Les crimes contre les parents et les conjoints se multiplient, La sacralité de la famille algérienne à l’épreuve de la haine

Les crimes contre les parents et les conjoints se multiplient, La sacralité de la famille algérienne à l’épreuve de la haine

Un jeune qui égorge sa mère et décapite son frère ou sa sœur, une femme et ses deux filles qui font appel à des voyous pour assassiner le père, une fille d’à peine 14 ans qui achève son papa, une femme qui tue son mari et l’enterre sous la baignoire de la salle de bains… Voilà le décor planté d’une société de plus en plus meurtrie par la haine des siens.

L’année 2015 commence par deux drames. Vendredi dernier, dans la localité d’El-Khroub, dans la wilaya de Constantine, une femme, la trentaine, est assassinée par son mari. L’ex-gendarme à la retraite lui porte plusieurs coups de couteau au cœur. Aux dernières nouvelles, il s’est rendu aux services de la Police judiciaire et l’enquête préliminaire suit son cours pour définir les contours de ce drame.

Deux semaines auparavant, soit le 1er janvier, dans la banlieue de Batna, un jeune, la trentaine à peine entamée, achève à coups de couteau sa propre mère avant de passer à sa sœur qui lutte, toujours, contre la mort au CHU de la ville.

Ce crime nous rappelle celui commis à Constantine, il y a huit ans, soit le 26 décembre 2006, quand un jeune lycéen, sans histoire, égorge sa mère, enseignante de son état, et décapite son propre frère aîné, un étudiant à l’université. Ici, la famille appartient à la couche moyenne, les parents sont considérés intellectuels, ils habitent un quartier à Ziadia, à Constantine, qui est loin d’être affamé et l’auteur du drame est, a priori, sans problème. On se souvient encore de ce crime, commis contre des parents et perpétré dans des conditions qui ont plongé dans l’émoi toute l’Algérie. Désormais, les horreurs, y compris contre les parents, ne sont plus le propre des milieux défavorisés, des enfants marginaux et des quartiers pourris. Liberté revient sur le sujet des crimes commis sur les parents et les conjoints en revisitant quelques-uns de ces drames pour dire que cela n’arrive pas qu’aux autres ou dans les films d’horreur et que le meilleur moyen de faire face à un mal est d’essayer de l’exorciser.

S’il est rare qu’un père tue un de ses enfants, même dans le cadre des crimes d’honneur, ce n’est plus le cas pour les enfants. Ces derniers sont de plus en plus nombreux à tirer sur la gâchette ou à passer au couteau leurs propres parents. Quand ce sont des mamans, aidées par leurs propres enfants, qui mettent un terme à la vie du père, c’est que la violence qui couve au sein de la société, a atteint un seuil critique. L’image de la famille algérienne soudée et solidaire est en train de devenir un discours creux et un plat servi froid sur une table pourrie… d’hypocrisie.

Pour revenir au crime de Ziadia, en pleine fête de fin d’année et à quelques jours de la célébration de l’Aïd, un jeune lycéen, Z. B., âgé de 19 ans, mettra fin, le 26 décembre 2006, à la vie de sa mère M. B., âgée de 52 ans à l’époque, et à celle de son frère A. B. âgé de 26 ans. Dans sa folie meurtrière, le jeune Z. B. égorge sa maman et décapite son frère avant de prendre la fuite. À ce jour, malgré deux jugements dont l’un par contumace, personne n’est en mesure de déterminer avec exactitude les véritables motivations de Z. B. que tous les indices donnent, au final, pour victime d’une famille algérienne en mal de communication. Pas loin de nous, le 18 décembre dernier, un fait horrible a jeté l’émoi sur la localité de Ouled Yaïche dans la wilaya de Blida au centre du pays. Selon les premiers éléments de l’enquête, à la suite d’un différend au sein d’un jeune couple, le mari tente de tuer sa femme en usant de l’arme de son propre père. Si les circonstances de cet acte ne sont toujours pas encore connues, la victime est toujours en soins intensifs alors que son mari est en détention.

Moins de deux semaines avant, soit le 5 décembre, le receveur de la poste de Aïn Zekik, une petite localité dans la wilaya de Tébessa, rend l’âme au moment de son transfert vers le CHU de Constantine à la suite de graves blessures.

Selon les premiers éléments de l’enquête menée par les services de la Police judiciaire, ce sont la propre femme du défunt receveur et ses deux filles qui ont organisé le crime en concert avec trois jeunes parents, dont des repris de justice. Le receveur sera tué et un butin de plusieurs millions de centimes volés des coffres de la recette dans un deal qui n’a pas encore levé tous ses secrets.

En 2013, à Sétif, une macabre nouvelle plonge dans le deuil la population de Sidi El-Khier, la capitale des Hauts-Plateaux. Un jeune de la cité Dallas égorge sa mère et son père avant de mettre un terme à la vie de sa sœur. Selon les enquêteurs, l’assassin, à travers son geste, cherchait à se venger contre sa famille qui ne voulait ou ne pouvait plus lui donner de quoi acheter de la came.

À la même période, à Alger, une fille de 14 ans, souffrant de problèmes psychiatriques, assassine son père.

En 2012, le 30 novembre, à Ramdane-Djamel, dans la wilaya de Skikda, un chauffeur surprend, chez lui, sa femme avec son amant. Une bagarre éclate entre les deux hommes. La rixe s’achèvera par la mort du mari tué par plusieurs coups de marteau portés à la tête par sa femme, selon les éléments de l’enquête. Dans une tentative d’effacer les traces du crime, le corps de la victime sera découpé en morceaux avant d’être enseveli sous la baignoire de la salle de bains. Ce n’est que neuf mois plus tard que les policiers découvriront le cadavre.

Au départ, les crimes d’honneur Dans l’histoire des faits liés à la société algérienne, et comme ailleurs, le crime d’honneur a, de tout temps, existé. Ses motivations sont liées aux interprétations, souvent fausses, des enseignements religieux. Souvent, c’est la femme, la fille ou la sœur, déjà victime d’une agression sexuelle, qui subit un tel crime par un mari, un père ou un frère qui cherche à laver l’honneur de la famille, souillé, selon eux. Mais il arrive, aussi, que des enfants intentent à la vie de leurs parents pour sauver cet honneur. C’est ce qui s’est passé durant les années 1970 à Collo, quand un jeune mettra fin à la vie de son propre père accusé d’avoir eu des comportements bestiaux avec sa propre belle-fille.

Plus loin, durant la guerre de Libération nationale, des personnes jugées collaboratrices  avec l’armée coloniale ont été liquidées par leurs propres fils, frères, voire femmes. Plusieurs fidaï eurent pour première mission l’achèvement d’un parent pour à la fois “purifier le sang de la famille souillé par la traîtrise” et prouver l’engagement sans faille pour la cause nationale.

Plus proche de nous, durant la décennie noire, un procédé similaire a été utilisé par les groupes armés islamiques. Des jeunes fous d’Allah, embrigadés par des repris de justice, ont liquidé leurs propres frères et pères enrôlés dans les forces de sécurité et qualifiés par la propagande intégriste de taghout. Un drame que relate en partie le film Yemma, de la réalisatrice Djamila Sahraoui. C’est dire que cette forme de violence, prise sous un certain angle, est produite par notre propre histoire et nos propres valeurs culturelles ou celles en vigueur dans l’espace géographique dans lequel évolue notre société.

À l’heure des bilans, pour cette année, moins de dix ans après le drame de Ziadia, au moins 5 crimes ont été perpétrés contre des ascendants ou des conjoints. Il ne s’agit pas de faits exceptionnels car ce type de violence est une réalité avec, au moins, 4 agressions commises sur des parents par leurs propres descendants ou leurs conjoints tous les 3 jours. Ces chiffres ne sont pas un exercice d’extrapolation, mais bien le résultat d’un recoupement de statistiques officielles. Ainsi, cette criminalité est un autre drame auquel doit faire face notre société, appelée à exorciser tous les démons qui l’habitent si elle veut accéder, à moindres coûts, à un monde meilleur.

M. K