La tourmente des Algériens pendant la guerre d’Algérie, une guerre, comme toutes les guerres, avec tous ses effrois et les horreurs de la torture est revenue sur la scène publique française après 50 ans avec plus d’acuité à travers le témoignage sur la torture de Louisette Ighilahriz en juin 2000.
Pierre Vidal-Naquet dans ce document « les crimes de l’armée française » paru pour la première fois en 1975 et réédité en 2001, avec une nouvelle préface de l’auteur, est une réponse au débat resurgi dans l’opinion publique française sur des pratiques déshonorantes de : « l’armée française », « …ce qui avait été , de la toussaint 1954 au printemps de 1962, la répression et pas seulement la torture ».
Le dossier-document débute par un article sur la guerre d’Indochine datant de 1949 publié par « témoignage chrétien » dès les premières lignes le journaliste donne un aperçu sur la répression aveugle commise par les forces françaises. Un crâne humain sur le bureau de l’officier fait office de trophée de guerre et « de presse papier ». Le soldat cynique donne tous les détails morbides de la façon comment il a créé à partir de la tête d’un être humain, un Indochinois, un objet pour écritoire. Les leçons de la gestapo
Le ton est donné pour passer à une analyse des répercussions d’une guerre et des exactions commises en Algérie. L’un des critères de Vidal-Naquet était de ne rapporter « que des documents français», non par souci d’efficacité comme il le précise, mais : « simplement, si cette histoire est celle des Algériens, elle est aussi la nôtre et c’est à nous de l’assumer ». C’est ainsi que se distingue cet historien des temps modernes, par la rigueur de son jugement et sa lucidité envers une période de l’histoire de France du XXe siècle et celle afférente au « milieu des années soixante-dix jusqu’à cet an 2000 qui vit le débat sur la torture exploser à la première page des journaux… » Composé de huit parties le livre document nous renvoie à des textes journalistiques, chroniques et documents relatant un passé récent, le notre avec pour affirmation l’indépendance algérienne. Ainsi que Celui d’une France « coloniale et civilisatrice » qui des décennies durant a entretenu sciemment le silence sur la guerre d’Algérie par « une politique de l’oubli ».
Entre novembre 1955 et mars 1956, Stanislas Hutin note dans son journal les abus commis par les soldats dans les campagnes. On ne parlera pas des cris de détresse la nuit, d’un enfant sous la torture, mais de cet épisode portant à réfléchir sur un comportement de haine envers une population rurale démunie. Il s’agit « d’un livre d’histoire trouvé chez un gosse, une gravure particulièrement suggestive dans les conditions actuelles : elle magnifie la résistance de 1944… ». Des maquisards français exaltés par un livre d’histoire pour avoir « mitraillé un convoi allemand », douze à peine, après, l’armée française dans les djebels et mechtas « se conduit comme les boches le faisaient avec nous » (J.Chégaray). D’autres témoignages sont livrés à l’écriture comme, peut-être, moyen d’expiation, par certains soldats à l’exemple Jacques Pucheu, légionnaire dans les Aurès : « nous traversions souvent des villages abandonnés qui avaient été mitraillés par l’aviation, bombardés ou incendiés. A plusieurs reprises nous rencontrâmes des charniers, dégageant une odeur épouvantable d’hommes et de mulets… des caravanes prises en chasse par l’aviation…» (octobre 1956)
Nous n’irons pas plus loin dans la lecture des atrocités, passées généralement inaperçues pour un grand nombre de Français en métropole est insoutenable. La répression subie par les algériens pour leur engagement à la légitimé de leur combat nationaliste durera encore de longues années .le drame algérien sera ponctué d’exécutions sommaires, de « crevettes de Bigeard » pour parler des cadavres retrouvés au port d’Alger, de disparitions et de discours « menteurs ». Une vision partisane d’une Algérie française et déloyale des gouvernants français qui « n’ont cessé de mentir avec une admirable constance : « parmi bien des démentis que la France d’aujourd’hui peut opposer à ses contempteurs… tous les rapports tous les échos directs ou indirects qui me parviennent nombreux sont unanimes : nos gens font là-bas l’admiration de tous par leur vaillance comme par leur discipline et …par cette humaine gentillesse qui de ces guerriers fait vraiment des pacificateurs » extrait du discours du président français René Coty, Verdun juin 1956.
De portée historique et de vérité immense, l’ouvrage de Vidal-Naquet est là pour que justice soit rendue aux victimes. Reprenons les paroles de Jacques Derrida adressées aux Français neuf mois avant l’indépendance de l’Algérie : « Nous aurions, me semble-t-il …un premier devoir : pensons d’abord aux victimes, rendons-leur la voix qu’elles ont perdue ».
Lamia Nazim