Les débats ont pris fin sur un goût d’inachevé, Procès Khalifa : la vérité occultée, parfois travestie

Les débats ont pris fin sur un goût d’inachevé,  Procès Khalifa : la vérité occultée, parfois travestie

Le procès de Khalifa Bank s’est achevé sur une évidence irréfutable : tout a été mis en œuvre pour taire et même travestir la vérité. Après un mois et dix jours, le procès Khalifa Bank n’a rien apporté par rapport à celui de 2007, en termes de révélations et de compréhension des tenants et aboutissants de cette affaire. C’était un simple

procès en trompe-l’œil, essentiellement celui des acteurs de second rôle.

Moumen Khelifa s’est muré dans un silence qui a soulevé beaucoup d’interrogations. Alors que ses déclarations à partir de Londres en 2007, époque où il était sous contrôle judiciaire, annonçaient une avalanche de révélations lors de son jugement en Algérie. “En 2007, ce principal accusé était absent, mais présent par ses interventions. En 2015, il est présent mais absent à travers ses propos.” Ce commentaire fait par Me Bourayou, lors de sa plaidoirie, illustre bien cette situation inédite où un accusé protège, par son mutisme, certains qui ont été à l’origine de sa perte et de la chute de son empire. Les rares audaces de certains accusés où de leurs avocats ont vite été stoppées par le président de l’audience, sous argument qu’il ne fallait pas politiser cette affaire. C’était notamment le cas lorsque certains membres de la défense ont évoqué les 4 Mercedes offertes à la Présidence, les quelque 500 000 dollars déboursés par Khelifa pour payer l’opération de lobbying engagée par l’Exécutif en vue de séduire l’Administration, les membres du Congrès et les milieux d’affaires américains ou la demande exprimée par l’ancienne ministre de la Culture de payer le cachet du comédien égyptien Adel Imam, venu se produire, en Algérie pour une somme faramineuse. Ces quelques révélations n’ont pas non plus suscité une réaction du procureur de la République, pourtant très prompt à réagir sur les placements à terme des entreprises publiques ou sur les cartes de voyage et de thalassothérapie, jusqu’à réduire le procès à ces quelques éléments qui ont constitué l’essentiel des chefs d’inculpation. Le procureur s’est même permis de revenir, avec des sous-entendus, sur des faits déjà annulés par la chambre d’accusation.

Une instruction bâclée et à charge uniquement

Le schéma d’un procès en trompe-l’œil s’était dessiné bien avant, à la phase d’une instruction bâclée, pleine d’incohérences et d’erreurs et de laquelle ont été extirpés tous les faits impliquant de hauts responsables de l’État.

Le collectif d’avocats constitué dans cette affaire pense que le juge a surtout instruit à charge, souvent sur la base d’un simple témoignage alors qu’il était censé aussi instruire à décharge et apporter la preuve de ce qu’il avance. Me Khaled Bourayou a exhibé des documents et affirmé que les deux prétendus faux actes d’hypothèque pour lesquels son client Mourad Issir Idir est poursuivi, ont été falsifiés lors de leur expertise par les gendarmes dans le seul but d’ajouter, à la veille du procès de 2007, l’accusation de “faux en écriture publique”, construire les liens d’“association de malfaiteurs” et de renvoyer l’affaire, qui était à l’origine correctionnelle, devant un tribunal criminel.

Khalifa Bank, c’était aussi le règne de la politique des deux poids, deux mesures. On aura remarqué durant ce long procès que des personnalités ont été citées, en qualité de témoins, alors qu’elles avaient reconnu avoir bénéficié de crédits sans trace de remboursement, de voitures et de cartes de thalassothérapie. En somme, tout ce qui est reproché à la plupart des inculpés. Le cas d’un membre de la commission bancaire venu à la barre accabler Khalifa Bank pour sa gestion, est édifiant, dans ce sens, puisque lui-même, sa femme et son fils ont été employés par le groupe Khalifa et son fils a bénéficié d’une voiture.

Un mois et dix jours d’audience n’auront donc pas touché à l’essentiel : les responsabilités au plus haut niveau de l’État, grâce au “talent” d’un magistrat qui n’a pas laissé les débats déborder l’évidente ligne rouge fixée à ce procès, déjà largement tracée dans l’ordonnance de renvoi. Les acteurs de l’appui accordé à Rafik Khelifa pour bâtir son empire, dans un pays où l’obtention de la moindre autorisation officielle relève de l’exploit, ne seront pas cités, non plus publiquement. Khelifa avait bénéficié de toutes les facilités. À commencer par le mystérieux agrément que le tribunal qualifie d’acte criminel.

Mais seul l’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, Adelwahab Keramane, est inculpé. Dans un long communiqué publié durant le procès Khalifa Bank en 2007, Adelwahab Keramane, qui a été à l’origine du premier couac retentissant du procès en refusant de se présenter devant la magistrate, avait déclaré : “Mon inculpation avant toute audition (…) montre qu’il s’agit de désigner le coupable et de verrouiller l’instruction afin de protéger les vrais coupables.” Dès début 2001, Abdelwahab Keramane lance une procédure disciplinaire contre Khalifa Bank. Il est aussitôt “invité” à quitter la Banque d’Algérie pour siéger au gouvernement.

La responsabilité de la Banque centrale  évincée

Entre-temps, un rapport de la Banque centrale est envoyé au ministre des Finances Mourad Medelci qui le met sous le coude, sous prétexte qu’il contenait des généralités et non des PV d’infractions aux règles de change, dûment établis par des inspecteurs assermentés. C’est en tout cas durant les deux ans suivant le départ de Keramane que le flux des dépôts des entreprises

publiques, des caisses de retraite, d’assurances et des filiales de la puissante Sonatrach, a réellement commencé.

Le tribunal criminel près la cour de Blida ne nous a pas édifiés sur les véritables ordonnateurs de ces transferts massifs, se contentant de les expliquer par des privilèges accordés par Khalifa Bank comme le taux d’intérêt élevé et les cartes de voyage, de thalassothérapie. Comme il n’a pas incriminé les dirigeants de la Banque d’Algérie pour n’avoir réagi aux irrégularités et carences constatées dans la gestion de Khalifa Bank que tardivement. Et ce, en dépit de l’alerte déclenchée par les commissaires aux comptes dès juin 2000 et de la dizaine de rapports transmis par l’inspection générale. La Banque d’Algérie n’a bougé, accuse le collectif d’avocats, que quand le signal lui a été donnée d’ouvrir le feu contre la banque Khalifa.

“Monsieur le juge, laissez-moi mourir chez moi”

L’affaire Khalifa Bank, c’est aussi tous ces drames qu’elle a entraînés. Des décès en prison, des destins brisés, des familles écartelées et des carrières freinées dans leur élan. Une pléiade des meilleurs gestionnaires de la place ont dû abandonner leur poste pendant une longue période, contraints qu’ils étaient d’assister au procès jusqu’à la fin. Au même moment, le président de l’audience a fermé les yeux sur la défection de certains témoins-clés comme le ministre de l’Habitat, Abdemadjid Tebboune, accusé par des responsables de l’OPGI de les avoir incités à faire des placements à la banque Khalifa.

À l’instar aussi du secrétaire général de la Centrale syndicale à qui il a été reproché d’avoir usé de faux pour les placements à terme de l’argent des caisses de Sécurité sociale ou encore Karim Djoudi qui était à l’époque à la tête du Trésor public et qui aurait, en tant que tel, apporté des éléments précieux à ce procès. Jean-Bernard Vialian, ancien directeur des opérations de la compagnie Antinéa, achetée par le groupe Khalifa, Chafik Bourkaïb, ex-DG de cette même compagnie aérienne, ainsi qu’un autre cadre, pour ne citer que ceux-là, ont été présentés devant le juge, pour un simple micro-ordinateur non restitué et ont été inculpés pour abus de confiance.

Ces inculpations n’ont pas été sans conséquence. On a vu durant ce procès des personnes qui ont perdu l’usage de la parole, la raison et même des êtres chers, des suites de cette affaire. Comme ce cadre d’une entreprise, en liberté provisoire, à qui on a refusé la restitution de son passeport pour pouvoir se déplacer en Jordanie et faire don d’une partie de son foie à sa fille atteinte d’un cancer.

Pendant sa longue détention, le notaire Rahal a été atteint de la maladie d’Alzheimer. Il n’a pu supporter le poids d’un deuxième procès. Il a été transféré, dès les premiers jours d’audience, pour soins intensifs à l’hôpital Frantz-Fanon. Appelé dimanche sur ordre du tribunal criminel à se présenter à la barre pour la notification de la peine de 15 ans requise contre lui par le procureur et dire son dernier mot, le notaire Rahal, approchant les 90 ans, supplie d’une voix tremblante le juge : “Laissez-moi mourir chez moi.”

N.H