Chaque voiture abandonnée a son histoire
Appelé communément «la casse», le marché de Oued Ksari constitue le point de chute des automobilistes en quête de pièces de rechange.
Il faisait un soleil de plomb au marché informel de la pièce de rechange d’Aït Yahia Moussa, ex-Oued Ksari, dans la wilaya de Tizi Ouzou. La chaleur se situait probablement entre 42 et 43 degrés.
Ce marché de pièces détachées s’étendant sur un espace de 10 km grouillait pourtant, de clients. Les plaques d’immatriculation des voitures formant de longues processions tout le long de la RN 25, desservant les localités de Oued Ksari, Tirmitine et Boghni, était le signe évident que ces lieux sont connus dans les quatre coins du pays. Sur ce tronçon de la RN 25, s’étendant de Oued-Falli jusqu’au pont appelé le «Pont noir», il existe environ une centaine d’espaces de vente et de garagistes spécialisés dans le désossement de véhicules. Ce marché appelé communément «la casse», constituant, à l’évidence, le point de chute des automobilistes en panne de pièces de rechange d’origine, est aussi un dépotoir pour des voitures accidentées et complètement réformées par les services techniques concernés. Les clients y viennent des différentes régions du pays, témoignent des vendeurs sur place. La réputation de ce marché a dépassé, visiblement, les frontières de la région pour servir de référence aux propriétaire d’automobiles.
Des voitures portant l’immatriculation des wilayas de Béjaïa, Bouira, M’sila, Alger, Boumerdès, Blida, Tipasa, etc. se sont alignées l’une après l’autre. À ce niveau, la prudence doit être de mise. Car, en plus des embouteillages qui s’y forment, à longueur de journée, des piétons traversent la chaussée sans aucun souci.
Les pièces de rechange d’origine sont disponibles
A quelques mètres de l’intersection donnant sur Tirmitine, et à proximité d’une pompe à essence, on aperçoit des terrains jonchés de gros tas de carcasses de voitures réformées. Un cimetière automobile géant. Chaque voiture abandonnée a son histoire et renseigne amplement sur le terrorisme routier qui prend des proportions alarmantes. Sur les lieux, les commerces fonctionnent merveilleusement. Les clients ont l’embarras du choix. Des voitures toutes neuves mais accidentées sont désossées pièce par pièce.
«Les garagistes», eux, sont presque ou souvent affairés à démonter des carcasses de voitures qui y accostent quotidiennement. Des sources dignes de foi soutenaient qu’en l’absence de contrôle, des dizaines de véhicules volés dans différentes régions sont désossées et vendues en pièces en ces lieux. Ce que l’on ne peut pas savoir, est la façon dont est réglementée voire codifiée cette activité. Personne n’ose nous renseigner à ce sujet. Une aubaine pour les trafiquants de tout bord. Et en dépit du caractère informel de cette activité où les capitaux en circulation se chiffrent à coups de milliards, il faut dire, néanmoins, que les vendeurs ne se soucient guère des autorités et non plus des réseaux de malfaiteurs qui polluent les localités avoisinantes. «Vous pouvez ne pas trouver des pièces d’origines chez des magasins de vente de pièces détachées, parfois même chez les maisons-mères, là où on les fabrique. Mais, ici, vous pouvez être sûrs que rien ne manque», ironisait Saïd, venu acheter une pièce pour sa BMW.
Et de poursuivre, sur sa lancée: «Tous ces automobilistes ne cherchent qu’à se procurer la pièce de rechange d’origine, qu’ils ne trouvent pas auprès des magasins agréés, qui ne disposent que de produits contrefaits». Même les prix sont, paraît-il, plus avantageux, d’où l’engouement accru des automobilistes. «J’ai fait presque tous les magasins de pièces détachées de Béjaïa, Sétif et Bouira, mais je n’ai pas trouvé ce que je cherche pour ma BMW. Alors, un ami, taxieur de profession, m’a conseillé cet endroit.
Franchement, je n’en ai pas cru mes yeux, en observant le nombre de carcasses déposées sur ces champs, qui auraient dû être plutôt réservés à l’agriculture et cela soulève moult interrogations, quant aux sources d’approvisionnement», a-t-il souligné, avant de poursuivre: «Il y a toutes sortes de pièces! Certaines sont un peu chères. Mais, c’est de la pièce de rechange d’origine.» Pour sa part, Hocine, un vendeur de pièces détachées rencontré sur place, a fait savoir que le marché d’Oued Ksari constitue le fief incontestable de la pièce détachée pour toute la région du centre du pays. Les clients viennent de l’ensemble des localités de la région et même des wilayas avoisinantes en quête d’une quelconque pièce. Et puis, a-t-il ajouté: «Nous vendons une marchandise 30% moins cher que celle vendue par les agents agréés. Ici tout se vend ou presque.
Mécanismes, alternateurs, carrosseries, plaquettes de freins, embrayage, démarreurs, filtres à huile, optiques de phare, essuie-glaces…». Selon de nombreux interlocuteurs croisés sur les lieux, les pièces vendues auprès de ces garagistes de fortune sont de bonne qualité et beaucoup moins coûteuses que celles proposées par les marchands de pièces détachées agréés, qui d’ailleurs font, pour leur majorité, dans les produits contrefaits. En vérité, nous avons pu observer que les vendeurs disposent et proposent des pièces pour tous types de voitures. En passant devant ces monticules de ferraille, on ne voit pas de vieux tacots, il n’y a que des voitures neuves. De même, il faut dire qu’il y a réellement de quoi se poser la question si les autorités ne comptent pas trouver d’autres espaces en vue d’éloigner ces cimetières de véhicules, qui ne rappellent que la mort aux usagers de cet axe routier, pourtant très fréquenté de jour comme de nuit.
Des ateliers pour désossement de voitures
Les espaces de vente sont aussi, avons-nous constaté, aménagés pour servir d’ateliers pour désossement de voitures. C’est une activité fortement lucrative. Après le désossement, les pièces récupérées sont vendues aux automobilistes, tandis que les carcasses sont, à leur tour, cédées à ceux qui activent dans les déchets et les produits ferreux recyclables. Cependant, à une question sur les sources d’approvisionnement en la matière, des sources dignes de foi nous ont indiqué que les réseaux maffieux et terroristes sont les principaux ravitailleurs. Par ailleurs, cette situation n’est pas sans impact sur les compagnies d’assurance qui se disent pénalisées par la hausse de vols de voitures en Algérie, particulièrement dans la région du centre du pays, où le nombre a atteint 5 à 6 voitures par jour. Signalons, par ailleurs, que la majorité des véhicules subtilisés par des réseaux mafieux et de soutien au terrorisme, atterrissent dans des marchés clandestins de la pièce détachée «d’occasion». Ces véhicules sont achetés à des prix très bas, par ceux qui règnent sur les espaces informels et qui, à leur tour, s’occupent de leur désossement pour les vendre ensuite en pièces. «Il y a plusieurs ateliers et garages, spécialisés dans le désossement des voitures.
Ces derniers les achètent bien en deçà de leur prix réel», témoigne une source sécuritaire, ajoutant que les services de sécurité ont pu mettre la main sur une dizaine d’individus, possédant des ateliers de désossement de voitures volées. De telles situations ont été, également, signalées à travers plusieurs régions du pays. Ce trafic prolifère, faut-il le souligner, en raison de l’absence de contrôle des marchés parallèles de la pièce détachée, ainsi que la forte demande des citoyens pour la pièce détachée d’occasion. Cette forte demande est aussi la conséquence de son prix abordable et de sa qualité sûre. Au niveau de ces marchés, il est à signaler que toutes les pièces que l’on ne trouve pas auprès des établissements agréés, sont disponibles et proposées à des prix défiant toute concurrence. Certaines sources soutiennent, également, qu’il y a une connexion entre les groupes de malfaiteurs, terroristes et les vendeurs clandestins de pièces détachées.
«Le marché de la casse est approvisionné par des groupes de malfaiteurs qui sont à l’origine des vols de voitures. Il y a une étroite connexion entre voleurs et «garagistes» qui achètent les véhicules volés. Ces derniers les passent ensuite au désossement avant de les vendre en pièces», a indiqué une source sécuritaire, relevant que des véhicules volés par les groupes terroristes, se sont retrouvés entre les mains des «garagistes» de Oued Ksari. Cet état de fait constitue, a-t-il noté, une véritable source de financement pour les hordes terroristes du Gspc. Sur ce chapitre, l’on apprend que «l’argent facile et rapide» a encouragé les hordes terroristes, encore en activité, à faire des marchés parallèles, leur source de financement.
Des sources douteuses
Poursuivant, sur sa lancée, la même source affirme que «les groupes terroristes volent des voitures soit pour les utiliser lors d’attentats, soit pour les vendre». «Les revendeurs de pièces détachées pour tous types de véhicules ou d’engins, activant dans des circuits illégaux, sont loin d’être de simples «garagistes» qui attendent simplement l’arrivée d’une voiture quelconque accidentée et réformée. Ils ne sont pas tous de modestes citoyens en quête de quelques dinars afin de couvrir leurs besoins», a-t-il tenu à préciser. C’est dire donc que ce trafic illégal met sérieusement en péril la paix et la stabilité dans notre pays. D’où, des observateurs avertis s’interrogent: à quand un réel plan d’action pour venir à bout de ce phénomène?