Le Premier ministre Ahmed Ouyahia a rompu le silence observé depuis le début de l’année. Invité à l’émission «Hiwar essaâ» de la troisième chaîne satellitaire de la Télévision nationale, le secrétaire général du Rassemblement national démocratique (RND) est revenu pratiquement sur toutes les questions de l’heure qui préoccupent aussi bien la classe politique que le peuple algérien.
Serein, souriant et maîtrisant les nombreux dossiers de l’actualité nationale et internationale, l’invité de la Télévision algérienne a apporté des réponses quant à certaines interrogations, mettant en avant la conviction des autorités publiques de l’importance et de la justesse des décisions prises depuis les fameuses émeutes du 5 janvier contre la hausse des prix du sucre et de l’huile de table.
En effet, le secrétaire général du RND, qui s’est exprimé également en tant que Premier ministre, a abordé la situation politique du pays, en soulignant à ce propos que l’Algérie ne connaît pas actuellement «une crise politique» comparable à celle des années 90, paralysant les institutions du pays et impliquant un changement du système politique. Il s’agit, selon lui, plutôt de crises sociales qui appellent à des traitements.
Quel est l’avis du RND sur l’élection d’une assemblée constituante ? La réponse d’Ouyahia ne souffre d’aucune ambiguïté. «Accepter l’idée d’une assemblée constituante et donc d’une nouvelle Constitution reviendrait à effacer d’un trait 50 ans d’existence de l’Etat algérien et n’apporterait rien au pays», a-t-il expliqué, avant d’ajouter que «certains articles de la Constitution ne seront jamais révisés, à savoir ceux ayant un rapport avec la langue (arabe et tamazighe), la religion (l’Islam religion de l’Etat), l’intégrité territoriale et le caractère républicain, démocratique et populaire de l’Etat algérien.
Ce sont là des acquis révolutionnaires pour le peuple algérien et la classe politique est invitée à les respecter», a tenu à rappeler le Premier ministre, rappelant les dérapages du passé (l’ex-FIS qui voulait fonder une République islamique). La Constituante «ne ressuscitera pas les victimes de la tragédie nationale ni les morts de 1963», a-t-il ajouté en référence aux années du terrorisme des années 1990 et à ce qu’on appelle la «crise du FFS».
Quant aux évènements de janvier, le secrétaire du RND est persuadé que «les médias internationaux et certaines parties politiques voulaient les amplifier pour des intérêts personnels, au détriment des Algériens». Pour étayer ses propos, il a soutenu dans ce contexte : «Je ne dis pas que l’Algérie est un paradis ou un exemple de démocratie, mais le pays a connu des changements depuis 1989, qui se sont poursuivis en dépit des années de la tragédie nationale.»
Parmi les exemples confirmant les processus d’ouverture, l’émergence de 30 partis politiques, toutes tendances confondues, dont sept partis composent l’actuelle Assemblée populaire nationale. Dans le domaine de la presse, l’Algérie compte, rappelle-t-il, plus d’une centaine de journaux. Ces acquis confirment, selon lui, que l’Algérie ne peut être comparée aux autres pays de la région, étant donné le «lourd tribut» de la démocratie et de la liberté d’expression.
Quel régime politique adopter ?
Sur la question de la nature du régime politique à adopter, le Premier ministre n’a pas mis beaucoup temps pour y répondre. Il a précisé d’abord que les grands pays dits démocratiques, à savoir la France et les Etats-Unis d’Amérique, sont les plus grands défenseurs du système présidentiel, et ce, depuis des siècles.
«Cela n’a pas constitué un blocage pour la démocratie, alors pourquoi trop s’inquiéter et vouloir adopter un régime parlementaire. Le parlement français a voté la réforme sur la retraite, au moment où toute la classe politique et le peuple français étaient contre. D’ailleurs, les partis de l’opposition se sont engagés à revoir le système de retraite, dès qu’ils accèdent au pouvoir», a tenu à clarifier le SG du RND, signifiant aux partis politiques qu’ils n’ont pas à s’inquiéter sur cette question.
Le parti du RND reste un partisan «convaincu du régime présidentiel», un régime qui va incarner «toute l’Algérie». L’invité de Canal 3 de la Télévision nationale a répondu également sur les causes des tensions socioéconomiques. Parmi les insuffisances de cette politique sociale de l’Etat, le Premier ministre a relevé le «manque de communication».
L’effort des pouvoirs publics en matière d’éducation, de santé, d’emploi, de logement et de réalisation d’infrastructures est colossal, a-t-il précisé, en apportant comme preuves les budgets affectés à ces domaines.
L’Etat a consacré 286 milliards de dollars au titre du programme quinquennal 2010-2014, l’équivalent de 21 000 milliards de dinars. Cette enveloppe financière s’appuie sur l’objectif de l’amélioration des conditions de vie du citoyen et de la préservation de la paix sociale, a indiqué l’invité de l’émission «Hiwar essaâ».
«Une contestation sociale provoquée»
L’analyse faite par le Premier ministre sur les émeutes de janvier apporte de nouveaux éléments de taille sur les tenants et aboutissants de cet évènement. «Les émeutes sont fabriquées à 60% par ceux qui craignent la transparence économique.
Comment expliquer la mise en œuvre du paiement par chèque en janvier, alors que la réglementation le prévoyait pour le mois de mars», s’interroge-t-il, tout en ajoutant que «les barons de l’informel ne veulent pas de transparence et d’organisation du marché».
La gestion de cette «crise» n’a pas été confiée uniquement au ministre du Commerce, a-t-il répondu. Bien que la régulation commerciale relève des prérogatives du département de Mustapha Benbada, le Premier ministère a intervenu pour le soutenir, a précisé M. Ouyahia, en tenant plusieurs conseils interministériels qui ont abouti à la prise de décisions importantes,
validées par le Conseil des ministres. Tout en annonçant de nouvelles mesures socioéconomiques, l’invité de la Télévision algérienne a reconnu que l’intervention de l’Etat pour le soutien des prix des produits de large consommation et la création d’emplois sont devenues nécessaires afin de ramener la paix sociale et d’éviter des tensions.
Il a soutenu dans ce sillage que l’appareil économique public et privé n’est pas encore capable d’absorber les besoins en matière d’emploi et de consommation. Il a reconnu que l’Etat algérien demeure dépendant des revenus pétroliers à près de 98%. Malgré les réformes entreprises depuis les années 90, l’économie algérienne n’est pas encore relancée, a-t-il affirmé, soutenant au passage que l’erreur de l’Algérie était celle de «l’ouverture commerciale avant celle des secteurs économiques productifs».
Les IDE tant attendus ne sont pas aussi nombreux et ne pèsent pas sur la vie économique, a-t-il expliqué, d’où la nécessité de changer de politique économique privilégiant l’investissement à la place de l’importation, préjudiciable aux Algériens. Au sujet de l’accord d’association avec l’Union européenne, les négociations sont en cours pour réviser l’agenda de démantèlement tarifaire global d’ici à 2017.
L’Etat algérien vise un report de cinq années, pour permettre aux entreprises de faire face à la concurrence étrangère. Quant à la zone de libre-échange, il a indiqué que tous les pays arabes recourent à des lois spécifiques pour protéger leur économie. «Pourquoi exclure l’Algérie de cette manière de procéder», s’est-il interrogé.
Par Farouk Belhabib