Après avoir enterré ses morts dans le calme, sans incident, Guerrara surmonte petit à petit sa douleur et sort de sa torpeur. La vie chasse la désolation et reprend ses droits. Les ruelles de la ville s’animent. Récit.
Samedi. Rue de l’Indépendance. L’avenue principale de la localité de Guerrara connaît un peu de mouvement en cette matinée. La veille, toute la ville était paralysée. Des citoyens se précipitent à faire leurs courses alors que l’horloge affiche 9h. Ils en profitent tant que la fraîcheur est encore là. Le spectre de la grève plane toujours et certains clients exagèrent dans les achats.
Des commerçants protestent et lancent : “Il ne faut pas penser qu’à soi-même… Il y a aussi les autres.” Un boulanger s’énerve et ne veut pas servir un client qui voulait faire un achat excessif de pain. “Pas question !”, lui lance-t-il. Un camion-frigo stationne. Une queue se forme illico, avant même que les casiers de lait en sachet ne soient déchargés. Beaucoup de citoyens de Guerrara n’ont pas eu droit à cet aliment de première nécessité depuis mardi. Le propriétaire de l’alimentation générale vend uniquement deux sachets par personne. Bientôt, certains mettront à contribution d’autres membres de la famille pour en avoir plus.
Une bonne astuce. La pénurie développe visiblement toute sorte de réflexes. Il y a de quoi ! La ville de Guerrara, à 120 km au nord-est du chef-lieu de la wilaya de Ghardaïa, est coupée du reste du pays depuis presqu’une semaine, soit depuis le début des affrontements intercommunautaires entre Chaâmbis et Mozabites, avec le macabre bilan que l’on sait : 19 morts et des dizaines de blessés, 14 victimes du côté des Ibadites et 5 autres victimes du côté des Malékites. En plus de la production locale, la ville est approvisionnée en marchandises diverses à partir de Messaâd au Nord-Est, Berriane à l’Ouest, Zelfana au Sud-Ouest et Elâlia au Sud-Est. Ces quatre axes routiers étaient jusque-là pratiquement interdits de circulation. Surtout pour les transporteurs de marchandises qui risquaient gros. Des incidents ont d’ailleurs eu lieu, particulièrement sur la route menant vers Berriane et Messaâd. Des guet-apens où des automobilistes ont été agressés et leurs véhicules saccagés. Au cœur de la ville, la place publique dite Inourar a retrouvé son marché mozabite traditionnel. Il s’agit d’un marché presque mythique et qui se tient quotidiennement. Sauf que pour sa reprise d’activité, peu de marchandises garnissaient les étals. L’explication ne se trouve pas uniquement dans la rareté des produits. Des commerçants expliquent qu’en ces temps de crise, certains préfèrent venir en aide aux familles sinistrées et dans le besoin, plutôt que d’écouler leur marchandise sur le marché. “Nous avons toute l’année pour faire des bénéfices. Nous préférons offrir que vendre. Les fruits et les légumes de ma propre production, je les mets à la disposition des familles qui logent dans les écoles. Elles ont presque tout perdu”, soutient un agriculteur qui, cette matinée-là, se trouvait au marché pour affaire. À 11h30, le soleil commence à être un peu trop brûlant.
À 12h, la chaleur est déjà suffocante. Les étals du marché mythique sont vides, les rideaux des boutiques sont baissés et la population a disparu des boulevards et des petites ruelles. Pas même une mouche.
C’est l’heure sacrée de la sieste. Quelques heures de sommeil raccourcissent l’interminable journée de jeûne.
À 17h, la ville retrouve à nouveau un peu de vie. Le quartier Baba N’hamouda est beaucoup plus mouvementé que durant la matinée. Les vendeurs de fruits se sont meiux approvisionnés et les vitrines des boucheries offrent de l’entrecôte de bœuf, du foie d’agneau… À la sortie de la ville, le quartier administratif commence à ouvrir ses portes. La poste et l’agence Algérie Télécom ont reçu des clients. Des Mozabites et Châambis sont servis ensemble. Pourvu que ça dure…
M. M