Les cendres de Bigeard le tortionnaire aux Invalides : Des Algériens et des Français disent non !

Les cendres de Bigeard le tortionnaire aux Invalides : Des Algériens et des Français disent non !

Les cendres du général Marcel Bigeard, décédé en juin 2010, vont être transférées à l’Hôtel des Invalides à Paris, où reposent les gloires de l’armée française. L’initiative du ministre français de la Défense, Gérard Longuet, suscite une vive controverse en France et en Algérie eu égard au passé de Bigeard en Algérie. Des hommes politiques, des intellectuels, des journalistes et des historiens français et algériens ont lancé un appel pour exiger « que le gouvernement français renonce à cette initiative historiquement infondée, politiquement dangereuse et humainement scandaleuse.»

Marcel Bigeard avait souhaité que ses cendres soient dispersées au dessus de Dien Biên Phù, le camp retranché des troupes françaises au Vietnam, pour « rejoindre ses camarades tombés au combat » en mai 1954. Toutefois, les autorités vietnamiennes ont refusé d’accéder à son vœu.

Suite à ce refus définitif, Gérard Longuet adresse une lettre à la fille du général pour lui proposer que les cendres soient transférées aux Invalides. Celle-ci donne son accord à ce transfert, pour lequel aucune date n’a encore été fixée. Et l’initiative passe très mal.

Des hommes politiques, des intellectuels, des journalistes et des historiens français et algériens ont lancé un appel pour exiger « que le gouvernement français renonce à cette initiative historiquement infondée, politiquement dangereuse et humainement scandaleuse. »

Après la loi du 23 février 2005 sur la colonisation «positive», après les stèles de Marignane et d’ailleurs honorant la mémoire des membres de l’OAS (Organisation armée secrète), le transfert des cendres de Bigeard aux Invalides relève de la falsification historique, explique ce collectif.

Bigeard en Algérie

Après la guerre d’Indochine, Marcel Bigeard reprend du service en Algérie en octobre 1954, une année après le début de l’insurrection algérienne, en prenant le commandement du 3e BPC (Bataillon de parachutistes coloniaux). Mais c’est durant la bataille d’Alger en 1957 que ce fort en gueule va s’illustrer par ses méthodes de tortionnaire.

Pour mater la résistance, Robert Lacoste, alors ministre et gouverneur général, décide de confier les pleins pouvoirs au général Massu.

Bouclage systématique de la ville, fouilles, fichages, interpellations, arrestations, tortures, disparitions, exécutions sommaires, les paras de la 10e Division de parachutistes dont le colonel Bigeard était un des commandants ne lésinent devant aucun moyen pour venir à bout des combattants du FLN.

Crevettes Bigeard

Bigeard est ainsi accusé d’avoir pratiqué la torture à vaste échelle et ordonné des exécutions sommaires. Ces pratiques lui ont valu le sobriquet « crevettes Bigeard » qui désigne ces Algériens qu’on jetait en mer depuis un hélicoptère ou un avion, les pieds coulés dans une bassine de ciment.

Paul Teitgen, secrétaire général de la préfecture d’Alger, chargé de la police, d’août 1956 à septembre 1957, témoigne ainsi sur cette méthode : « Bigeard, le courageux Bigeard, arrêtait quelqu’un lui mettait les pieds dans une cuvette, y faisait couler du ciment à prise rapide et le précipitait en mer du haut d’un hélicoptère ».

Bigeard est également accusé d’avoir fait exécuter Larbi Ben M’hidi, héros de la Bataille d’Alger, arrêté le 23 février 1957 par les parachutistes. Interrogé pendant une dizaine de jours par le colonel Bigeard qui le confiera plus tard aux Services spéciaux, Ben M’hidi a été exécuté dans la nuit du 3 au 4 mars 1957.

Ben M’hidi pendu

La thèse officielle faisait croire que le chef du FLN « s’était suicidé dans sa cellule en se pendant à l’aide de lambeaux de sa chemise ». Il aurait fallu attendre novembre 2000 pour qu’un témoignage inédit fasse la lumière sur la disparition de Ben M’hidi.

Dans une confession livrée au journal Le Monde, Paul Aussaress, membre des services spéciaux, révèle comment Ben M’hidi a été exécuté dans une ferme à une vingtaine de kilomètres d’Alger.

«Nous avons isolé le prisonnier dans une pièce déjà prête. Un de mes hommes se tenait en faction à l’entrée. Une fois dans la pièce, avec l’aide de mes gradés, nous avons empoigné BenM’hidi et nous l’avons pendu, d’une manière qui puisse laisser penser à un suicide », raconte-t-il à la journaliste Florence Beaugé.

La torture un mal nécessaire

Faces aux accusations, Bigeard a toujours maintenu deux positions. Non, il n’a pas exécuté Larbi Ben M’hidi. Il n’a pas non plus pratiqué la torture. Dans le courant de l’année 2002, Bigeard rencontre Drifa Hassani, la sœur de Ben M’hidi ainsi que le mari de cette dernière à Paris.

« Ce n’est pas un homme comme Larbi Ben M’hidi qui se suicide», confie-t-il à la sœur du martyr de la révolution. Dans ses écrits autant que dans ces entretiens avec la presse, Bigeard faisait montre de respect et d’admiration pour Ben M’hidi.

En juillet 2000, il affirme que la torture était un « mal nécessaire », ajoutant qu’il s’agissait d’une « mission donnée par le pouvoir politique », mais démentant l’avoir pratiquée lui-même.

En 2007, Bigeard revient sur le sujet dans un entretien accordé au quotidien suisse Liberté : « Vous savez, nous avions affaire à des ennemis motivés, des fellaghas, et les interrogatoires musclés, c’était un moyen de récolter des infos. Mais ces interrogatoires étaient très rares et surtout je n’y participais pas. Je n’aimais pas ça. Pour moi, la gégène était le dernier truc à utiliser», explique-t-il.

C’est donc les cendres de ce tortionnaire que le gouvernement de Nicolas Sarkozy voudrait déposer aux Invalides.