Les banquiers ne savent toujours pas comment appliquer le taux bonifié. Le décret signé par le Premier ministre ne clarifie pas les choses. Bien au contraire.
L’introduction de crédits immobiliers à taux d’intérêt bonifiés suscite un grand intérêt. L’annonce par la presse qu’un décret d’application a été signé par le Premier ministre et promulgué dans le Journal officiel a fait espérer que l’accès à ce crédit pouvait commencer. Au lendemain de l’annonce, des prétendants aux crédits bonifiés ont dû déchanter en se rendant dans les établissements bancaires.
Il n’en n’est rien, le décret d’application publié au JO est encore… inapplicable ! Des employés de banques, gênés de refroidir les ardeurs des prétendants, tentent d’expliquer, tant bien que mal, les raisons multiples qui font qu’ils ne peuvent réceptionner les demandes de la clientèle.
Une situation, quelque peu ubuesque, créée par le décret exécutif N°10-87 daté du 10 mars dernier, fixant les niveaux et modalités d’octroi de la bonification du taux d’intérêt des prêts pour l’acquisition d’un logement collectif et la construction d’un logement rural. Les journaux ont contribué à la création d’une forte attente en annonçant l’entrée en vigueur de ces crédits. Rien n’est très clair cependant.
Si les citoyens ne comprennent pas, à la lecture du décret, les raisons qui les privent encore de la possibilité de profiter de l’opportunité, ceux qui auront la charge de la mettre en oeuvre – les banques notamment – sont dans un grand embarras. Au-delà de la détermination des catégories de salariés qui ont droit aux bonifications de 1% ou 3 % le petit texte (7 articles) d’Ahmed Ouyahia a rendu complexe une opération a priori très simple.
Il faut d’ailleurs commencer par souligner que l’octroi de bonification n’est pas une première en Algérie et que les banques sont rompues à cette pratique financière basique. Or, les banquiers que nous avons interrogés ne cachent pas, en aparté bien entendu, leur perplexité devant le contenu approximatif du décret.
LE CASSE-TÊTE DU TAUX «PRÉFÉRENTIEL»
Sur le logement rural, ils relèvent que les banques tout comme les citoyens devront attendre l’établissement d’une liste des régions rurales. Ils notent également que le décret évoque un «fonds de bonification du taux d’intérêt sur les crédits accordés aux ménages pour l’acquisition, la construction ou l’extension d’un logement…» et qu’il laisse ainsi ouverte son extension vers les milieux où la tension sur le logement est la plus forte.
Mais le plus important facteur de blocage de l’opération est l’article 5 du décret qui dispose que les banques et établissements financiers arrêteront avec la Direction générale du Trésor «un taux préférentiel pour la détermination de ces taux de bonification et ce, pour chaque catégorie de logement». Dimanche, au siège de l’ABEF, lors d’une rencontre discrète les banquiers ont sans doute discuté de ce taux «préférentiel» qui vient subitement faire écran au taux du marché.
Certains redoutent que ce taux «préférentiel» ne soit un moyen pour le gouvernement d’imposer un taux débiteur bas, inférieur aux 5,75% qui sont actuellement consentis aux épargnants des banques publiques. Ce qui équivaut de fait à faire contribuer les banques à une bonification censée être prise exclusivement en charge par le Trésor.
Actuellement, le taux le plus bas sur le marché est le crédit -jeune de 5% sur 40 ans accordé par la Cnep- Banque au moins de 35 ans détenteurs d’un Livret d’Epargne Logement ou d’un Livret d’Epargne Populaire. Le cas de la Cnep- Banque est d’ailleurs exemplaire. 90% de ses ressources sont des dépôts à terme rémunérés entre 2 et 2,5 %. A titre de comparaison, la part des ressources rémunérées de la BNA est de 17%.
Si les banques publiques peuvent supporter l’effort imposé par un taux débiteur bas, la Cnep-Banque, interdite d’activer en dehors de l’immobilier, se retrouverait dans une situation très difficile. Quant au crédit-jeune au taux de 5% que la CNEP octroie actuellement, il risque d’être une victime collatérale d’une politique de crédit immobilier aux contours mal définis…
Yassine Sakène