À la lecture du dernier message présidentiel du 5 juillet 2015, l’Algérie est présentée comme un pays idyllique. Pour le chef de l’État, les promesses de Novembre 1954 sont réalisées dans le strict respect de la volonté populaire. Mises à part quelques insuffisances, «la construction nationale menée pendant des décennies a connu d’importants succès», lit-on avec un sérieux décoiffant dans ledit message.
Comment se fait-il alors que l’Algérie, qui regorge pourtant d’énormes richesses de son sous-sol, n’arrive pas à se développer ? À vrai dire, ce message d’autosatisfaction ne correspond nullement à la réalité. Car, il a fallu une tragédie nationale – plus de 500 jeunes sont morts en 1988 – pour que les Algériens puissent participer à la vie politique de leur pays. Et encore…
Cependant, bien que chaque événement national soit rattaché à une expérience douloureuse, on va s’intéresser au bilan des seize dernières années. Tel un père de famille s’adressant à ses enfants mineurs, il leur dit à peu près ceci : je vous nourris, donc je fixe seul le cap. Du coup, ce qu’il estime bon pour le peuple ne peut être qu’une bonne idée.
Alors que les Algériens ne voient pas une amélioration de la vie de nos compatriotes les plus modestes, le chef de l’État parle de la poursuite des efforts en leur faveur. En aucun cas, il ne remet en cause la captation, par les grands prédateurs, de cet argent destiné aux plus démunis. À tel point qu’en Algérie les plus riches sont devenus encore plus riches et les plus pauvres se sont appauvris dans les mêmes proportions.
Dans ces conditions, peut-on affirmer que l’action du chef de l’État est à la hauteur des attentes ? La réponse est évidemment non. De la même manière, quand il évoque ces nombreuses voix qui l’ont conjuré pour qu’il poursuive sa mission, ne substitue-t-il pas la clientèle du régime au peuple ? D’ailleurs, que reste-t-il de la confiance entre le pouvoir et peuple, quand on sait que ce dernier est pris tantôt pour un mineur à vie (1962-1988) et tantôt pour un piètre démocrate (1991).
En fait, en donnant la majorité au parti islamiste en 1991 – un choix certes qui effraie plus qu’il rassure, mais qui reste un choix majoritaire –, ceux qui se revendiquent actuellement du peuple ont foulé au sol tous les principes universels pour que ce méchant peuple ne choisisse pas ses représentants.
Cela dit, pour qu’il n’y ait pas d’ambigüité, je ne crois pas personnellement que le projet qui mêle la religion et la politique soit la solution. Sans parler de laïcité, un projet propre à la France –la loi de 1905 met fin à l’emprise de l’Église sur l’État –, Hocine Ait Ahmed a suggéré une voie alternative à ce modèle. Hélas, il n’a pas été suivi. De même qu’il n’a pas été écouté quand il a rejeté le bien-fondé du coup d’État militaire de janvier 1992.
Du coup, pour construire le pays –l’Algérie a raté par ailleurs plusieurs occasions –, il faudrait que le porteur du projet soit un rassembleur de la lignée des Abane et Ben M’hidi. Est-ce le cas de l’actuel chef de l’État ? Ce n’est pas sûr. Et pour cause ! S’il avait voulu d’un tel projet conciliant les Algériens avec la politique, il l’aurait fait depuis longtemps. Aujourd’hui, son clin d’œil à l’opposition n’est qu’une tactique pour que la révision constitutionnelle ne soit pas tant décriée. Une manœuvre qui a un effet immédiat avec l’adhésion du MSP au projet.
En guise de conclusion, il va de soi que le projet constitutionnel de Bouteflika comporte au moins une contradiction. En effet, il parle du rassemblement des énergies pour construire le pays, mais ce projet est conçu par un seul homme, en l’occurrence lui. Or, pour parvenir à ce stade – dans certains pays, la majorité et l’opposition sont sur la même longueur d’onde quand il s’agit de l’intérêt national –, il faudrait refonder l’État. Ainsi, l’accès aux responsabilités, par exemple, ne devra pas être entravé par les hommes de l’ombre. Pour rétablir cette confiance, il faudrait que les rênes du pouvoir soient entre les mains du peuple algérien. De cette façon, aucune institution n’échappera à son contrôle, et ce, quel que soit l’intérêt en jeu. Et c’est cela in fine le meilleur projet pour l’avenir.