Bouteflika donne l’impression de s’être acquitté d’une tâche encombrante, d’avoir assumé sa responsabilité jusqu’au bout et c’est maintenant aux autres d’assumer la leur dans un paysage politique futur appelé à être entièrement remodelé.
Moins d’une année après son discours portant réformes politiques du 15 avril 2011, Abdelaziz Bouteflika intervient de nouveau pour ouvrir quasiment la course aux élections législatives dont il fixe l’échéance au 10 mai prochain, c’est-à-dire dans trois mois. C’est d’une voix monocorde, comme lors de sa prestation d’avril dernier, qui contraste sévèrement avec ses envolées du temps de ses premiers mandats, qu’il boucle son intervention en moins d’un quart d’heure chrono. Une intervention qui se veut empreinte de la solennité du discours à la Nation commandé par un contexte politique interne ou externe et les enjeux qu’il revêt.
Il vient deux jours après le Conseil des ministres qui a décidé de faire passer le nombre de députés à l’Assemblée nationale algérienne de 389 à 462, soit 73 nouveaux sièges. Sans aspérité particulière, il traduit clairement une logique de continuité. «Dans mon discours du 15 avril 2011, dit-il, je m’étais engagé à entreprendre l’approfondissement du processus démocratique et à asseoir les assises de l’Etat de droit en permettant à nos instances élues de disposer et de se prévaloir d’une entière légitimité (…)» Abdelaziz Bouteflika ne manquera pas de rappeler le cadre politique et réglementaire mis en place pour l’aboutissement des réformes voulues par lui, rappelant en cela les consultations de personnalités de la société civile et des partis menées par la commission Bensalah qui auraient servi de base de référence aux nouveaux textes législatifs promulgués dont les lois relatives au code électoral, aux partis politiques, aux associations, à la représentation de la femme dans les assemblées élues et aux cas d’incompatibilité avec le mandat parlementaire, ainsi que les codes de l’information, de la commune et de la wilaya. Ces lois n’étaient pas exemptes de virulentes critiques et de débats controversés à l’Assemblée nationale faut-il le rappeler surtout quand il s’est agi de la participation de la femme ou de la non-utilisation des institutions dans la campagne électorale. Le chef de l’Etat ira même plus loin et se laissera aller à un exercice de pédagogie des élections en mettant l’accent sur l’esprit qui doit prévaloir dans ces joutes électorales à propos, notamment, de la participation des femmes et de la jeunesse et des partis et associations syndicales afin de donner leur légitimité et leur crédibilité aux institutions qui sortiront des urnes en mai prochain et celles à élire dans la continuité de ce processus électoral, à savoir les APC et les APW, par une large mobilisation du corps électoral marqué par le phénomène de l’abstention : «J’attends des partis politiques, des syndicats et des organisations de la société civile qu’ils œuvrent ensemble à mobiliser les électeurs et les électrices. » Abdelaziz Bouteflika considère que ces élections seront la pierre angulaire du «parachèvement de la reconstruction de l’Etat algérien, cinquante ans après le recouvrement de sa souveraineté (…)» C’est donc un discours qui a porté exclusivement sur les législatives prochaines évacuant toute référence au contexte politique national, arabe et mondial. Il faut souligner que ces législatives tranchent radicalement avec toutes les autres qui les ont précédées. En ce sens qu’elles portent la caractéristique de la gestion d’une réalité politique par le pouvoir qui entend se placer dans le sens du vent – plutôt faire le dos rond qu’être emporté par la tempête.
Le discours récurrent sur la transparence et la crédibilité d’élections totalement libres, sur la neutralité de l’administration et l’appel aux observateurs étrangers sont autant de messages montrant que le pouvoir – bien malgré lui – ne peut occulter et ne peut rester sourd au changement réclamé et pas seulement par l’opposition. Grèves dans la plupart des secteurs d’activité pour les augmentations de salaires, émeutes du fait des mauvaises conditions de vie (logement, eau, électricité), le pouvoir y est allé de son carnet de chèques pour désarmer les risques réels d’explosion sociale. Il table ainsi sur «une exception algérienne » et entend demeurer le maître à jouer dans toute perspective d’évolution politique. Longtemps mises sous le boisseau, les demandes d’agrément de nouveaux partis politiques, quelle que soit leur envergure, sont acceptées en dépit de l’opposition du ministre de l’Intérieur Daho Ould Kablia. Mais soudain, le pouvoir semble voir dans le foisonnement de ces partis un avantage insoupçonné jusque-là.
Oui, jouer le surnombre face aux partis islamistes que veut fédérer le chef du MSP, Aboudjerra Soltani. Pas question de voir se reproduire les expériences des pays voisins sous l’œil condescendant des Américains et des Européens. L’exception algérienne encore une fois ! Mais rien n’est sûr pour autant car certains cercles du pouvoir s’accommoderaient parfaitement avec les islamistes au pouvoir en Algérie à travers des deals qui assureraient la pérennité de leurs juteuses affaires.
Et pourquoi pas, diront-ils, puisqu’il s’agit de sauvegarder l’essentiel même avec un Aboudjerra Soltani Premier ministre. Sauf que, dans la réalité, les partis islamistes algériens sont profondément minés par leurs divergences d’approche quant au modèle de société et de gouvernance, la course aux avantages et aux dividendes dans l’éventualité de l’exercice du pouvoir dans un pays où la corruption et les affaires en famille politique font scandale dans l’impunité. Cela, les décideurs le savent et laissent faire dans une certaine mesure en dépit de la commission installée récemment par Bouteflika. C’est que la galette est bien grosse aujourd’hui grâce au boum de la rente pétrolière. Mais l’exercice du pouvoir a montré que s’il était aisé de le conquérir aujourd’hui, il est dangereux dans sa pratique pour la société saturée de bons discours. Par ailleurs, le jeu trouble du pouvoir n’encourage guère l’émergence de forces sociales – à travers les partis nouvellement agréés, lesquels n’ont pas d’encrage dans la société au sens de parti de masse et comptant dans ses rangs des militants intègres et chevronnés. De plus, pour la plupart, les délais sont trop courts pour être vraiment au rendez-vous. Certains d’entre eux demandent en vain leur report, à l’exemple du MJD de Abdallah Djaballah. Malgré le large mouvement de dissidence (redresseurs) mené par son coordinateur national, Salah Goudjil, le chef contesté du FLN, Abdelaziz Belkhadem, continue de croire, quant à lui, en sa bonne étoile. Il faut croire qu’il ne s’est pas encore départi de vieux réflexes qui font des élections des compétitions gagnées d’avance. Il en arrive même à se fixer un quota à l’Assemblée nationale et pousse le bouchon encore plus loin en se voyant chef d’une coalition islamiste avec en supplément un appétit prononcé pour la présidentielle de 2014.
Brahim Taouchichet