Les Baltaguia, la nouvelle arme contre la protestation en Algérie

Les Baltaguia, la nouvelle arme contre la protestation en Algérie

Le baltaguisme comme auxiliaire de répression de la contestation sociale et politique. Il ne suffisait pas au gouvernement algérien de verrouiller les espaces d’expression que sont la télé et la radio publiques. Il ne lui suffisait pas encore de maintenir l’interdiction de manifestation publique dans la capitale, oukase en vigueur depuis 10 ans.

Il ne lui suffisait aussi de déployer une armada de policiers à Alger et ailleurs pour empêcher les Algériens de manifester. Il leur fallait encore recourir aux baltaguia, ces petits nervis payés et endoctrinés pour chahuter les manifestations, pour agresser verbalement et physiquement manifestants, syndicalistes, élus et responsables politiques.

Comme si les autorités n’excellaient pas assez dans l’art de réprimer la contestation, comme si l’armada de policiers n’était pas assez conséquente, il fallait importer d’Egypte une autre forme de répression, encore plus insidieuse, plus dangereuse celle-là : le baltaguisme.

A défaut de s’inspirer du meilleur qui soit arrivé à l’Egypte depuis les 50 dernières années, à savoir une vraie ouverture démocratique, ils ont importé l’une des pratiques les plus détestables du régime du président déchu Moubarak : le baltaguisme.

Cette nouvelle forme de délinquance para-politique, et c’en est une, a été inaugurée lors de la manifestation de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) à Alger en février dernier.

Un groupe de jeunes du quartier du 1er mai, payés et soudoyés par des élus et des responsables locaux, ont été recrutés pour perturber et chahuter la manifestation.

La meilleure démonstration de cette violence sponsorisée par le gouvernement et ses sous traitants est cette scène, survenue à la Place du 1er mai, au cour de laquelle un baltagui assène un coup de pied à une jeune manifestante en la traitant de « pute » devant une foule mi ébahie, mi-consentante.

Le scénario s’est reproduit une semaine plus tard à la place des Martyrs. Là encore, le mode opératoire est le même : des groupes de jeunes des quartiers environnants sont rameutés pour casser la marche des opposants.

Non seulement, il fallait réprimer les manifestants avec une armada de policiers, mais il fallait aussi compter sur l’assistance de quelques groupuscules de nervis pour casser de l’opposant.

Que ces baltaguias scandent le nom de Bouteflika et brandissent des portraits du président, sans doute gracieusement fournis par des sous-entrepreneurs du régime, suffisent amplement à croire à une sorte de conjuration. Une sorte de conspiration contre l’opposition, pensée, préparée et validée par des responsables du gouvernement. Avec le concours de ses affidés.

Il s’agit ainsi d’inciter des jeunes chômeurs, grâce à de vagues promesses ou des rétributions sonnantes, pour aller chahuter et parfois faire le coup de point contre des militants politiques qui revendiquent plus de liberté et de démocratie.

La méthode ayant, semble-t-il, réussie, il fallait donc la reproduire samedi 5 mars lors de la marche organisée devant le siège de la Présidence. Mais cette fois-ci, le baltaguisme a failli tourner au drame.

Le président du RCD, Said Sadi, a été littéralement livré, avec le concours de policiers, au lynchage par une bande d’excités. Il s’en est sorti avec une blessure légère à la main.

Mais le baltaguisme ne consiste pas à dresser des petits voyous pour contrer des opposants politiques, il peut aussi s’étendre aux autres segments de la société algérienne qui contestent le régime. L’exemple de ce qui s’est passé samedi 19 mars à la maison des syndicats à Alger est édifiant.

Des enseignants et des syndicalistes ont été attaqués à coups de pierres, insultés et injuriés alors qu’ils préparaient un rassemblement qui devait se tenir le lendemain. Encore une fois cette descente s’est faite avec avec le concours d’agents des forces de l’ordre.

Le baltaguisme peut aussi s’étendre jusque dans les rédactions de certains titres de la presse, transformés en instruments d’une propagande aussi honteuse que piteuse.

A la haine et aux moqueries s’y ajoutent la désinformation, l’invective, voire même parfois l’appel au meurtre.

Cette stratégie de la répression policière couplée avec l’instrumentalisation des baltaguia vise, tout le monde en convient, à étouffer toute velléité de contestation sociale et politique en Algérie.

Critiqué de toutes parts, vilipendé et contesté, le régime du président Bouteflika tente de se maintenir à flot en usant de la répression policière. Pas seulement.

Le recours aux petites frappes, aux voyous de quartiers populeux, aux désespérés de la vie qu’on corrompt avec un billet de 200 dinars, inaugure une nouvelle forme de violence politique. Que celle-ci se fasse avec le consentement et le concours de policiers est encore plus grave.

Car si le régime peut invoquer la nécessité, du reste contestable, de recourir à la force publique pour maintenir l’ordre, il ne peut en aucun cas laisser-faire ou faire des ses policiers les courtiers des baltaguia.

Grave encore dans le sens où cette violence fait dresser les citoyens les uns contre les autres, alimente des sentiments d’exclusion, de racisme.

Que des Algériens demandent à d’autres Algériens d’aller « manifester dans leurs douars », de « retourner dans leurs montagnes » ou bien qu’ils aient l’obligation de défendre « leurs territoires » contre des étrangers, des agresseurs est la parfaite illustration de cette dérive que l’on constate à chaque manifestation contre le régime de Bouteflika.

C’est un jeu dangereux auquel joue ce régime.