alors l’Algérie aura la sienne. Une kermesse culturelle s’ouvre à Paris le 31 décembre 2002 pour ne se clôturer qu’en décembre de l’année suivante, une procession de galas, d’expositions de toutes sortes, de films et de pièces de théâtre proposés au public français au moment où Alger ne dispose même pas d’une salle de cinéma digne de ce nom ! Le président algérien n’obtiendra pas d’investissements de la part de la France, mais se contentera d’un match de football France-Algérie, en octobre 2001, que ne justifiait ni le niveau respectif des deux équipes ni le moment. Organisé sans préparation, dans un contexte de passions électriques entre les deux pays et les deux communautés, le match tourne au cauchemar : l’hymne national français est hué par une partie du public, et le terrain est envahi par les supporters algériens mécontents de la correction que subissait leur équipe (4 buts à 1). Le match restera comme le plus noir souvenir de l’année pour les Français : 69 % des internautes français, interrogés par le sondeur Jérôme Jaffré, affirment que la Marseillaise sifflée lors de France-Algérie est l’évènement qui leur a le plus déplu dans l’actualité française.
Bouteflika gardera cette manie de s’afficher avec les stars françaises, de Depardieu à Zidane.
La reconnaissance du ventre
Les capitales du Golfe, Emiratis et Saoudiens, jubilaient eux aussi, ce 15 avril 1999.
Les monarchies arabes espèrent une Algérie réorientée vers une engeance arabo-islamique, qui intégrerait leur sphère d’influence.
Ils attendaient également de Bouteflika la reconnaissance du ventre.
H.K.
« Notre ami Bouteflika, de l’Etat rêvé à l’Etat scélérat » (Edition Riveneuve – 2010)