Les autorités les distribuent aux pistonnés : 3 millions de logements, 3 millions de problèmes

Les autorités les distribuent aux pistonnés : 3 millions de logements, 3 millions de problèmes
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Protestations, occupations de rue, émeutes, tentatives de suicide…Les opérations de distribution de logements tournent au cauchemar autant pour les populations que pour le gouvernement. Depuis une semaine, plusieurs villes d’Algérie sont secouées par des manifestations dont l’origine est l’affichage des listes de bénéficiaires de logements sociaux. Confrontées depuis des lustres à la crise du logement, les autorités qui ont promis 3 millions de nouveaux logements doivent désormais faire face au phénomène de violence engendré par ces attributions.

Au mois de février 2011, un mois après les émeutes de janvier qui ont fait 5 morts, le président algérien avait exhorté le gouvernement à accélérer « l’affectation à travers les wilayas de l’importante quantité de logements sociaux locatifs déjà réceptionnés » et faciliter « aux citoyens de l’accès aux crédits immobiliers ».

Il semble que les pouvoirs publics aient pris le président au mot. Non sans provoquer des dégâts.

Le scénario est devenu classique : dès que les autorités locales affichent une liste de bénéficiaires, la population se rassemble, conteste, crie à l’exclusion, dénonce les passe-droits et se révolte. Pour endiguer la colère, les pouvoirs publics font appel à la police-émeutes.

Mercredi 22 juin. Commune d’El Madania (ex Clos-Salembier), quartier populaire et populeux sur les hauteurs d’Alger. La liste de 80 logements socio-locatifs est rendue publique. Aussitôt, les habitants se rassemblement devant le siège de la daïra. Aussitôt, la police est dépêchée sur les lieux.

Une femme s’offusque que son nom soit biffée de la liste alors qu’on lui avait promis un toit. Son histoire est un condensé de ce drame que vivent des milliers d’Algériens.

Veuve avec quatre enfants à charge, elle a perdu son mari décédé d’une crise cardiaque. Lassé des promesses non tenues, le cœur de celui-ci a lâché. Depuis 17 ans, la famille vit dans une seule pièce sans eau courante.

Quartier d’Hussein Dey, à l’est de la capitale. Même misère, même crise, tension identique. Ici, plus de 500 familles attendent un toit depuis 20 ans, voire 25 ans. Alors quand les services de la mairie affichent une première liste de 60 logements sociaux, c’est la déflagration.

Les exclus occupent le bâtiment de l’administration. Munis de pile de dossiers, ils veulent voir le wali délégué pour contester les attributions. La police est là pour contenir la foule en colère. Le wali délégué reçoit un groupe de protestataires, promet de « faire quelque chose », mais les recalés menacent d’enflammer la rue.

Dimanche 26 juin. Daïra de N’Gaous, dans la wilaya de Batna, à l’Est d’Algérie. Là encore, le scénario est le même. Une liste de 163 logements sociaux, affichée une semaine plutôt, provoque une émeute. Les sièges de la mairie et de la daïra sont envahis par les contestataires.

Les deux bâtiments sont endommagés, des membres du personnel de l’administration sont légèrement blessés. La gendarmerie intervient, tire des bombes lacrymogènes pour disperser les manifestants. Exclu de l’opération, un couple tente de suicider en se jetant du haut d’un pilon électrique.

A Relizane, à Ain Timounchent, à El Bayadh, à El Eulma, à Tissemsilt, les mêmes opérations d’attributions engendrent les mêmes scènes de colère et de réprobation. Si ce phénomène n’est pas nouveau, il n’a pas moins pris des proportions alarmantes au cours des deux dernières années.

Au mois d’octobre 2009, le quartier de Diar Echems, une favela située à un jet de pierre du siège de la Présidence, s’embrase pendant plusieurs jours. Raison de cette poussée de fièvre : l’habitat précaire. Dans ce bidonville construit en 1958, à l’époque coloniale, 15 milles âmes s’entassent dans des conditions de vie absolument effroyables.

Malgré les engagements des autorités de reloger les habitants, d’éradiquer l’habitat précaire, des milliers de famille continuent de vivre dans ces « cages à poules ».

Certes les autorités ont annoncé la construction d’un million et demi de logements entre 1999 et 2009 et la réalisation d’un autre million avant l’année 2014, mais la crise persiste. Elle semble plutôt s’aggraver au fil des ans.

Non seulement ces chiffres difficilement vérifiables (tantôt on évoque 2,5 millions, tantôt 3 millions d’unités) sont loin, très loin, de répondre aux attentes, mais l’affectation des logements achevés provoque à chaque fois une levée de boucliers.

C’est que non seulement la population maugrée contre le nombre d’habitats disponibles, mais elle conteste les modalités et les conditions de leur attribution. Et immanquablement, les autorités locales sont accusées de favoriser des privilégiés, d’accorder des logements aux amis, aux clients, au détriment que ceux qui sont dans le besoin.

Et tout indique que ces contestations autour des logements connaitront des pics de tensions dans les prochaines semaines. Avis de tempêtes à l’horizon.

Verbatim : Ce que le président Bouteflika a promis le 09 avril 2009

« La crise de logement perd de son acuité de façon sensible. Plus d’un million et demi de logements ont été réalisés ces dix dernières années, dont près de 850.000 depuis janvier 2004 et 500.000 autres sont en actuellement en chantier. La durée d’attente pour un logement s’en trouve réduite et le taux d’occupation a été ramené à 5 personnes par logement. Pas moins de 10 millions de personnes ont trouvé à se loger.

Au cours des 5 prochaines années, nous tâcherons de résorber ou même d’éradiquer la crise du logement tout élargissant la perspective de faire accéder les citoyens à la propriété de leur propre habitation.

Nous nous proposons de livrer un million de logements pendant les cinq années à venir, tout en maintenant la réalisation de logements sociaux, le soutien au logement rural et l’encouragement de la promotion immobilière en faveur des promoteurs et des acquérants, y compris au bénéfice de la classe moyenne.

J’engagerai les autorités compétentes à veiller davantage à la qualité de l’urbanisme, à l’éradication de l’habitat précaire ainsi qu’au ralentissement de l’exode rural. »