Les autorités tunisiennes menacent mais peinent à convaincre face à la menace terroriste

Les autorités tunisiennes menacent mais peinent à convaincre face à la menace terroriste
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Trois mois après le Bardo et des mesures destinées à prévenir les attaques d’extrémistes, la Tunisie est endeuillée par un attentat encore plus sanglant contre des touristes, soulevant la question de la capacité des autorités à faire face à la menace jihadiste.

Les assassinats vendredi de 38 personnes par un Tunisien dans une station balnéaire du nord-est du pays ont illustré les défis qui pèsent plus que jamais sur la Tunisie, quatre ans après sa révolution.



Samedi, la presse se faisait l’écho de ce sentiment, estimant à l’instar du quotidien francophone Le Temps que « l’heure est grave. Parce que tout en voyant venir, nous n’avons pas pu éviter qu’après le Bardo un nouveau drame se reproduise, juste sous nos yeux, alors que tout l’appareil sécuritaire (…) était à l’affût du moindre signe qui pourrait être annonciateur d’un cataclysme à venir ».

Après l’attaque, le Premier ministre Habib Essid a annoncé la mise en place d’un plan « exceptionnel » pour sécuriser davantage les sites touristiques.

Mais déjà au lendemain de l’attentat au musée du Bardo de Tunis le 18 mars (22 morts dont 21 touristes), les autorités avaient reconnu des « failles dans tout le système sécuritaire » et annoncé une série de mesures.

Vendredi, M. Essid a aussi mentionné la fermeture, en une semaine, d’environ 80 mosquées hors du contrôle du ministère des Affaires religieuses et accusées d’ »inciter au terrorisme ». La fermeture de ces mosquées « illégales », un phénomène né après la révolution, avait déjà été annoncée par le gouvernement précédent – sans que son efficacité ne convainque réellement.

En mars 2014, les autorités évoquaient déjà un plan « visant à récupérer les mosquées hors de contrôle, sur une période ne dépassant pas les trois mois ». Rebelote en juillet de la même année après la mort de 15 soldats dans une attaque: les autorités annoncent la fermeture des établissements ayant « célébré » la mort des militaires.

Le chef du gouvernement tunisien a également annoncé des « mesures » peu concrètes, comme la tenue d’un congrès national pour lutter contre le terrorisme ou encore la tenue d’une réunion du Conseil des ministres et du Conseil de sécurité nationale. Il a également jugé qu’il était nécessaire de sanctionner les partis politiques qui ne respecteraient pas la Constitution, faisant certainement allusion aux partis islamistes radicaux tels que Hizb Ettahrir.

Dans le même sens, lors de sa première déclaration aux médias, le président de la République Béji Caïd Essebsi avait assuré qu’il interdirait à quiconque de brandir un étendard autre que le drapeau tunisien et mis en garde toute personne susceptible de « sortir du rang ».

« La guerre ne concerne pas que la police ou l’armée (…) le peuple tunisien est concerné et il est temps qu’il s’unisse, mais il n’est pas uni », a fustigé le Président, affirmant que ceux qui appelaient à la chute du gouvernement et les instigateurs de campagnes telles que « Où est le pétrole? », avaient une part de responsabilité.

Les autorités tunisiennes ont en outre affirmé que les « descentes » policières se multiplieraient et proposé d’offrir une prime financière à toute personne qui détiendraient des informations permettant d’arrêter des présumés « terroristes ». Cette annonce est considérée par certains comme encourageant à la délation.

Appelant également les citoyens à l’aide, Mohsen Marzouk, ancien conseiller politique à la Présidence de la République et actuel Secrétaire général de Nida Tounes, a proposé la mise en place de structures populaires pour « la lutte contre le terrorisme ».

« Réformer le champ religieux »

Mais, tempère Hamza Meddeb, chercheur invité du Centre Carnegie au Moyen-Orient, « il est insuffisant de fermer ou de reprendre le contrôle sur les mosquées, il faudrait penser à une vraie réforme du champ religieux de manière à produire un discours capable de contrer celui des groupes radicaux ».

« On ne combat pas ces groupes (…) en créant un vide dans le champ religieux. (Le dictateur déchu Zine El Abidine) Ben Ali l’a fait et le résultat a été la radicalisation d’une large frange de la jeunesse dans les années 2000 », affirme-t-il.

Depuis l’attentat, des internautes rediffusent les messages de jihadistes ayant récemment menacé la Tunisie sur les réseaux sociaux, soulignant que la menace n’avait rien de caché d’autant plus que la Tunisie fournit aujourd’hui le plus gros contingent de ressortissants –environ 3.000– auprès d’organisations jihadistes en Syrie, en Irak et en Libye.

Pour M. Meddeb, « les autorités tunisiennes n’ont pas fait et ne font pas assez pour protéger la population et les touristes », même « s’il est difficile de penser que les forces de sécurité auraient été capables, seules, de sécuriser ces zones et ce littoral étendu ».

« Pas à l’abri »

Kalachnikov dissimulée dans un parasol, déguisé en vacancier, le jihadiste, né en 1992 selon les autorités, n’a pas eu de mal à faire feu sur les touristes sur la plage de Port El Kantaoui puis au bord des piscines de l’hôtel avant d’être abattu.

Et si le temps de réponse des forces de l’ordre – une trentaine de minutes selon certains témoignages – peut prêter le flanc aux critiques, reste qu’il est difficile, sinon impossible, de se prémunir face à de telles attaques, jugent des observateurs.

« Un acte isolé comme celui-là, nous n’en sommes pas à l’abri », a justifié vendredi le secrétaire d’Etat aux affaires sécuritaires, Rafik Chelly.

Aucun pays n’est « immunisé contre le terrorisme », rappelle aussi Lina Khatib, analyste au Carnegie Center, tout en estimant que la Tunisie « doit sérieusement lancer une réforme de ses services de sécurité pour reconstruire la confiance des citoyens en leur police ».

Or la police est régulièrement accusée de n’avoir jamais totalement rompu avec les méthodes sous Ben Ali, et la méfiance des Tunisiens est toujours là.