Les armées sont politisées,l’état de droit absent,L’equation arabe selon Brahimi

Les armées sont politisées,l’état de droit absent,L’equation arabe selon Brahimi

Lakhdar Brahimi

La cause palestinienne sera-t-elle la grande perdante des révoltes arabes?

L’intervention de Lakhdar Brahimi, ancien ministre des Affaires étrangères, était très attendue hier par les participants au colloque sur «le Monde arabe en ébullition: révoltes ou révolutions?» organisé à Alger. L’ancien diplomate s’est prononcé sur les événements en Libye. «Nous sommes les premiers à être concernés en tant qu’Algériens par ce qui se déroule chez notre voisin. Le peuple libyen nous doit bien de l’aide et de l’appui», a-t-il estimé. L’ex-ministre des Affaires étrangères s’est aussi prononcé sur l’intervention des forces de l’Otan qui constitue, selon lui, un vrai problème. Il précise, lors de cette rencontre organisée dans le cadre du Salon international du livre, que cette organisation a exploité le feu vert de la Ligue arabe pour s’adjuger un rôle de premier ordre dans la région. «La genèse des interventions est à chercher dans le comportement ignominieux des leaders politiques et la situation dramatique à laquelle sont parvenus les régimes arabes», déplore-t-il. Selon lui, les pays arabes sont dans une phase de transformation caractérisée par des mouvements populaires, qui exige en premier lieu un changement démocratique. Brahimi a considéré que quelques pays arabes peuvent faire l’économie de révoltes. Il cite l’Algérie, le Maroc et l’Arabie Saoudite grâce aux réformes qui y sont entreprises. Toutefois, il ne s’arrête pas dans ses analyses. Selon lui, il y a lieu d’ouvrir les frontières entre l’Algérie et le Maroc. «On ne peut parler de Maghreb arabe sans réouverture des frontières», a-t-il dit lors des débats qui ont suivi son intervention. L’orateur n’a pas hésité à mettre en avant ses craintes sur le devenir des pays de la Ligue arabe. Il s’étonne du fait qu’aucun de ces pays n’a pu s’imposer en tant que puissance régionale. Il affirme que la Turquie, l’Iran et Israël sont les acteurs principaux de la région, ce qui n’est pas sans danger sur le devenir de la question palestinienne. Il lance cet avertissement: «Imaginez un seul instant que l’Iran se réaligne sur la position israélienne comme au temps du çhah et que la Turquie règle son différend avec ce pays et vous verrez le drame dans lequel sera plongé le Monde arabe.» Brahimi a consacré une bonne partie de son intervention intitulée «Le Monde arabe en ébullition: fractures et continuités à travers l’histoire contemporaine» à identifier deux tares des régimes arabes: l’armée est politisée et l’Etat de droit est absent.

La ministre de Culture, Khalida Toumi, a émis, quant à elle, le souhait de voir le printemps des peuples profiter aux peuples eux-mêmes et non à une horde d’affairistes «qui remplissent actuellement leurs bons de commande pour venir reconstruire ce que leurs armadas ont détruit». Elle a également formulé l’espoir que ce printemps puisse profiter aux peuples et non à des castes locales prêtes à toutes les compromissions pour enfin saisir l’opportunité de devenir calife à la place du calife, a-t-elle asséné. Elle a estimé que le maître-mot de l’heure devrait être la vigilance sur le front intérieur pour ne plus jamais reproduire les dévastatrices expériences connues. Sur le plan extérieur, il faut prendre très au sérieux les menaçantes menées de reconquêtes, a ajouté la ministre. Pour Mme Toumi, la sinistre politique de la canonnière n’est pas définitivement enterrée.

L’autre intervention qui a suscité de l’intérêt auprès de l’assistance est celle de Fawaz Traboulsi, professeur de sciences politiques à l’université américaine du Liban. Il constate actuellement à travers les révoltes arabes une réelle volonté et une aspiration à un changement radical des relations entre gouvernants et gouvernés. Selon Fawaz Traboulsi, ce changement devrait être institutionnalisé par l’adoption de nouvelles Constitutions où sera transcrite cette relation de confiance dont la finalité reste l’abolition des systèmes dictatoriaux, autocratiques, paternalistes ou autoritaires.

La solution idoine consiste à remplacer ces anciens systèmes par des régimes démocratiques consacrant pleinement la souveraineté populaire dans des conditions de liberté retrouvée et des régimes électoraux appropriés reflétant fidèlement la volonté populaire, a-il estimé. L’Exécutif, insiste-t-il, devrait être issu des opérations électorales propres. La rue arabe est en train de témoigner d’un processus d’évolution démocratique qui n’est qu’à ses débuts, selon lui. Ce professeur fait savoir que le pire des cas serait de voir ce processus déboucher sur un simple changement de leaders politiques dans la continuité de l’ancien système.